Yvon Leduc
En juillet 1977 j’avais 23 ans. Cet été là, Robert Gravel, Anne-Marie Laprade et moi devions prendre soin de notre ménagerie au Théâtre Expérimental de Montréal, au deuxième étage de la Maison de Beaujeu sur la rue Notre Dame dans le Vieux Montréal. Nous y avions des poules, un écureuil et trois petits cochons que nous devions nourrir et nettoyer pour notre spectacle ambulatoire « Zoo » que nous présentons de 19h à 23h avec des comédiens amateurs ou professionnels selon la soirée qui doivent improviser dans différentes cages ou décors selon différentes scènes.
Après avoir fermé le zoo, généralement, nous descendions sur la terrasse du restaurant Beaujeu au rez-de-chaussée y dépenser les quelques dollars que nous nous étions partagés et enfin souvent nous terminions la nuit à l’intérieur du resto en compagnie d’autres artistes, comédiens, chanteurs ou cinéastes qui s’y retrouvaient.
Un de ces soirs, en compagnie de Robert comme s’était souvent le cas, nous avons enfilés plusieurs verres de vin en plus de quelques bières et nous cherchions une idée pour occuper le théâtre qui serait libre en octobre. Robert me raconta alors que du temps qu’il faisait partie des jeunes comédiens du TNM, il avait travaillé à une adaptation du jeu de Monopoly (Robert avait d’ailleurs une collection de jeux Monopoly de partout dont une édition Russe qu’un ami Belge lui avait offert en cadeau). L’alcool aidant nous avons continué à « brainstormé » un mélange de jeu et théâtre pour finalement aboutir à l’idée de la LNI avec ses règles et ses références au hockey dont étions deux fans.
Au cours de nos vies, lors de soirées bien arrosées nous avons tous inventé des spectacles merveilleux, des émissions télé surprenantes et des films qui auraient pu gagner tous les Oscars. Presque tous ces projets ne survivent pas la nuit, car le lendemain on découvre tous les défauts ou on se rend compte de tout le travail et l’argent à trouver que cela implique et on se décourage et laisse tomber, ou tous simplement on ne s’en souvient plus. Mais cette fois- ci c’était différent. Le lendemain, nous étions aussi prêt à travailler et aussi enthousiastes que la veille. Nous nous sommes retrouvés le lendemain pour le train quotidien du zoo avec la ferme intention de réaliser notre projet pour quatre soirs. Nous devions maintenant dresser une liste des comédiens que nous pourrions intéressé et embarqué dans l’aventure. Nous avons repris notre délire exactement ou nous nous étions laissés la veille. Puis après notre travail d’intendance, nous sommes allés diner au snack bar la Charade, coin Bonsecours et Notre-Dame afin d’élaborer une liste des rôles nécessaires et qui ferai quoi en plus d’improvisateurs-trices pour composer au moins deux équipes prêtes à se lancer dans l’arène. Nous venions de décider de créer officiellement la Ligue Nationale d’Improvisation. Restait maintenant à Robert à vendre notre idée à ses partenaires du Théâtre Expérimental de Montréal, Jean-Pierre Ronfard et Pol Pelletier.
Enfin j’ai encore souvenir de l’odeur de ferme laissé par notre zoo démantelé lorsque par un beau samedi ensoleillé du mois d’août, nous avons rencontré dans le local vide, notre premier comédien à accepter de se jeter dans le vide avec nous et devenir un joueur marquant soit : Gaston Lepage.
Après le premier match du vendredi 21 octobre 1977 à minuit, nous nous sommes tous retrouvés à faire la fête comme il se doit pour le restant de cette nuit froide et pluvieuse d’automne. Le succès était si immédiat et imprévisible que nous étions déjà assaillis par de nombreux comédiens qui voulaient créer leur propre équipe. Pour ce début, nos 4 représentations s’étirent jusqu’au début de janvier 1978 avec plusieurs moments marquants comme le match entre des étudiants des différentes écoles de théâtre et ceux avec la compagnie du théâtre de la manufacture ainsi qu’avec le grand cirque ordinaire, légendaire compagnie qui présentait des spectacles d’impro très courrus et qui réussissait à remplir le théâtre Outremont, un grand exploit dont j’ai encore de mémorables souvenirs.
Enfin, les projets se multipliaient dans nos têtes dont celui d’intégrer la télévision et de parcourir le monde.
Un autre grand moment est justement celui de cette première captation vidéo que j’ai réalisé avec Jean-Pierre St-Louis et la Coop vidéo de Montréal. À l’intérieur de cette émission de 60 minutes, il y a cette entrevue classique avec Robert au coin de son sapin de noël, où nous nous amusons à projeter la LNI dans le temps et à travers la planète, en différentes langues.
Que de kilométrages parcourus pendant ces 40 années sur quasiment tous les continents. Quand je suis parti en France pour la première fois avec ma petite valise et mes rouleaux de 20 centimes pour essayer de vendre un show sans scénario en faisant des appels à partir d’une cabine téléphonique devant le théâtre de l’Odéon à Paris parce que j’immobilisait le standard de l’hôtel. Personne aurait dit que le Match d’Impro de deux ti-culs québécois serait aujourd’hui joué dans plus de 30 pays en 8 langues!! Enfin, lors de la prochaine semaine de la francophonie en mars 2018 sera présenté la première Coupe Africaine d’Improvisation théâtrale à Kinshasa en République Démocratique du Congo. Des équipes de six différents pays Africains s’y retrouveront histoire de se donner du courage collectivement pour affronter les conflits et les inégalités qui sont malheureusement leur lot quotidien. Je suis encore très ému par leur dernier courriel m’y invitant pour me remettre une médaille pour la création du Match d’Impro qui aide à la survie de jeunes africains.
Cher Robert, on ne l’avait pas imaginé celle-là, à moins que de là ou tues, tu continues à propager ces valeurs qui nous ont toujours animées bien au-delà des idées mercantiles trop présentes dans les milieux artistiques actuels.
Yvon Leduc