« On savait que c'était drôle, mais pas à ce point-là ! » s'était écrié Patrick Huard au public hilare lors de la soirée de clôture de Fantasia où l'on venait de présenter Bon Cop, Bad Cop d'Érik Canuel.
J'imagine qu'il a eu une réaction semblable en apprenant que ce Lethal Weapon made chez nous en français et in English venait de fracasser le record canadien maintenu par Porky's (vous savez cette grosse connerie mettant en vedette Kim Cattrall à qui l'on donnait le surnom de Lassie en raison de ses cris d'amour) depuis 1982 avec 11,2 millions – peu avant, le film avait battu le record québécois de 9 millions de Séraphin.
Pour les amateurs de chiffres, ça fait donc 9 013 345$ d'entrées au Québec + 2 342 142$ d'entrées au Canada = 11 355 487$! Parlant de chiffres, avez-vous lu cet article de Stéphane Baillargeon dans le Devoir à propos du fétichisme de la statistique culturelle?
La combine remonterait à Jaws, de Spielberg, au milieu des années 70, un très bon film au demeurant. Les Dents de la mer a empoché sept millions à son premier week-end et les patrons du studio ont vite compris que cette seule donnée constituait un leurre à médias. Les résultats ont été diffusés. Depuis, le truc a été répété ad nauseam. Soit dit en passant, le même Spielberg répète qu'en retenant le nombre d'entrées plutôt que les revenus, son film E.T. demeure le plus populaire de l'histoire.
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Au moins, au Québec, on a aujourd'hui un Observatoire de la culture et des communications pour produire des données fiables. On ne peut pas le regretter, et les professionnels des arts réclamaient la production de données fiables depuis des années. Seulement, la seule création de cette machine à produire des données s'inscrit un peu dans le mouvement fétichiste de la marchandise, non?Ce n'est d'ailleurs pas innocent ni sans conséquences. Téléfilm Canada distribue maintenant des primes au rendement aux guichets. Il s'en trouve du côté des éditeurs pour réclamer une telle mécanique dans le domaine du livre. Les animateurs de radio qui ne livrent pas l'auditoire sont chassés des ondes. TVA a euthanasié la série Vice caché malgré sa santé appréciable, avec près d'un million de téléspectateurs. L'accent mis sur les plus profitables a des effets pervers jusque-là. La culture se transforme en terrain darwinien, mais il s'agit d'un darwinisme particulier, néoconservateur à souhait: ce ne sont plus les mieux adaptés mais les plus forts et les plus rentables qui survivent, avec la bénédiction de l'industrie des médias concentrés et du public.
Chacun devient un critique, dit-on parfois. Chacun se transforme aussi en directeur de studio de production. Au bout du compte, comme le citoyen, le cinéphile se métamorphose en consommateur, tout simplement. Triste époque.
Dites donc, m'sieur Falardeau, ça vous dirait de faire une suite à ça, genre Bon Cop, Bad Cop : Séraphin & Porky's Strike Back ?