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Cannes 2009: Côté déstabilise Cannes

 

J'aurais voulu vous dire que la salle était pleine à craquer (elle l'était environ aux trois quarts), que les applaudissements ont fusé à la fin (il y en a eu!), mais ce serait vous mentir. La vérité, c'est que Carcasses de Denis Côté n'a tout de même laissé personne indifférent.

Ainsi, on a entendu des rires lors des répliques amusantes de Jean-Paul Colmor, il n'y a pas eu de marées de spectateurs fuyant vers la porte (comme ce fut le cas une année pour En avant jeunesse! de Pedro Costa), et les gens semblaient attentifs, respectueux face à ce qu'ils voyaient.

Lorsque Carcasses s'est terminé, les applaudissements, tièdes, ont tardé à venir comme si les spectateurs ne savaient pas trop comment réagir devant l'ovni made in Québec. Puis un homme s'est levé et a crié un tonitruant "bouh!": "C'était-i ton ‘mononcle'?" m'a demandé à la blague Denis Côté juste avant la conférence de presse.

Ardemment défendu par Olivier Père, délégué général à la Quinzaine, Denis Côté ne semblait pas ébranlé outre mesure par les différentes réactions du public. D'ailleurs, c'est sourire en coin qu'il a regardé un jeune homme prendre le micro, remonter lentement les ganses de son sac à dos et enfin lui lancer calmement ceci:

"Je ne vais pas être très tendre avec vous. Lorsqu'on arrive à provoquer une réaction chez le spectateur, c'est bien, mais chez moi, elle est négative. Votre film n'est que des images sur un écran et de la musique qui sortait des enceintes; il n'y avait aucune histoire, aucun but, aucun personnage, même le personnage principal n'est qu'une image sur l'écran. Il n'y avait rien. J'ai perdu une heure et quart de ma vie en voyant votre film et je ne veux pas perdre une minute de plus dans cette conférence de presse."

Père, qui avoue trouver que des quatre longs métrages de Denis Côté, Carcasses est "le meilleur et le plus radical, un film qui entretient un rapport très fort avec le réel sans être un documentaire", a répliqué à ce dernier, qui avait déjà pris la poudre d'escampette: "Si vous trouvez que Carcasses n'est pas un film, vous n'êtes pas un spectateur."

Après la conférence de presse, j'ai poursuivi l'entrevue avec Denis Côté (à lire dans nos pages jeudi prochain) et, histoire de mettre un peu de couleur pipeule dans mon blogue, je lui ai demandé comment il se sentait à Cannes, lui qui fut deux fois primé à Locarno:

"Ce qui est paradoxal, c'est qu'à Locarno, c'est un peu le même décor, mais on s'y sent cinéaste. A Cannes, on se sent perdu entre les yachts, les poupounes, les shows de boucane hollywoodiens; tu réussis à te sentir très fier d'être à Cannes, mais tu dois attendre ton moment. Il y a des moments où tu te sens un peu minus et tu peux oublier que tu es à Cannes."

Lui rappelant les propos de Denis Villeneuve, venu quatre fois à Cannes, qui disait y revenir chaque fois comme si c'était la dernière fois, il a eu cette réponse: "Cannes est très fidèle à ses auteurs, tout comme Locarno. Cannes a ses auteurs qu'il invite même lorsque ceux-ci réalisent des petits films – on le voit bien cette année à la compétition. Les festivals, c'est des familles et je comprends ça. Au-delà de la qualité des films, il y a un networking à travailler. Locarno voulait Carcasses, mais je leur ai dit que j'allais à Cannes et ils ont très bien compris cela, de même que Marseille. Tout le monde comprend la hiérarchie du jeu. "