Je viens d'apprendre que l'un de mes acteurs préférés s'est éteint : le grand Philippe Noiret est décédé à 76 ans des suites d'un cancer. Je vous jure, j'ai la larme à l'oeil au moment où j'écris ces lignes. En septembre 2003, j'ai eu le grand bonheur de rencontrer Noiret lors de son passage à Montréal alors qu'il venait promouvoir le film de Michel Boujenah Père et fils et présenter son spectacle consacré à Victor Hugo. Voici le texte :
Profitant de son passage à Montréal pour faire la promotion de Père et fils, premier long métrage du comédien-humoriste Michel Boujenah, Philippe Noiret présentera sur la scène du Monument-National Les Contemplations, spectacle intimiste où le grand acteur nous fait redécouvrir la poésie de Victor Hugo. Rencontre. De haute stature, vêtu avec une élégance singulière, Philippe Noiret fait une entrée discrète mais néanmoins remarquée dans le hall de l'hôtel où il séjourne. Dès que sa voix, si riche et reconnaissable entre toutes, envahit les lieux, des milliers d'images surgissent à l'esprit, de Zazie dans le métro de Louis Malle aux Lunettes d'or de Giuliano Montaldo, en passant par Coup de torchon de Bertrand Tavernier. Avec une bonhomie presque nonchalante, il se prête gracieusement à l'exercice de l'entrevue, avouant que c'est à la lecture du premier jet du scénario de Père et fils, écrit par Pascal Elbé, Edmond Bensimon et Michel Boujenah, qu'il a voulu faire partie de cette aventure: «Je savais que quelqu'un qui écrit des récitals est quelqu'un qui travaille, on ne peut pas monter des spectacles de deux heures sans être quelqu'un de travailleur. Je me suis dit: on peut y aller, car Michel Boujenah allait mettre la même énergie dans son film.»
Cette énergie, on la retrouve tout au long de Père et fils, un film chaleureux et sympathique, à l'image de Boujenah qui avait séduit les Québécois en présentant un numéro à la fois drôle et touchant sur son père au Festival Juste pour rire il y a une quinzaine d'années. Avec une truculence irrésistible, Noiret y incarne Léo, un père veuf qui décide d'emmener ses trois fils (Charles Berling, Pascal Elbé et Bruno Putzulu) au Québec pour voir les baleines, dans le but de les réconcilier. Pour y arriver, Léo devra leur faire croire que son état de santé est précaire. Lors de leur périple au Québec, ils croiseront des personnages colorés, voire pittoresques, interprétés par Pierre Lebeau et les délicieuses, pour reprendre l'expression de Noiret, Geneviève Brouillette et Marie Tifo. Contrairement aux autres coproductions franco-québécoises, on a permis aux acteurs québécois de préserver leur accent: «Mais c'est la moindre des choses, s'exclame Noiret, ça doit être très agaçant de ne pas reconnaître son accent!» Vous êtes-vous reconnu dans ce personnage que vous qualifiez de gentil voyou, ce Léo qui fait un pied de nez à la mort? «Les chemins qui vous mènent à un personnage sont à la fois les vôtres et ceux du personnage, explique le comédien septuagénaire, alors on essaie de faire coïncider les choses. Rendu à un certain âge, on n'a plus ce sentiment d'urgence, car ce n'est pas la peine de se presser, on va y arriver de toute façon, sauf qu'on a une façon de savourer les choses auxquelles on ne faisait pas attention 20 ans auparavant parce qu'elles nous paraissaient aller de soi.» La rencontre entre les Français et les Québécois s'est bien déroulée? «Oui, car du côté français, ce sont des gens qui ont été marqués par la comédie à l'italienne, ce mélange de drôlerie, de dérisoire et de dérision, une tradition à laquelle j'ai un peu appartenu bien que je sois un homme du Nord. Au Québec, vous avez un côté méridional, naturellement expansif; on s'est donc régalé tous ensemble et on a passé des moments absolument agréables. Nous sommes même restés en contact.» DU THÉÂTRE AU CINÉMA Vous vous définissez comme un acteur de théâtre qui a bien réussi au cinéma. Qu'est-ce que l'un a apporté à l'autre, et vice versa? «C'est difficile d'analyser ça, surtout que je ne suis pas très bon dans l'autoanalyse… commence Noiret. Disons que la scène nous apprend à aborder les personnages, à les travailler en profondeur. Le théâtre nous apprend aussi une certaine discipline technique concrète, à respirer large, ce qui n'est pas interdit au cinéma, contrairement à ce qu'on pourrait croire. Dans l'autre sens, le cinéma m'a apporté, quand je travaille pour le théâtre, une façon de préparer les choses en les laissant venir, en me laissant porter par le jaillissement et la spontanéité.» Le théâtre, c'est le lieu privilégié pour rencontrer les grands auteurs, comme Shakespeare et Musset que vous avez joués. Est-ce cela qui vous a poussé vers la scène? «Ça a beaucoup joué, avoue Noiret, d'abord parce que c'est une formation formidable. D'ailleurs, quand je suis remonté sur scène après 30 ans, c'était ce qui me manquait vraiment, le plaisir physique de la langue. Un plaisir que vous n'avez pas toujours au cinéma.»
Pourtant, en parcourant l'imposante filmographie de Philippe Noiret, laquelle ne compte pas moins de 120 films, on retrouve bon nombre d'écrivains, dont Balzac (Chouans! de Philippe de Broca), Mauriac (Thérèse Desqueyroux de Georges Franju) et Simenon (L'Horloger de Saint-Paul de Tavernier). En plus d'avoir incarné Neruda dans Il Postino de Michael Radford, Noiret s'est fait le narrateur du très beau film de Frédéric Back, L'Homme qui plantait des arbres, d'après un récit de Gionno. Au même titre que la peinture et la sculpture, Noiret révèle que la lecture occupe une place de choix dans sa vie. Depuis une cinquantaine d'années – «Je suis un lent!» lance Noiret -, il rêvait de lire Hugo sur scène, comme l'avait fait le grand John Gielgud avec l'oeuvre de Shakespeare. LE PLAISIR DE LIRE Seul sur scène, cahier à la main, Noiret lit des extraits des Contemplations de Victor Hugo, des textes qu'il a choisis arbitrairement, se laissant mener par les émotions qu'ils véhiculent plus que par ce qu'ils racontent. Des six livres des Contemplations, l'acteur a jeté son dévolu sur le poète nostalgique chantant ses premières amours, le père pleurant la mort de sa fille Léopoldine et l'homme en exil tonnant contre l'injustice. Pourquoi vouloir lire Hugo? «Je trouve que c'est un grand auteur, un génie méconnu. Tout le monde le connaît sans vraiment le connaître. Certes, il a un côté agaçant pour les intellectuels, il avait une telle facilité. En fait, c'est un grand auteur populaire.»