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Ces derniers jours, on m'a encore demandé ce que je pensais du film de Denys Arcand. De mémoire, je crois que c'est la première fois qu'on me parle autant d'un film. Puisque j'ai à peine esquissé ce que j'en ai pensé, voici donc ma critique.

 

Si L'Âge des ténèbres avait été en compétition, Marc Labrèche aurait très bien pu se colleter avec Javier Bardem et Mathieu Amalric pour le prix d'interprétation masculine car celui qui nous a habitué à ses envolées poético-absurdes et à ses rôles excessifs dans Le Coeur a ses raisons (saviez-vous que les Français le connaissent pour son interprétation de la belle et sensuelle Brendaaa « Faites l'étoile » Montgomery grâce à YouTube?), s'avère bouleversant dans les scènes déchirantes qu'il partage avec Françoise Gratton. Dans le registre comique, il semble avoir mis la pédale douce, jouant sur un mode beaucoup moins exubérant, mais tout aussi efficace, qu'à son habitude.

Malheureusement, si Labrèche, au sommet de son art, tient à bout de bras le Arcand nouveau, ce dernier volet, de loin le plus drôle mais le plus noir de la trilogie aux titres pompeux qu'affectionne le réalisateur, nous rappelle un proverbe : qui embrasse trop, mal étreint. Ainsi, en voulant embrasser trop de thèmes à la fois, Arcand effleure ceux-ci qu'il noie dans une suite de scènes d'un intérêt inégal. Campé dans un futur que l'on devine pas si lointain, Arcand trace un portait grinçant de notre société, laquelle régie par la performance professionnelle, est en pleine désintégration.

 

Afin de fuir ce monde, Jean-Marc Leblanc (Labrèche), fonctionnaire détestant son emploi, trompé par sa femme (Sylvie Léonard), ignoré par ses filles adolescentes, et dont la mère (Gratton) se meurt à l'hôpital, se réfugie dans les fantasmes. Et quels fantasmes!

 

Vous en connaissez beaucoup d'hommes qui s'imaginent chantant de l'opéra sous les traits de Rufus Wainwright à une Diane Kruger lovée dans des draps que lui aurait enviés Schéhérazade? Moi, aucun. On dirait un fantasme de midinette se gavant de romans Harlequin.

Et que dire de ce faux voyage dans le temps? Effet du hasard? C'est pendant cette trop longue séquence moyenâgeuse, le héros étant convié par une jolie dame (Macha Grenon) à un week-end médiéval, que certains journalistes (environ une quinzaine au total) ont filé à l'anglaise. Lors de la conférence de presse, Arcand expliquait ne pas comprendre cet engouement pour le Moyen Âge. Eh bien, ce n'est pas avec cette fastidieuse et assommante séquence qu'on le saura. On retiendra cependant la prestation de Jean-René Ouellet dans la peau d'un policier se prenant pour saint Bernard.

 

Aussi, était-ce vraiment nécessaire ce passage à la défunte émission française Tout le monde en parleHardisson et Baffie ont l'air de deux pions dans le décor de Lepage et Turcotte. À la limite, on aurait préféré un caméo de ces derniers. mais il est vrai qu'ils sont peu connus dans l'Hexagone.

D'ailleurs, qu'en est-il des stars européennes dans tout ça? Eh bien, Kruger est belle comme une déesse, et Emma de Caunes, dans la peau d'une jolie journaliste people, se tortille pour enlever sa culotte dès que Labrèche entre en scène. J'imagine qu'elles n'ont pas eu à relire Stanislavski. En fait, le problème avec L'Âge des ténèbres, c'est le trop grand décalage entre la part onirique et la part réaliste qui devaient se faire écho, se compléter. Or, le burlesque pataud des scènes fantasmées – les sketches d'humour, aurais-je envie de dire – , nuit à l'humour corrosif des scènes illustrant le quotidien de Jean-Marc, particulièrement celles où on le suit au travail, où l'on sent le regard pénétrant et allumé du sociologue et historien qu'est Arcand.

En résulte un film que ne convainc finalement qu'à moitié et dont l'apparition de personnages récurrents, le prof d'histoire du Déclin de l'empire américain (Pierre Curzi) et le prêtre de Jésus de Montréal (Gilles Pelletier), nous ravit tout autant qu'elle nous rappelle cruellement que L'Âge des ténèbres s'inscrit comme une oeuvre mineure dans la filmographie admirable d'Arcand. C'est à se demander si ce n'était pas la tendance cette année alors que d'autre grands réalisateurs (Wong Kar Wai, Tarr, les Coen, Sokourov, etc.) ont présenté des oeuvres inférieures à leurs oeuvres précédentes lors de cette 60e édition du Festival de Cannes.

 

Enfin, s'il a avoué qu'il s'agissait bel et bien d'une version définitive, souhaitons tout de même que le cinéaste fasse quelques passages à la salle de montage. Après tout, la version internationale des Invasions barbares était beaucoup mieux que la version québécoise, alourdie de scènes d'un humour sans finesse. Cela dit, j'ai bien hâte de revoir ce film dans un contexte moins étourdissant que Cannes.