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Vaut mieux être hétéro et en santé que gay et malade: le poids des mots (et des récompenses)

Le 18 mai dernier, le nouveau Guide DSM-V était publié par l’American Psychiatric Association. La même semaine, l’université McGill annonçait l’octroi d’un doctorat honorifique à la philosophe Judith Butler — dont l’oeuvre est très critique de la définition psychiatrique de l’orientation sexuelle dans le DSM. 

Le DSM, abréviation anglaise pour Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, établit la nomenclature de la psychiatrie depuis 1952. En d’autres mots, comme une encyclopédie, le DSM catégorise les « troubles mentaux » et les critères avec lesquels les psychiatres les identifient.

S’il y a une certaine ironie à voir la consécration simultanée du DSM et de Mme Butler, cela atteste surtout du chemin parcouru depuis les années 1950, autant dans le domaine de la santé mentale que dans l’acceptation de la diversité sexuelle.

Par exemple, les éditions DSM I et II, en vigueur entre 1952 et 1968, établissaient que l’homosexualité constituait une maladie mentale — un « trouble de l’orientation sexuelle » auquel la psychiatrie pouvait heureusement (!) fournir des pistes de guérison.

En 1980, le DSM-III a remplacé le terme « troubles de l’orientation sexuelle » par « orientation sexuelle égodystonique » . En gros, le désir de changer de sexe.

En 2013, le DSM-V parle plutôt de « dysphorie du genre ». Comme quoi on n’arrête pas le progrès.

De son côté, Judith Butler s’est fait connaître dans les années 1980 en analysant l’identité et l’orientation sexuelle d’abord comme des actes d’interprétation (performance) influencés par la culture. Le contexte social aurait plus d’impact que nos organes génitaux dans les désirs. En fait, nous serions tous un peu acteur un peu tout le temps.

En termes concrets, Butler a beaucoup contribué à relativiser le poids des mots. Avant d’être fondamentalement défini en tant que femme/homme/hétéro/gay/bi/tout-ce-qu’on-peut-imaginer, l’individu évolue en s’inspirant des modèles qui l’entourent. Le message sous-jacent: les « troubles de genre » ne sont certainement pas des maladies ou des aberrations.

Qui sait, en 2073, le DSM-X parlera peut-être de « cisphorie du genre », le fait d’une identité/orientation sexuelle trop conformiste…

Le doctorat honorifique de Butler est une belle reconnaissance de son oeuvre intellectuelle, et un encouragement à l’ouverture d’esprit face à la marginalité.