C'est sur une note plus que charmante que le 64e Festival de Cannes a débuté avec Midnight in Paris de Woody Allen. Dès les premières images de cette comédie romantique mettant en vedette Owen Wilson et Rachel McAdams, le ton est donné. Ainsi, peu avant le classique générique sur fond noir, Allen balance de superbes images de Paris le jour, Paris la nuit, Paris sous le soleil et Paris sous la pluie. Un regard de touriste amoureux auquel il est difficile de résister : « Je ne suis pas allé à Paris avant 1965, racontait le cinéaste en conférence de presse. Le Paris que je connaissais était celui du cinéma américain. Comme je l'ai fait pour Manhattan, j'ai voulu montrer Paris à travers mes yeux. Je ne voulais pas montrer Paris de façon réaliste mais subjective. »
A suivi la conférence de presse du jury, présidé par un autre célèbre New-Yorkais, Robert De Niro : « Je ne sais pas ce que je cherche, a-t-il laconiquement expliqué à la presse. Je regarderai les films et après, on verra. Je suis très impatient de les voir, c'est un peu des vacances, un privilège. Je viens ici depuis 35 ans, c'est un festival unique, merveilleux. J'ai hâte de voir comment ça va se passer, je n'ai pas de méthode précise : on va voir les films, débattre et voter. »
Le soir même, Sleeping Beauty de Julia Leigh, avec Emily Browning, dont la prémisse rappelle Les belles endormies de Kawabata, laissait présager une compétition moins brillante qu'on l'espérait. Si Sleeping Beauty s'avère sur le coup hypnotique et nimbé de mystère, bien vite on se rend compte que la réalisatrice australienne nous entraîne laborieusement vers une conclusion en queue de poisson. Esthétisant et soporifique.
Soporifique n'est certainement un adjectif que l'on peut accoler au deuxième long métrage de Lynne Ramsay (Morvern Callar), l'adaptation du roman de Lionel Shriver We Need to Talk About Kevin. Portant le film sur ses épaules, l'extraordinaire Tilda Swinton incarne une mère de famille qui doit refaire sa vie à la suite d'un geste irréparable de son fils (Ezra Miller) pour qui elle avait tout sacrifié. Bien qu'on devine l'issue du drame par une suite d'indices éloquents et en recollant un à un les morceaux du casse-tête, on ne peut s'empêcher d'être captivé et troublé par cette descente aux enfers, d'autant plus que le film nous abandonne à nos réflexions sur l'instinct maternel et la part de responsabilité des parents dans les actes de leurs enfants.
Evoquant à la fois Harold et Maude et Love Story, Restless de Gus Van Sant, dans la section Un Certain regard, est une charmante, quoiqu'un peu mièvre, réflexion sur la mort où l'on suit l'amour naissant entre un orphelin (Henry Hopper, fils de Dennis) et une jeune fille atteinte d'un cancer du cerveau (Mia Wasikowka, Alice au pays des merveilles, Jane Eyre). Avec un tel sujet, il aurait été facile de sombrer dans le mélo, le pathos, or, Van Sant et le scénariste Jason Lew ne l'effleurent même pas. De fait, Restless s'avère un joli hymne à la vie où les talentueux Mia Wasichowska et Henry Hopper forment un couple des plus ravissants.
« Si l'on compare Restless à Gerry, à Paranoid Park et à Last Days, c'est la caméra qui diffère. Dans les autres, j 'essayais de ne pas découper, à la manière de Bela Tarr. Dans Restless, les dialogues sont aussi plus classiques, ils font avancer le récit, quoique des fois, ils ont une fonction ludique. Gerry, Elephant et Last Days étaient à propos de faits divers, des interrogations sur ces morts. La question était de savoir si le cinéma pouvait enquêter là-dessus comme le journalisme. Restless n'est pas une exploration journalistique, c'est une histoire d'amour où l'on se pose des questions sur la mort », confiait Gus Van Sant.
Grand coup de cœur de la compétition, Polisse de Maïwenn se veut incursion dans la Brigade de la protection des mineurs : « Je cherchais parmi les enfants acteurs, faisais du casting sauvage. Je les recevais, leur parlais pour voir s'ils étaient à l'aise avec le sujet. Ce qui les motivait, c'est qu'il s'agissait d'histoires vraies. Cette solidarité enfantine m'a frappée. »
Rappelant L.627 de Bertrand Tavernier, Polisse, qui met notamment en vedette Joeystarr, Karin Viard et Marina Foïs, d'un naturel sidérant, bénéficie d'un travail alerte de caméra à l'épaule et d'un montage fébrile, traduisant parfaitement l'atmosphère tendue du poste de police où entre deux drames, les policiers, complexes à souhait, se racontent leurs tracas familiaux et sentimentaux. Percutant.
