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Hier soir, avec une
copine cinéphile, on parlait des acteurs qui nous avaient marquées dans notre
jeunesse; elle me parlait de Patrick Dewaere et moi, de Bernard Giraudeau. Je
lui avais dit que j'avais eu le coup de foudre pour lui en voyant le mélodrame
d'Ettore Scola, Passion d'amour, ou il s'éprend d'une femme laide et
hystérique. J'avais été saisie par sa beauté et son talent. Dès lors, sans
devenir une groupie, je me suis intéressée à sa carrière.
Bien qu'il était au
sommet de sa gloire dans les années 1980 (Viens chez moi j'habite chez une
copine de Patrice Leconte, Croque la vie de Jean-Charles Tacchella, L'Année des
méduses de Christopher Frank, etc.), ce sont davantage les rôles qu'il a tenus dans les années 1990
et 2000 que je garderai en souvenir, notamment celui du prêtre fantasque dans
Ridicule de Patrice Leconte, du séducteur manipulateur dans Gouttes d'eau sur
pierres brûlantes de François Ozon et de l'immonde industriel dans Une affaire
de goût de Bernard Rapp, des personnages où il explorait avec finesse les plus
sombres aspects de l'homme.
Hier soir donc, mon
amie (qui se surnomme l'ange de la mort parce que souvent lorsqu'elle parle des
acteurs qu'elle aime, ils meurent peu de temps après) me rappelait qu'il était
très malade; je me suis alors souvenu qu'en 2003, lors de son bref passage à
Montréal, il avait pudiquement mentionné le cancer du rein qui le rongeait.
Par respect, je
n'avais pas voulu le bombarder de questions à ce sujet, préférant mettre
l'accent sur sa carrière d'écrivain (le prétexte de l'entrevue était sa
participation aux Correspondances d'Eastman). Comme il ne se considérait pas
écrivain, je lui avais proposé d'adopter l'expression de Barthes, écrivant. En
relisant l'entrevue peu de temps après avoir appris sa mort, j'ai eu la gorge
serrée en lisant ce passage où l'on devine son envie de vivre et d'écrire.
"Je suis réfractaire au mot
"écrivain", mais pas à l'idée d'écrire. Je suis un voyageur, je
prends des notes, j'écris des histoires. Là, je suis en train de finir mes
nouvelles, des histoires de marins; je fais du théâtre, je répète la pièce avec
Charlotte Rampling à la rentrée; après, je vais tourner un film… J'écris,
oui, je raconte. On me demande toujours des lettres, des nouvelles pour le ministère
de la Culture, j'écris un bouquin sur un peintre de La Rochelle, donc j'écris,
oui, c'est vrai. Mais je ne suis pas vraiment un écrivain; être écrivain, c'est
tout un travail. Si je finis à 80 ans en ayant écrit une dizaine de bouquins,
on pourra dire: ben oui, c'est un écrivain."
Bernard Giraudeau n'avait que 63 ans.
Etaient-ce le jeu, les voyages, l’écriture qui – chose rare et piètre consolation – avaient préservé, envers et contre le temps et la maladie, la beauté incontestable et sidérante de Bernard Giraudeau? Beauté du regard, du visage, de la voix, des gestes et de la langue de Bernard Giraudeau?
A une journaliste qui la questionnait sur les bienfaits de l’âge, la comédienne Anouck Aimée (autre exception dont la beauté fascinante résiste à tout) répliquait: « La faculté de lâcher prise ».
Bernard Giraudeau avait tout récemment signifié son désir de lâcher prise…
« Je t’emmènerai sur le seul chemin que j’aie jamais connu, tu sais, celui qui te conduit aux endroits où toutes les veines se rejoignent… » (Richard Ashcroft, « Bitter Sweet Symphony », The Verve).
Black Dolphin
Et son interprétation remarquable dans ‘ Une affaire de goût’ , une performance d’acteur. Un grand artiste qui disparaît.
J’ai eu l’occasion de voir Bernard Giraudeau il y a une quinzaine d’années dans un téléfilm intitulé: « Saint-Exupéry: la dernière mission ». Il y incarnait le célèbre auteur du Petit prince de façon magistrale. Et la ressemblance avec Saint-Exupéry était frappante. Un grand rôle inconnu, un merveilleux acteur.