Au moment où j'écris cet article que vous trouverez en version abrégée dans nos pages ce jeudi, le Festival n'était pas encore commencé. De fait, on n'avait même pas fini de poser l'incontournable tapis rouge! Et pourtant, devant le Palais des Festivals, plusieurs journalistes, badge au cou et sac au dos, avaient déjà le nez plongé dans leur programme, lequel n'a jamais paru aussi alléchant depuis les cinq dernières années.
Dans les kiosques à journaux, les Première, Studio et Ciné-Live étaient toutefois absents. "C'est pour quand la livraison?", se demandent les marchands. A la télé, on ne parle que de la crise – et accessoirement de la grippe porcine. Et le Festival de Cannes dans tout cela? Eh bien, ce n'est tardivement que les chambres luxueuses ont été réservées. Les stars et leur entourage auraient-elles voulu se garder une petite gêne en ces temps difficiles? Que nenni puisque les suites à 3000 euros la nuit du Majestic Barrière ne sont plus disponibles.
A défaut de pouvoir les apercevoir gravissant les escaliers les soirs de première, les Cannois pourront admirer les stars jusqu'à plus soif grâce à la 6e édition de Cannes fait le mur. Placée sous le thème de La Joie de vivre et la bonne humeur, l'expo propose 14 bannières sur chacune desquelles pose une star grand sourire aux lèvres – George Clooney, Hugh Jackman, Audrey Tautou, etc. Ne dit-on pas qu'un sourire est gatuit? Et en temps de crise, pas question de s'en passer!
Pourquoi revenir sur la crise puisque Thierry Frémaux, délégué général du festival, affirme dans le Nice-Matin du 12 mai: "Cannes ne connaît pas la crise"? A preuve, le "press office" du festival a enregistré une augmentation de 10% des accréditations. Quant aux hôtels, ils affichent tous complets. Et alors, pourquoi Isabelle Huppert, présidente du jury, n'est pas venue faire la fête au Carlton lundi soir? Choppard n'a pas voulu lui prêter de bijoux? Au dire de Frémaux, ce qui fait le plus mal au festival, ce serait la grève des scénaristes, d'où la présence de deux films américains en compétition, Inglorious Basterds de Quentin Tarantino et Taking Woodstock d'Ang Lee, contre cinq films lors de la précédente édition. Est-ce une si mauvaise nouvelle? Après tout, le cinéma asiatique et les films européens auront une plus large vitrine…
Trois à la Quinzaine
Parlant de statistiques: comment ne pas être fiers de la présence de trois Québécois à la Quinzaine?… Même si cela veut dire pour les journalistes québécois qu'ils devront courir pour rattraper Tzar de Pavel Lounguine ou Antichrist de Lars Von Trier, Looking for Eric de Ken Loach ou Irène d'Alain Cavalier, A l'origine de Xavier Giannoli ou The Time that Remains d'Elia Suleiman afin de ne pas rater l'accueil que réserveront les cinéphiles à Polytechnique de Denis Villeneuve, à J'ai tué ma mère de Xavier Dolan et à Carcasses de Denis Côté.
De retour pour la 25e fois à Cannes, Louis Dussault, de K-Films Amérique, accompagnera pour la première fois un film québécois à la Quinzaine. Nostalgique du Palais Croisette, démoli en 1988, où il a vu le triomphe des André Forcier (L'Eau chaude, l'eau frette, Une histoire inventée), Denys Arcand (Le Déclin de l'empire américain) et Jean-Claude Lauzon (Un zoo la nuit), Dussault tient à rappeler que cette triple présence n'est pas un record: "Jean-Pierre Lefebvre a présenté trois films une année (ndlr: soit La Chambre blanche, Québec My Love et Mon amie Pierrette dans la section parallèle en 1970). Le record, c'est Xavier Dolan qui, à 20 ans, est le plus jeune réalisateur québécois à se rendre à Cannes. Il n'est pas le plus jeune dans le monde car Samira Makhmalbaf avait 18 ans lorsqu'elle est venue présenter La Pomme en 1998."
Joint au téléphone, le jeune acteur, scénariste et réalisateur avoue: "C'est vraiment un honneur, je me sens choyé d'être à Cannes, mais qu'on cesse de parler d'une histoire de Cendrillon! Il n'y a pas eu de baguette magique ni de fée marraine! Heureusement que j'avais une équipe technique et des acteurs dévoués parce que du côté du financement, j'ai vécu le mépris et le rejet. Avant que la SODEC embarque, on ne croyait même pas pouvoir reprendre le tournage."
"En voyant son film, poursuit Louis Dussault, on comprend que Xavier a de la culture et a vu beaucoup de films. Les cadrages de ce film-là, l'utilisation du champ / contre-champ… c'est vraiment pas de la télévision, c'est du grand cinéma. Ce n'est pas pour rien qu'il est à Cannes, parce que Cannes ne nous fait pas de cadeaux. Le festival privilégie beaucoup les films du tiers-monde qui n'ont pas de distributeurs; le jour où le Québec sera un pays, on le traitera autrement que comme un cinéma venant d'une province."
A propos des autres films québécois, il affirme: "Le film de Denis Côté est extrêmement atypique, c'est un cinéma très expérimental, flyé. A sa manière, Polytechnique n'est pas un film commercial. Je pense que ces films-là feront très bonne figure. En plus, ça donnera une leçon à Téléfilm Canada qui n'a soutenu aucun de ces films."
Ayant passé tout près de faire partie de la sélection officielle; Xavier Dolan, qui planche déjà sur un deuxième scénario et une série télé, court la chance de remporter la Caméra d'or, qui permet au lauréat de voir son film distribué dans trois grands pays européens en plus d'empocher 70 000 euros.
"Je pense que la Quinzaine est le créneau idéal pour moi; c'est chaleureux, convivial. Je n'aurais pas voulu me retrouver en compétition avec des réalisateurs chevronnés; j'aurais eu peur de me brûler les ailes. J'ai toujours rêvé d'aller à Cannes, mais je n'ai jamais dit que j'étais sûr d'y aller! Je n'y croyais pas lorsque j'ai été appelé. Pour moi, Cannes, c'était inaccessible", conclut Dolan, qui en plus de fouler le tapis rouge avec Almodovar, participera à un tête-à-tête avec le doyen du festival, Alain Resnais, à Canal+.