Lauréat de la Palme d'or en 2001 pour La chambre du fils, Nanni Moretti livre avec Habemus Papam, où le vénérable Michel Piccoli interprète avec maestria un pape craquant sous la pression, un film surprenant. De fait, l'on s'attendait de la part du réalisateur du Caïman, brûlot anti-Berlusconi, à une charge féroce contre l'Eglise catholique, plutôt qu'à une incursion tendre, amusante et pleine de finesse dans les coulisses du Vatican : « On pensait que j'allait dénoncer le Vatican, mais je ne voulais pas parler des prêtres pédophiles et des scandales financiers. L'an dernier, dans les journaux, on pouvait lire plein de choses qu'on savait déjà ; l'Eglise semblait avoir perdu toute crédibilité et autorité. » Habemus palmable ?
Acclamé pour son film Beaufort, Joseph Cedar faisait partie des réalisateurs dont on ne se surprenait pas de la présence en compétition. Or, après une demi-heure, on se demandait bien ce que Hearat Shulayim (Footnote) pouvait bien y faire. Avec une mise en scène ludique, bien rapidement tapageuse et redondante, on se croirait parfois dans un sous-sol à regarder des diapos, Cedar relate la rivalité entre un universitaire (Shlomo Bar-Aba, attachant grognon) et son fils (Lior Ashkenazi, bien). Un sitcom mâtiné de burlesque.
Autre déception que Michael, premier film de Markus Schleinzer, qui raconte les derniers jours de vie commune entre un trentenaire (Michael Fuith, excellent) et un garçon de 10 ans (David Rauchenberger, juste). Il est bien dommage que le degré zéro de psychologie gâche le tout, qui bénéficie d'une réalisation maîtrisée, d'une atmosphère glacée et d'un souci du détail remarquable.
Dans Le gamin au vélo, la rafraîchissante Cécile de France campe une coiffeuse qui prend sous son aile un garçon de 12 ans (Thomas Doret, émouvant) rejeté par son père (Jérémie Renier, crédible). Avec ses motifs empruntés au Petit Poucet, au Petit chaperon rouge et à Pinocchio, cet opus de Luc et Jean-Pierre Dardenne déroute par sa photo lumineuse, sa caméra sage et son optimisme discret : « Je dirais qu'on a travaillé de manière plus simple, dévoilait Luc Dardenne, avec des personnages moins complexes. Grâce à Thomas, qui était toujours souriant, nous étions moins angoissés et plus sereins. » Une troisième Palme d'or ?
Film intégré à la compétition à la dernière minute, The Artist de Michel Hazavanicius, film muet en noir et blanc, dépeint le déclin d'un acteur (Jean Dujardin, très Douglas Fairbanks) à l'arrivée du parlant en 1927 alors qu'une starlette (Bérénice Bejo en mode Clara Bow) conquiert Hollywood. Un bel exercice de style non sans quelques longueurs : « J'ai voulu reprendre là, en 1927, où les grands cinéastes se sont arrêtés », confiait le réalisateur.
Magnifiquement mis en images par Josée Deshaies, L'Apollonide – Souvenirs de la maison close de Bertrand Bonello offre une reconstitution d'époque si somptueuse et une vision si romantique de la prostitution qu'on en oublie presque le drame de ces jeunes femmes prisonnières d'un bordel tenu d'une main de fer par une mère de famille (Noémie Lvovsky, imposant le respect), qui espèrent être rachetées par l'un de leurs riches clients. Rappelant tour à tour les plus belles toiles de Manet et de Renoir, l'oeuvre déroute par moments avec ses split-screens et son choix musical – les Moody Blues, vraiment ? De tous les personnages féminins, c'est sans doute celui de la Femme qui rit (Alice Barnole), inspiré de Hugo, qui émeut le plus, illustrant crument toute la cruauté dont sont victimes ces esclaves sexuelles.
Film attendu depuis un an sur la Croisette, The Tree of Life de Terrence Malick, qui brillait par son absense, de même que Sean Penn, à la plus courue des conférences de presse, a été chaleureusement applaudi et… copieusement hué. « Avec une structure si complexe, il ne pouvait pas y avoir de gestation normale », a défendu Brad Pitt.
The Tree of Life se penche sur un homme (Sean Penn) se remémorant sa jeunesse dans un petit village du Texas dans les années 50 auprès de ses deux frères, sa mère aimante (Jessica Chastain, lumineuse révélation du film) et son père autoritaire (Pitt, solide comme toujours). A travers cette chronique familiale impressionniste, Malick relate en parallèle les origines du monde – Big Bang et dinosaures inclus ! Splendide spectacle visuel, The Tree of Life porte bien la griffe de son brillant et minutieux créateur (voix off, dialogues incantatoires, images lyriques, communion avec la nature), mais au troisième tiers, l'intérêt pour cette fable mystique et métaphysique s'étiole dangereusement. Le 2001 de 2011 ?