Suite et fin des entrevues sur le film de Denis Villeneuve. La parole est maintenant au cinéaste, qui était étudiant en cinéma à l'UQAM lors des événements :
«Par rapport à la tuerie, je pense qu'on a mis la marmite et on a soudé ça et on n'a plus voulu y toucher parce qu'il y avait encore trop de colère liée à cela. Chez les hommes, il y a des fous comme il y a des gars ouverts d'esprit; à une autre époque, Marc Lépine aurait été nazi, aurait tué des Noirs, il a focussé sa colère, sa hargne sur les filles pour différentes raisons. Son geste est extrême, démesuré, sauf qu'il nous révèle une trace de colère et de peur dans l'inconscient masculin liée à l'idée de partager le pouvoir avec les femmes. Ça, ça existe, et quand tu n'en parles pas, ça sort d'autres manières.
Le geste de Lépine, c'est la pointe de l'iceberg de cette colère-là, mais pas de cette violence. Pour moi, dire que dans chaque homme sommeille un Marc Lépine, c'est imbécile. Marc Lépine, c'est la somme d'une addition monstrueuse. C'est quelqu'un qui s'est transformé en objet, en machine à tuer. Ce n'est pas simple. C'est pour cela que le film ne s'est pas attardé à trouver des raisons, des sources. Il aurait fallu que je fasse un gros, gros portrait du monsieur et ça, ça ne m'intéressait pas parce que je trouve que ce n'est pas une bonne idée de faire des portraits de ces gens. Ce que je trouvais de pertinent, c'était de voir l'impact que cela créait chez nous.
Pour moi, c'est un film de guerre. Une balle frappe une personne, mais une dizaine d'autres autour ont peur. La violence a touché tout le monde, tout le spectre de la société. Le geste m'a horrifié, mais j'ai été touché par le sentiment d'impuissance, d'humiliation qu'on ressenti les garçons. Les gars aussi ont reçu des balles, ce qui n'enlève rien à la misogynie du geste. C'était la confusion totale, les gars croyaient qu'ils étaient visés, les filles croyaient aussi que c'était eux que l'on visait. La police était morte de peur, personne n'osait entrer. Le son d'une arme semi-automatique est très impressionnant; l'équipe devait travailler avec des bouchons. L'impact, tu le sens dans ton corps, tes tripes. C'est un fusil de guerre.
Quand on m'a proposé de faire Polytechnique, c'est comme si on m'avait offert de tourner un film sur le Vietnam après Apocalyspe Now ou The Deer Hunter. Il a vraiment fallu à un point que je me dise "Fuck Elephant! Je vais faire comme s'il n'existait pas". Je me serais censuré… je ne pouvais quand même pas m'empêcher de faire des travelings avec des étudiants dans des corridors. J'étais obligé de revenir sur les lieux de la tuerie afin d'épouser les deux points de vue; d'ailleurs je l'avais fait dans Maelström.
La tension installée au début du film existe pour deux raisons : pour ressentir la violence du personnage et parce que je trouvais ça riche de donner un filtre au spectateur. Moi, j'ai été dérangé par Satyricon de Fellini; au début du film, on assiste à une pièce de théâtre qui crée une nausée, une peur, que nous gardons jusqu'à la fin. Avec la scène du début, qui n'était pas dans le scénario, c'est ce que j'ai tenté de créer.
J'ai essayé de mettre beaucoup d'amour dans la proposition, de faire un film épidermique, sensuel. Il y a un gros travail sur le mouvement, car il ne se passe pas grand-chose. Je n'avais jamais travaillé avec la steady cam. Avant le cadre était totalitaire, là, c'était l'être humain et la mise en scène qui prenaient le dessus.
Rendre hommage n'est pas le terme juste, je voulais rendre compte de ce qui s'est passé, créer une charge d'empathie qui traversent ces événements-là. Dans mes recherches, j'ai réalisé que les jeunes générations ne savaient pas trop de quoi on parlait et je pense qu'il s'agit d'un événement qui dit des choses sur la condition féminine et masculine. Cela dit, je pense qu'il y a plein de films à faire sur Polytechnique.»
Est-ce que le succès commercial d’un tel film va en amener d’autres? Exemple; la Caporal Lortie à l’assemblée nationale, Concordia avec Valrery Fabrikant, Dawson?
Je comprend qu’un cinéaste puisse vouloir « faire » des films, mais n’y a-t-il pas un danger que ce genre de film ne soit pris qu’au premier degré? Pour la représentation graphique de la violence et du frisson qu’elle procure? Si on voulait vraiment expliquer ce qui s’est produit, il faudrait plutôt dire que montrer…
« Cela dit, je pense qu’il y a plein de films à faire sur Polytechnique. »
Non seulement il y a plein de films à faire sur ce type d’événements tragiques, mais je crois que l’on néglige toujours une chose dans l’analyse de l’événement dramatique, dans l’observation sociale du drame de Polytechnique : le lieu.
On oublie de dire que le lieu physique, l’institution en elle-même, est un lieu méconnu et peu connu du public.
En fait, on devrait faire un documentaire sur Polytechnique Avant et Après les événements non pas d’un point de vue « faits divers » ou « human interest » mais d’un point de vue pédagogique.
