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Jutra 2010: consécration de Xavier Dolan

« Je
veux Normand Brathwaite ! » avais-je envie de crier en écoutant le
long et lourd monologue de Patrice L'Écuyer. Avez-vous remarqué l'air
profondément ennuyé de René Malo, « tête hommagée » de la
soirée ? Les blagues tombaient à plat ; L'Écuyer, qui n'a pourtant
plus de preuve à faire comme animateur, semblait hors de son élément. Malaise…
surtout lorsqu'il a avalé une grosse cuillerée de margarine pour saluer le
principal commanditaire de la soirée. Moi qui cuisine à l'huile d'olive, j'ai
fait une grimace semblable à celle de Normand D'Amour. Heureusement, le
sympathique animateur s'est empressé de présenter la belle galerie de portraits
en noir et blanc des artistes et artisans mis en nomination, gracieuseté de
Xavier Dolan, pour nous faire oublier cette faute de goût.

Par
ailleurs, le jeune cinéaste, en plus de voir sa partenaire Anne Dorval
consacrée meilleure actrice, est reparti avec trois prix plus qu'enviables
(scénario, film s'étant le plus illustré à l'étranger et meilleur film). Un peu
plus et on oublierait que Polytechnique de Denis Villeneuve a raflé le plus
grand nombre de prix, soit cinq (réalisation, acteur de soutien, montage,
photographie et son). Polytechnique a ainsi déclassé son autre grand rival,
Dédé à travers les brume de Jean-Philippe Duval, qui menait la course avec 10
mises en nomination et a dû se contenter de quatre prix (meilleur acteur,
musique, costumes et direction artistique).

Passons
rapidement sur la défaite crève-cœur de Grande Ourse, la clé des possibles de Patrice Sauvé,
reparti bredouille malgré neuf mises en nomination. Cela m'a rappelé l'année où
Bon cop, bad cop d'Érik Canuel, Jutra-Billet d'or en 2007, avait vu 12 prix
potentiels lui échapper. Le champion du box-office Émile Gaudreault a dû aussi
se contenter de ce prix pour De père en flic. Massacré par la critique, Canuel
a tout de même vu Cadavres salué du prix du meilleur maquillage. Pour sa part,
1981 de Ricardo Trogi a remporté deux prix, celui de l'actrice de soutien et de
la meilleure coiffure.

En
somme, malgré quelques surprises et émotions sincères, cette soirée des Jutra
fut plutôt ennuyante et laborieuse. En dépit du charmant numéro où
les cinq actrices de l'année ont chanté des chansons à succès tirées de notre
cinéma (un bravo particulier à Marie-Thérèse Fortin), il y a eu peu de numéros
mémorables au cours de cette 12e édition. Je me serais attendue à
des hommages plus sentis envers Marcel Simard, Gilles Carle et Pierre
Falardeau. Quant à René Malo, une bande-annonce pour résumer sa carrière (il a
distribué 2000 films !), c'est bien peu.

Avoir été à la place du metteur
en scène Yves Desgagnés, j'aurais coupé dans les enchaînements longs et
statiques pour me concentrer davantage sur les prix à donner. Par moments, un seul
prix était distribué entre deux pauses publicitaires. Quelle perte de temps ce
numéro de la gifle avec Danièle Proulx : « t'as un gala à
faire ! » a-t-elle lancé, avec raison, à Patrice L'Écuyer. On
repassera pour le « pacing ». Et que dire de l'humour et de la
fantaisie ? Aucune trace ou si peu. J'espère que la 30e soirée des Genie, qui
aura lieu le 12 avril, sera moins rasoir.

Sans
plus tarder, les gagnants de la soirée (en ordre chronologique) :

Meilleure
actrice

Choix :
Élise Guilbault, dont j'admire la capacité à livrer autant d'émotion en faisant
pour ainsi dire presque rien. Mention à Marie-Thérèse Fortin, d'une gracieuse
fraîcheur dans Les Grandes chaleurs.

Prédiction :
Dans ce film fait de bruit et de fureur, Anne Dorval, flanquée solidement de
Xavier Dolan, est comme un poisson dans l'eau. Son pétage de coche au téléphone
est en soi un moment d'anthologie.

Gagnante :
Anne Dorval ; bien qu'elle ait séduit la planète dans ce rôle, l'actrice a
accepté son prix la voix étranglée par l'émotion.

Meilleur film d'animation

Choix : Robe de guerre de Michèle Cournoyer, belle et
troublante réflexion sur la guerre réalisée à l'encre de chine sur papier.

Prédiction : voir réponse précédente.

