Dans toute l'histoire du Festival de Cannes, une seule femme a mérité la Palme d'Or, soit Jane Campion pour The Piano en 1993. Cette année, sur 19 films en compétition, 4 ont été réalisés par des femmes : Sleeping Beauty, premier long métrage de Julia Leigh ; We Need to Talk About Kevin de Lynne Ramsay (Morvern Callar) ; Polisse de Maïwenn (Le bal des actrices) ; et Hanezu no tsuki de Naomi Kawase (La forêt de Mogari).
Mercredi soir, en voyant Sleeping Beauty, je me suis dit que la compétition commençait bien mal et que Julia Leigh ne deviendrait sans doute pas la dauphine de Jane Campion… Ce n'est pourtant pas que cette réalisatrice australienne soit dépourvue de talent. Bien au contraire, la mise en scène est soignée, les cadrages minutieux et l'atmosphère clinique réussie, quant au jeu des acteurs, Emily Browning (Sucker Punch) en tête, il est volontairement et uniformément désincarné. Toutefois, ceci a pour effet de totalement désintéresser le spectateur du sort de cette étudiante qui multiplie les petits boulots.
Là où ça devient intéressant, c'est lorsque le récit prend une tournure rappelant Les belles endormies de Kawabata, c'est-à-dire lorsque la jeune fille est engagée pour dormir nue auprès d'hommes âgés. Hélas ! Si Sleeping Beauty s'avère sur le coup hypnotique et nimbé de mystère, bien vite on se rend compte que la réalisatrice nous entraîne laborieusement vers une finale en queue de poisson. Au final, un film esthétisant et soporifique.
Soporifique n'est certainement un adjectif que l'on peut accoler au deuxième long métrage de Lynne Ramsay, l'adaptation du roman de Lionel Shriver We Need to Talk About Kevin. Portant le film sur ses épaules, l'extraordinaire Tilda Swinton incarne une mère de famille qui doit refaire sa vie à la suite d'un geste irréparable de son fils (Ezra Miller) pour qui elle avait tout sacrifié.
Par une série de flash-back, les moments heureux avec son mari (John C. Reily) et moins heureux avec leurs enfants, et d'images récurrentes d'abord incompréhensibles, nous est raconté ce qui a mené cette femme à être condamnée par la société, à subir chaque jour l'humiliation. Certes le symbolisme est un peu lourd, Leigh se complaisant à illustrer la psyché de cette mère par toutes ces taches de tomates (les premières scènes nous montrent Swinton en extase lors de la fête de la Tomatina en Espagne), de peinture rouge et de sang, mais les scènes de confrontation entre la mère et son fils, qui se révèle dès son tout jeune âge un sociopathe en devenir, donnent froid dans le dos.
Bien qu'on devine l'issue du drame par une suite d'indices éloquents et en recollant un à un les morceaux du casse-tête, on ne peut s'empêcher d'être captivé et troublé par cette descente aux enfers, d'autant plus que le film nous abandonne à nos réflexions sur l'instinct maternel et sur la part de responsabilité des parents dans les actes de leurs enfants.
Des enfants, on en retrouve en bon nombre dans Polisse où Maïwenn dépeint le quotidien des policiers de la Brigade de Protection des Mineurs. Des enfants abusés sexuellement par leurs parents, des enfants traités comme de la marchandise, des enfants vivant dans la rue, des enfants prêts à échanger des faveurs sexuelles contre un portable… Bref, le quotidien de la BPM est tissé de drames sordides qui choquent le spectateur bien que Maïwenn, qui y incarne une photographe discrète venue réaliser un livre pour le compte du ministère de l'Intérieur, ne verse pas dans le pathos ni dans le misérabilisme. De fait, elle arrive à insuffler une bonne dose d'humour grâce à la complicité régnant entre les partenaires de travail, unis par leur soif de justice et leur combat contre la corruption interne. On a même droit à une entraînante soirée en boîte.
Rappelant L.627 de Bertrand Tavernier, qui illustrait le travail de la brigade des stupéfiants, Polisse bénéficie d'un travail alerte de caméra à l'épaule et d'un montage fébrile, traduisant parfaitement l'atmosphère tendue du poste de police où entre deux drames, les policiers, complexes à souhait, se racontent leurs tracas familiaux et sentimentaux. A l'instar du Bal des actrices, faux documentaire en forme de comédie musicale, les acteurs, y compris les enfants, sont d'un naturel désarmant, prouvant hors de tout doute que Maïwenn possède un don prodigieux pour la direction d'acteurs.
Parmi ceux qui se démarquent, mentionnons Joeystarr, en policier dépassé par ce dont il est témoin, Karin Viard, en policière qui voit sa vie basculer à la suite d'une liaison, et Marina Foïs, en partenaire de Viard qui n'est pas toujours de bon conseil – leur engueulade au dernier acte est mémorable. Et pour couronner le tout, Maïwenn livre une conclusion laissant entendre qu'il y a de l'espoir pour les victimes, mais que les victimes ne sont pas toujours celles que l'on croit être. Bien hâte de voir ce que nous réserve Naomo Kawase…