Voici en vrac quelques sujets qui ont été abordé durant l'entrevue d'une heure qu'a accordée Agnès Varda, qui jure devoir son énergie aux tisanes de camomille qu'elle boit en grande quantité, à une poignée de journalistes lors du Festival de Toronto l'automne dernier.
L'écriture des Plages d'Agnès :
«Je n'écrivais pas de jour en jour, mais de semaine en semaine. Surtout lorsque j'allais en Californie, c'était aux deux semaines. À Paris, j'ai tourné les trois premières semaines et puis, j'ai réfléchi sur ce que j'avais fait. L'écriture est partout : dans le tournage et le montage. Lorsque le montage le nécessite, je repars tourner ce dont j'ai besoin. Ensuite, je fais la narration, puis je change le montage auquel il manque quelque chose. En tout, j'ai travaillé six mois au montage.»
Sa façon d'écrire :
«J'ai toujours travaillé ainsi. Pour Daguerréotypes, documentaire que j'ai tourné en 1975, je l'ai écrit, je l'ai tourné dans la rue où j'habitais, puis, j'ai regardé les prises, etc. Pour Sans toit, ni loi, c'était différent. Je l'ai fait en un seul coup. À la fin des Plages, le lendemain de mon anniversaire, je dis que tout est déjà dans ma mémoire et c'est comme ça que je me souviens pourquoi je vis. Une grande part de ma mémoire est rattachée au tournage des mes films, donc, pour moi, c'est une façon de vivre. Durant 18 mois, j'ai travaillé sur les Plages, je ne faisais à peu rien d'autre que cela. C'est un long processus, quasi organique, qu'il faut laisser monter en soi petit à petit.»
Parler de soi :
«Au début, je n'osais pas parler de moi. Lors du premier montage, c'était aride, carré. Je ne disais que le minimum. Alors, j'ai tenté de raffiner le tout, tenté de trouver des images allégoriques qui illustreraient les pensées que je n'osais pas révéler. Je cherchais donc des images, des peintures pour traduire mes émotions et mes expériences.»
Le work-in-progress
«Lorsque je dis dans les scènes sur mon enfance que c'est raté, ce n'est pas de la critique, c'est un constat. Quand c'est raté, c'est raté ! Je crois que j'ai fait la bonne chose en incluant cette scène ; c'est une allégorie de ma journée. Comme cette maison construite avec des bouts de films rejetés ; c'est une maison faite d'échecs, c'est merveilleux ! Cela fait penser à chanson pour enfants "sa maison est en carton, ses escaliers sont en papier ". En partant d'une blague, j'ai construit quelque chose qui fait sens. C'est pour cela que je ne dis pas que le cinéma est une carrière, mais bien une manière de vivre. J'ai voulu inclure dans le film les gens et les choses que j'aime, tout en parlant à travers les autres de mes propres sentiments.»
Jacques Demy
«La fin du tournage de Jacquot de Nantes a été très éprouvante puisque Jacques est mort peu de temps après. La famille était là pour le soutenir, mais à l'époque, le sida était une condamnation à mort, ce que Jacques a accepté avec grâce. C'est toujours douloureux de voir ces images, mais elles devaient faire partie du film et je devais raconter cela d'une façon sereine. Le sida, à l'instar de l'excision, est encore un sujet tabou. J'avais l'impression de devoir en parler calmement et honnêtement. Être un artiste, c'est difficile, mais en même temps, c'est une façon d'échapper à une certaine forme d'engagement. Ce n'est pas tout le monde qui veut être une mère Teresa.»
La mémoire
«J'ai l'énergie d'aimer la vie. Pourtant, je suis vieille et je perds la mémoire comme ma mère. J'espère que je le ferai de la même façon qu'elle, c'est-à-dire en disant aux gens de ne pas s'inquiéter de mes erreurs. Ma sœur souffrait du fait que ma mère mêlait les noms des membres de sa famille, qu'elle était devenue mythomane ; moi, je lui disais de ne pas s'en faire, car notre mère était libre et que nous n'avions qu'à en rire. Je disais à Mathieu de rire parce que ma mère ne faisait rien de mal puisqu'elle était libérée de la vérité. La femme de l'un de mes amis n'arrive plus qu'à réciter de la poésie, Valéry et Baudelaire, et je trouve ça très beau. C'est une autre façon de voir la vieillesse et la perte de mémoire ; il faut seulement s'ajuster. Je ne crois pas que ma mère souffrait ; elle était perdue dans ses souvenirs, c'est tout.»
Chris Marker
«Je lui ai demandé si je pouvais utiliser un chat pour le représenter. Il n'a pas encore vu le film, mais comme il est venu chez moi durant le tournage, il sait de quoi a l'air Guillaume le chat d'Égypte. Presque chaque jour, Chris m'envoyait un dessin par la poste. Comme il ne voulait pas être dans le film ou être pris en photo, il est plus vieux que moi, je trouvais donc l'idée de le représenter en chat était bonne. Dans le film, je lui fais poser des questions toutes simples – il s'exprime de façon plus élaborée – sous prétexte que cela m'aidait à amener sur le tapis différents sujets. Tout cela est faux et même temps cela témoigne de mon amitié et de mon admiration pour Chris.»
Alain Resnais
«Lorsque j'ai rencontré Chris Marker et Alain Resnais, moi qui ne connaissais rien au cinéma, j'étais très impressionnée, ils étaient si brillants. Resnais m'a beaucoup appris sur le montage; un jour, il m'a tout simplement dit: "tu sais, il y a une cinémathèque à Paris, tu devrais peut-être aller y voir des films…" Évidemment, j'avais vu quelques films, mais à l'époque, il n'y avait que la peinture et le théâtre qui m'intéressaient. Au fond, mon ignorance et ma naïveté m'ont donné une grande liberté puisque je n'avais pas fait d'école de cinéma pas plus que je n'avais été assistante-réalisateur. J'ai beaucoup d'admiration pour les aspirants réalisateurs qui étudient le cinéma.»
Quand j’ai vu ton titre, j’ai cru un instant que tu avais eu un tête-à-tête avec Varda Étienne… 🙂