Gagnant : voir réponse précédente. (Cela dit, Le
Tiroir et le corbeau
de Frédérick Tremblay est un fort joli film…)

Meilleur documentaire

Choix : Hommes à louer de Rodrigue Jean, essentielle
et troublante plongée dans l'univers de la prostitution masculine.

Prédiction : voir réponse précédente. Au fait, qui
peut m'expliquer que son magnifique Lost Song ait été complètement oublié dans
cette course ?

Gagnant : Last Train Home de Lixin Fan.

Meilleur
acteur de soutien

Choix : Stephen McHattie est remarquable en
contremaître injuste dans le film de Louis Bélanger (L'Heure de vérité en
français). Quelqu'un l'a vu ?

Prédiction : Mon petit doigt me dit que Maxim
Gaudette, intense dans le rôle du tueur, touchera davantage le cœur des
votants.

Gagnant : voir réponse précédente.

Meilleure
actrice de soutien

Choix :
Par sa prestation énergique Sandrine Bisson m'a rappelé bien des mères au bord de la
crise de nerfs de ma jeunesse.

Prédiction :
voir réponse précédente.

Gagnante :
Sandrine Bisson, dont la réaction fut tout aussi authentique que sa prestation
dans 1981.

Meilleur
acteur 

Choix :
Bien que Jean-Carl Boucher m'ait fait craquer dans la peau du jeune Ricardo
Trogi, je m'incline devant le talent exceptionnel de Sébastien Ricard dans le
rôle de l'inoubliable Dédé.

Prédiction :
Sébastien Ricard que j'aimerais voir davantage au grand écran.

Gagnant :
Voir réponse précédente.

Meilleur court/moyen métrage

Choix : Danse macabre de Pedro Pirès, d'après une idée
de Robert Lepage, m'a littéralement séduite et envoûtée.

Prédiction : voir réponse précédente.

Gagnant : voir réponse précédente.

Meilleur
scénario 

Choix :
À défaut de concourir dans la catégorie de la meilleure réalisation, Bernard
Émond mériterait ce prix pour cette fine réflexion sur la transmission des
valeurs qu'est La Donation (et ce malgré quelques dialogues trop écrits…).

Prédiction :
voir réponse précédente.

Gagnant :
J'ai tué ma mère de Xavier Dolan. Je me demande comment on se sent chez
Téléfilm Canada…

Meilleure
réalisation 

Choix :
Denis Villeneuve qui, malgré une approche par moments trop esthétisante, a su
créer une œuvre lyrique et mémorable.

Prédiction :
voir réponse précédente.

Gagnant :
voir réponse précédente. (En revoyant en rafale les images du Jour avant le
lendemain
, je me suis dit que Villeneuve avait fait face à de sérieuses
concurrentes.)

Meilleur
film

Choix :
La Donation… oups ! il n'est pas en nomination !

Prédiction :
Polytechnique qui, malgré une finale tissée de bons sentiments, est sans doute
le plus abouti des cinq films en nomination.

Gagnant :
J'ai tué ma mère. Plus de 1M$ au box-office, 25 prix à travers le monde, ne
manquait plus que cette consécration à la maison. Le jeune acteur-scénariste-réalisateur-producteur,
visiblement ébranlé, a demandé si on lui avait remis le prix par sympathie ou
raison. Que voilà une excellente question.

Les
autres gagnants :

Prix
Jutra-Billet d'or :
De père en flic d'Émile Gaudreault.

Jutra-hommage :
René Malo.

Meilleur
montage :
Richard Comeau, Polytechnique (un troisième Jutra pour celui qui
l'avait remporté pour Maelstöm de Denis Villeneuve et Elles étaient cinq de
Ghyslaine Côté).

Meilleure
musique :
Dédé Fortin, les Colocs et Éloi Painchaud, Dédé à travers les brumes.

Meilleure
direction photo :
Pierre Gil, Polytechnique (un deuxième Jutra 10 ans
après l'avoir remporté pour Souvenirs intimes de Jean Beaudin).

Meilleur
maquillage :
Colleen Quinton, Cadavres.

Meilleure
coiffure :
Linda Gordon, 1981.

Meilleurs
costumes :
Judy Jonker, Dédé à travers les brumes.

Meilleure
direction artistique :
David Pelletier, Dédé à travers les brumes.

Meilleur
son :
Pierre Blain, Claude Beaugrand et Stéphane Bergeron, Polytechnique.

Film
s'étant le plus illustré à l'étranger :
J'ai tué ma mère de Xavier Dolan.
Lui qui manie si bien le verbe en était bouche bée.