Dimanche soir, contrairement aux 655 000 spectateurs qui ont regardé la 10e édition des Jutra, je n'étais pas devant la télé, mais bien à la salle de presse de Radio-Canada où je tentais, armée de mon inoffensif calepin, de recueillir quelques réflexions à chaud des gagnants à travers la jungle de caméras et de micros.
C'est donc dire que je n'ai pas vu le gala intégralement, bien que de temps à autre, je regagnais ma place près de l'écran plasma géant diffusant le gala sans les pubs. Eh non, je n'ai pas vu les pubs des Cinémas Guzzo, donc, je n'ai pas saisi toute l'ironie de la remarque de Guylaine Tremblay à propos de leur refus de présenter Contre toute espérance de Bernard Émond : «C'est pas fin, ça. Les gens qui veulent voir ce film aiment le popcorn aussi…»
J'ai bien vu le montage d'extraits de films en début de gala et je suis tout à fait d'accord avec Hugo Dumas de La Presse, qui reproche aux concepteurs de ne pas avoir identifié chaque film. Les concepteurs auraient dû penser que les galas sont souvent vus pas des publics de tous âges et que devant tant d'images tirées de notre patrimoine cinématographique, même le plus averti des cinéphiles peut avoir quelques trous de mémoire… Idem pour l'hommage à Jean-Claude Labrecque. Ce n'est pas tout le monde qui peut se vanter de connaître par cœur la colossale filmographie de ce grand homme d'images, qui nous promet encore 10 ans de cinéma en sa compagnie.
Contrairement à bien des spectateurs, je me suis bidonnée en voyant les extraits du faux film de Normand Brathwaite, Brume de nuit, et j'ai bien ri en écoutant le faux discours de remerciement de Louise Marleau, l'un de mes moments préférés du spectacle. C'était rafraîchissant de voir cette actrice se moquer de son image et débiter 1001 clichés. À ceux qui ont trouvé terrible de faire attendre les actrices mises en nomination, ne venez pas me faire croire qu'elles n'avaient pas été averties de ce numéro.
Il faut bien s'amuser durant un gala, car ça devient lassant très vite d'entendre des gens ânonner des remerciements et massacrer notre chère langue, comme le suggérait mon distingué confrère du Devoir André Lavoie : «quelques notes griffonnées sur un bout de papier avant la cérémonie vous donneront une certaine contenance… et un discours digne de la beauté de la langue française, souvent la grande perdante de ces longues soirées.»
Je dois quand même avouer que les extraits de Brume de nuit auraient été meilleurs s'ils avaient été aussi brefs que les extraits des « vrais » films. Trop, c'est comme pas assez… Idem pour le numéro de Grégory Charles et d'Élizabeth Blouin-Brathwaite, que j'ai heureusement manqué!, qui reléguait complètement aux oubliettes les chansons en nomination.
Dans sa chronique d'aujourd'hui, Louise Cousineau révèle que plusieurs spectateurs se sont plaints de ne pas avoir compris le canular. Ben voyons donc! Me semble que c'était assez clair que c'était une blague. Aussi, elle n'a pas apprécié le fait que chaque équipe de film se retrouve chacun dans son nid, un peu comme aux Golden Globes où les artistes sont attablés par film ou télésérie. C'est vrai que ça fait un peu « guerre des clans », mais même cordés en rang d'oignons, les clans se mélangent peu.
Cela dit, pour m'être retrouvée accidentellement dans le studio 42 où se déroulait la soirée, j'ai eu l'impression d'entrer dans une maison de poupée. C'est tellement p'tit qu'il y a de gros bonnets du milieu qui ont dû se contenter de regarder le gala sur grand écran au Hyatt… Plus rassembleur que ça, tu meurs. Heureusement que le débonnaire Brathwaite, qui s'est permis de se moquer de Denys Arcand, le grand absent de la soirée, de Patrick Huard, qui a refusé de co-animer, et de l'abominable projet de loi c-10, n'avait que quatre co-animateurs sinon il y aurait eu plus de monde sur scène que dans la salle. Par ailleurs, c'est bien mignon d'inviter ceux qui ont précédé Brathwaite à l'animation, mais ont-ils été bien servis par le concept?
La chroniqueuse télé se demandait aussi «pourquoi ce rejet massif du milieu?» en parlant de la défaite crève-cœur des 3 p'tis cochons de Patrick Huard, qui, bon prince, est venu présenter le prix de la meilleure réalisation, catégorie dont il avait été écarté par les membres de l'ARRQ. Comme l'a si bien écrit ma consoeur du Devoir Odile Tremblay : «L'intelligence et le bon goût auront finalement eu raison hier soir des considérations d'ordre commercial». En fait, la question que l'on devrait se poser, c'est comment une comédie sans finesse ni personnalité comme Les 3 p'tits cochons ait pu obtenir 13 nominations.
Point positif que peu ont soulevé: les capsules où les gagnants du gala hors d'ondes ont pu faire leur petit boniment. Bernard Gariépy Strobl, l'un des lauréats du prix Meilleur son pour Soie de François Girard, a pu ainsi rendre hommage à son père, le regretté Hans Peter Strobl, et la maquilleuse de L'Âge des ténèbre, Diane Simard, a fièrement annoncé qu'elle fêtait ses 34 ans de carrière.
Plusieurs se sont fait taper sur les doigts parce qu'ils avaient remis en question le système de votation, tout en se faisant dire que ledit système était calqué sur celui des Oscars. Soit! De toute façon, il n'existe aucun système parfait et quand bien même qu'il existerait, il y aura toujours quelqu'un pour râler. Par ailleurs, cette année les Jutra ont partagé un autre point commun avec les Oscars, celui de voir son auditoire sensiblement chuter. En entonnant l'horrible chanson Think Big, les animateurs ne se doutaient sans doute pas qu'ils feraient «comme les Amaricains». Sur ce, comme l'a crié Réal Bossé, vive le cinéma libre!