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Anne Dorval sur J’ai tué ma mère

 

Voici en vrac les propos tenus par Anne Dorval lors de notre rencontre peu avant la sortie de J'ai tué ma mère de Xavier Dolan

Le look du personnage

« Un jour, la directrice de production m'a appelée pour me dire qu'on allait commencer le tournage dans une semaine. Je n'en revenais pas, on n'avait rien préparé!  J'ai alors appelé le coiffeur du Cœur a ses raisons, qui est un ami, pour lui parler de mon problème. Il avait des cheveux longs, les cheveux de Criquette… je n'étais quand même pas pour porter la perruque de Brad! J'avais un couteau sur la gorge, je ne pouvais pas laisser tomber Xavier! J'ai donc pris la seule perruque qui me faisait et j'ai averti Xavier qu'il n'avait pas le choix d'accepter ce look.

Xavier m'avait acheté des pulls au Village des valeurs, des trucs de taille 14 alors que j'habille 2! Des choses innommables! Je lui disais que j'allais avoir l'air d'un jambon!  Je lui disais d'arrêter de m'acheter du linge parce qu'il n'avait pas d'argent à mettre là-dessus et en plus, je n'étais pas sûre que le film allait se tourner. Heureusement, nous sommes allés voir Nicole Pelletier, grande créatrice de costumes de cinéma à la retraite qui possède une friperie sur Rachel. Avec sa couturière, elles ont tout remoulé. C'est comme si j'avais été dans un magasin cheap m'acheter du linge. Tout ça s'est vraiment fait à la dernière minute.»

Les dialogues

«Durant deux ans, je me suis préparée à jouer ce rôle avec lui. On improvisait, on réécrivait des scènes; moi, j'adore écrire des dialogues! Xavier a cette intelligence de laisser aller lorsqu'il y a une pulsion chez quelqu'un; lorsque ça ne lui convient pas, il le dit, mais lorsque ça lui convient, il embarque! On a ri, on a eu tellement de plaisir. Lorsqu'on tournait, on s'est mis à improviser tous les deux. C'est toujours entre la comédie et la tragédie grecque. Des fois, il n'y a plus d'espoir dans certaines scènes, on croit qu'ils ne pourront plus jamais se parler, car elle ne comprend pas la langue de son fils. On dirait que c'est par le contact physique qu'elle comprend les choses. Je n'aime pas jouer ce que je suis et dans J'ai tué ma mère, j'avais de la viande! Je suis reconnaissante à Xavier pour ce film, pour ce rôle.»

Tournage interrompu

«Je savais qu'il n'y avait plus d'argent, mais on ne m'avait pas dit qu'on risquait de ne pas reprendre le tournage. Au moment où ça s'est arrêté, il y avait des tensions sur le plateau à cause du manque de moyens et de son jeune âge. Pensant bien faire, certaines personnes plus expérimentées que Xavier essayaient de diriger le film. Ils lui enlevaient toute autorité et toutes ces tensions me mettaient mal à l'aise. Je me disais que ça ne pouvait pas continuer comme ça; moi, je voulais rire comme lorsque Xavier vient chez nous. Le tournage s'est arrêté, fin novembre, début décembre, et lorsqu'on a repris à la mi-janvier, on dirait que la poussière était retombée. Il nous restait une grosse semaine de tournage, soit toutes les grosses scènes dans la maison de la mère. Avec Xavier, on était de toutes les scènes, on travaillait du matin au soir. Et là, c'était le bonheur. Ne serait-ce que pour cette semaine-là, je suis heureuse d'avoir tourné ce film.»

Le manque de budget

«Il ne faudrait pas tomber dans le cliché que nous sommes de plus grands créateurs parce que nous travaillons avec un budget restreint. D'une manière ou d'une autre, Xavier est un grand créateur. S'il avait eu cinq millions, on en aurait eu pour cinq millions et je vous jure qu'on serait tous à terre. Là, on voit le potentiel et on a hâte au prochain. Il n'avait pas d'expérience, il ne possède pas encore tout le langage cinématographique, mais sur le plateau, je l'entendais défendre son point au directeur photo et ça, pour moi, c'est le signe des grands.  Qu'on soit d'accord ou non, il a une signature. C'est une bombe, ce gars-là.»

Cannes

«Cannes est un monde de réalisateurs. Sur le tapis rouge d'Étreintes brisées, Penélope Cruz était en retrait et on n'en avait que pour Pedro Almodovar. Les acteurs, on est un peu comme des accessoires là-bas… On est contents de voir des stars comme Angelina Jolie pour les paillettes, mais on ne leur pose pas de questions substantielles. Les gens crient en voyant Michael Haneke, Lars von Trier, etc., mais une fois que leur tour est passé, c'est fini, au suivant!»