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Boston et l’incohérence des valeurs conservatrices

Lundi dernier, dans la foulée des explosions à Boston, Justin Trudeau donnait une entrevue à l’émission The National. La question était inévitable: Si vous étiez premier ministre du Canada, comment auriez-vous réagi face à la tragédie ?

Et Justin de répondre (je paraphrase) :
« En premier lieu, j’offrirais du support, mes sympathies et condoléances, et toute l’aide nécessaire, comme après le 11 septembre, tout le support matériel nécessaire (…) au cours des jours suivants, nous devrions regarder les causes fondamentales (« root causes »). À ce moment, on ne sait pas ce qui s’est passé, si c’était du terrorisme, ou un fou (…) Mais une chose est sûre, ce genre d’évènement survient parce que quelqu’un se sent complètement exclu, en guerre contre des innocents (…) Notre approche devrait être, d’où viennent ces tensions ? »

Évidemment, quelques heures à peine après le drame, une réponse aussi relativisante avait le potentiel de déclencher des réactions émotives fortes. Le lendemain, l’actuel premier ministre M. Harper sermonnait le jeune Trudeau (encore, je paraphrase):
« Lors de tels évènements, lors d’une telle violence, on ne s’assoit pas en essayant de rationaliser, de faire des excuses, ou de comprendre les causes fondamentales. (…) On doit condamner les actes vigoureusement et s’occuper des personnes responsables aussi sévèrement que possible. »

S’occuper des personnes responsables aussi sévèrement que possible. Voilà qui a de quoi faire vibrer notre fibre animale. En gros, à la violence inouïe, on doit répondre avec une sévérité inouïe.

Évidemment, les commentateurs ont rappliqué: le National Post et le Globe and Mail ont tous deux condamné vigoureusement la position « laxiste » de Trudeau. Aux États-Unis, certains politiciens ont pris une approche encore plus sévère et demander publiquement que les suspects ne bénéficient pas des protections constitutionnelles habituelles, et soient même traités comme des « combattants ennemis » selon les termes du droit de la guerre. Ouf!

Les jours suivants, ceux optant pour la sévérité en ont eu pour leur argent. La ville de Boston fut littéralement bouclée et plus de 9 000 policiers et militaires (!) ont envahi les rues pour traquer les fugitifs. Pendant près de 24 heures, Boston était une zone de guerre, sans liberté. La ville a interrompu son rythme de vie. Les images de chars blindés avec soldats armés défilant occupant la ville ont fait le tour du monde. On se serait cru en Syrie. Dans le domaine de la sévérité inouïe, on fait difficilement mieux.

C’est ici que le bât blesse. Selon les valeurs conservatrices, il est difficile d’appeler à la « sévérité inouïe » de la part de l’État, tout en étant réfractaire par rapport au pouvoir même de l’État. Par exemple, l’inénarrable Jonathan Kay du National Post, après s’être rué pour condamner Trudeau et encourager le réflexe autoritaire de Harper, semblait tout penaud de voir la sacrosainte liberté individuelle réduite par la démonstration de force de l’État américain.

En moins de quelques jours, l’opinion publique conservatrice a voulu la répression, puis s’est offusquée de cette répression. C’est rare que l’incohérence d’une idéologie se manifeste aussi vivement.