Patrice Sauvé, réalisateur de Cheech |
Comme bien des gens, j'ai été vraiment mal à l'aise d'entendre Patrice Robitaille varloper le critique du Soleil Normand Provencher à Tout le monde en parle – depuis, les deux se sont réconciliés autour d'une bière et tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil de nouveau -, plus encore, à l'instar de mon confrère de La Presse Marc-André Lussier, ce qui m'a fait sortir de mes gonds, c'était d'écouter Patrice Sauvé (un gars hyper sympa qui trippe sur le cinéma), Patrice Robitaille et Macha Limonchik descendre en peu de mots Le Goût de la cerise d'Abbas Kiarostami et Free Zone d'Amos Gitai.
Le Goût de la cerise |
Voici un extrait de la chronique de Lussier que je vous invite à lire:
Plutôt que d'essayer de comprendre la démarche du cinéaste, on a préféré parler du sujet «déprimant» autour duquel le récit s'articule, et se souvenir de la «rage» ressentie à l'idée que ce film «plate» avait obtenu la Palme d'or à Cannes. Même chose pour Free Zone d'Amos Gitai (pour lequel Hanna Laszlo a obtenu le prix d'interprétation féminine à Cannes l'an dernier), un film «plate et vraiment déprimant», selon Patrice Robitaille; «vraiment mauvais», selon Macha Limonchik. Ne cherchez pas plus loin un semblant d'argumentation pour étayer un peu le propos; le discours critique est ici inexistant.
L'ironie dans toute cette affaire, c'est que ces mêmes artistes réclament pourtant des critiques «constructives» (pour construire quoi au juste?) reposant sur une argumentation solide et mûrement réfléchie. J'ose à peine imaginer les hauts cris que pousseraient ces gens si les chroniqueurs utilisaient dans leurs papiers ou dans leurs topos les mêmes formules creuses et lapidaires que celles entendues dimanche pour qualifier des oeuvres pourtant très réputées.
Je vous invite également à ce très bon texte d'André Habib paru dans le Devoir dont voici un extrait:
Qu'un cinéaste soit «enragé» devant un film aussi lumineux et aussi important pour l'histoire du cinéma que Le Goût de la cerise paraît déjà incompréhensible et en dit long sur la vision du cinéma qu'il défend; qu'un acteur fétiche ne trouve rien de mieux que le qualificatif «plate» pour parler d'une oeuvre peut-être difficile mais réalisée par un cinéaste contemporain de premier plan qui a plus de 30 ans de métier derrière la cravate exprime bien le raffinement critique dont il est pourvu. Mais après tout, comme le pense et nous le dirait ce tribun du vox populi Guy A. Lepage : «Écoute, chum : y a droit à son opinion, t'as droit à la tienne !» Dans leur monde, une discussion critique devrait ressembler à peu près à ça.
Le plus embêtant, c'est que derrière tous ces propos, on retrouve une haine sourde envers tout ce qui semble dépasser l'intimité de la «grande famille» rassurante de la télé et du cinéma au Québec, un mépris violent également pour ceux qui constituent à leurs yeux une élite déconnectée de la «vraie vie», des «vraies affaires», du «vrai cinéma», de la «bonne télé» : car les mêmes qui ont décerné la palme au Goût de la cerise ne sont-ils pas après tout ceux qui ont dit du mal de Cheech ?
Free Zone |
Personnellement, je me rappelle avoir été séduite par Le Goût de la cerise, notamment grâce à l'originalité et la franchise avec lesquelles Kiarostami abordait le suicide, et déçue par Free Zone parce que je trouvais les personnages féminins un peu trop schématiques, mais jamais je n'aurais osé dire que c'était mauvais! Ça m'énerve de voir des gens prendre plaisir à cracher sur le cinéma d'auteur et j'aimerais bien connaître votre opinion là-dessus.
On peut dire en effet que les deux Patrice ont quelque peu dérapé sur le plateau de TLMEP. Ils ont été expéditifs dans leurs critiques, tout comme l’avait été Normand Provencher dans la sienne (ce qui est normal, vu le contexte d’un festival). Les deux clans ont «fait de l’effet», comme l’a résumé Robitaille dans le nécessaire entretien qu’il a pu avoir avec Provencher. Fin de l’esclandre.
Ce qui ne nous empêche pas de poursuivre la réflexion. Je n’ai vu ni «Le Goût de la cerise» ni «Free Zone» (oui, je suis en retard!), mais je sais qu’ils ont été célébrés par la presse. Est-ce à dire que les critiques de cinéma seraient plus aptes à apprécier un film d’auteur? Je ne crois pas. Mais je me risque à une nuance. Les critiques seraient plus aptes à le décoder, à mettre des mots sur leurs simples impressions de spectateur. Le public «normal» ne se force pas à analyser sa réaction et sa position par rapport à l’oeuvre qu’il vient de découvrir. Il n’en est pas dénué de sens critique pour autant. Mais il se manifeste plus discrètement, entre quelques phrases échangées à un ami pour le convaincre ou le dissuader d’aller voir un film. Le fameux bouche à oreille.
Le journaliste doit aussi vivre avec «le paradoxe du spectateur». Il doit être un bon public, à savoir qu’il doit s’abandonner suffisamment pour être en mesure de «vivre» le film; cependant, il est payé pour avoir un certain recul, s’il veut juger la production à partir de critères objectifs, donc sans verser dans les commentaires impressionnistes. Le bon critique saura départager juste ce qu’il faut ses goûts personnels de la qualité réelle d’une oeuvre. Il en va de même du cinéphile, pour qui c’est un réel plaisir de s’arrêter pour réfléchir au sens et à la pertinence d’un film d’auteur.
Je crois que c’est ça, la source de ce mépris: notre société ne reconnaît plus l’importance de respirer. Et le film d’auteur, par définition, demande un effort au spectateur. Et comme on est à l’ère des surgelés…