On devrait, à l’ONF, avoir le courage de filmé les réactions des étudiants de l’époque mis en parallèle avec celles des étudiants d’aujourd’hui.
On devrait faire un travelling latéral sur la salle qui assiste à la projection du documentaire en cours de prod et VOIR quelle est la proportion de femmes et d’hommes dans les gradins.
On devrait faire un flash-back jusqu’au rapport parent, qui a non seulement donné naissance au CÉGEP, au Québec, mais aussi donné le ton de la pédégogie de la fin du XXe siècle en amérique majoritairement francophone et révolutionnairement « tranquille ».
On devrait interroger le document et se demander ce que l’on voulait faire exactement des étudiants du Québec.
Voulait-on former des penseurs ou des techniciens ?
Pourquoi voulait-on 60 % d’élèves s’en allant dans le cursus TECHNIQUE et 40 % dans le cursus GÉNÉRAL ou universitaire alors qu’on se retrouve avec le résultat INVERSE ?
Quelle est la position particulière de Polytechnique par rapport aux autres institutions d’enseignement au Québec ?
Quel est le point de vue répandu concernant des voies d’avenir au niveau de la formation professionnelle ou semi-professionnelle ?
Quelle est la proportion de gars dans ces orientations ? Comment y perçoit-on encore les filles dans ces orientations tradionnellement perçues comme étant pour « sous-homme » ?
Il y aurait aussi un parallèle intéressant à faire avec Fabrikant et son délire de persécution universitaire.
Pourquoi sa rage s’est-elle canalisée de cette manière contrairement à celle de Lépine ?
Pourquoi l’un tue et poursuit son discours en prison et l’autre tue ET se tue sans laisser d’explication ?
Question finale : pourquoi va-t-on à l’école et comment et pourquoi y enseigne-t-on comme on le fait à présent ?
Pourquoi autant de décrochage chez les garçons contrairement à une hausse du succès du côté des filles dans le cursus « normal » ?
Pourquoi oublie-t-on de mentionner ou de valoriser le raccrochage et de souligner au passage ce qui ne figure pas au professionnel et se qui figure au secondaire comme matière d’enseignement ?
Si « Polytechnique » est un « Apocalypse now », comme je le perçois dans le témoignage des ses créateurs et artistes participants, je crois que le système d’éducation québécois est bien plus dans la ligne de mire de l’objectif d’une nouvelle caméra que les relation hommes/femmes, d’après moi.
Et c’est probablement le plus gros tabou du Québec que de dire qu’en abandonnant l’enseignement Classique nous avons perdu énormément de notre Humanité dans notre manière d’apprendre et de nous intégrer dans le « marché du travail ».
Mais, justement, le « marché du travail » n’englobe pas le monde, c’est l’inverse qui est vrai.
Pourtant, on continue involontairement à faire croire le contraire, au Québec…
@ Steeve Boudrias
Croyez-vous vraiment qu’après votre série documentaire, on pourrait enfin comprendre les motivations profondes de Marc Lépine et enfin, passer à autre chose?
N’avez-vous pas l’impression que de révéler l’inadéquation d’un système d’éducation contribuerait à faire de Lépine « une nouvelle victime »?
Enfin, pourquoi un film sur Polytechnique? Pour le souvenir?
Polytechnique n’est qu’un prétexte à une exploration documentaire cinématographique philosophique.
C’est le système d’éducation qui a besoin d’être soigné, au Québec, bien avant quelques désaxés trigger happy.
Il faut VOIR au delà de l’anecdote pour perceVOIR l’examen à venir nécessaire pour arrêter de fabriquer des machines à payer des taxes et de l’impôt au lieu d’ÉLEVER des citoyens ou des consciences humaines.
Rénover l’éducation n’empêchera jamais un Marc Lépine de naître mais elle empêchera certainement un système d’éducation à cesser de se déployer commun un pléthore inconsciente de PROGRAMMES.
Les étudiants ne sont pas des machines. Les idées ne sont pas si abstraites, elle sont des entités vivantes, comme le dirait Platon… et ce n’est pas un hasard si un film Québécois de fiction se pose aussi des question sur l’université en s’intitulant … LE BANQUET.
Monsieur Boudrias,
Vous avez de bons arguments et vous devriez écrire une thèse sur l’histoire et les lacunes de l’éducation au Québec, au lieu de vous défouler sur un blogue…
De toute façon, les gens qui vont voir Polytechnique, se foutent bien des degrés seconds, tierces ou autres. Ils ne le crieront pas sur les toits, mais entre vous et moi, ils y vont pour satisfaire un niveau de voyeurisme incurable, digne des photos du journal de Montréal.
Je ne me défoule pas sur des blogues, je prends des notes sans gaspiller de papier.
Lorsque viendra le temps de monter le projet, je taperai mon nom sur google et hop ! je vais retrouver mes notes.
Merci du conseil quand même… et d’avoir pris le temps de me répondre.
Surtout avec le nombre de fautes de frappes et d’ortographes que je peux faire en parlant d’éducation… lol
L’enculage de mouches et le patinage philosophique de Villeneuve ne m’impressionne pas . Ce film en est un » émotif » et probablement payant pour les auteurs et les acteurs .
Du sang , du bruit et quelques réflexions pseudo-socialisante et le tour est joué !
Pour ma part je ne consommerai pas ce festival de mouchoir et de grosses larmes !