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Cannes 2011 : Sarko ou LVT ?

Hier après-midi, mon confrère du Journal de Québec Cédric Bélanger m'a convaincue de laisser tomber la conférence de Lars Von Trier, dont le Melancholia m'est apparu comme une surdose de beauté au parfum de fin du monde, pour aller voir La conquête de Xavier Durringer, comédie dramatique relatant l'ascension au pouvoir de Nicolas Sarkozy, interprété par Denis Podalydès.

L'homme m'ayant royalement tapé sur les nerfs lors de la conférence de presse d'Antichrist il y a deux ans, où il ne cessait de répéter qu'il était le meilleur réalisateur du monde, je me suis dit que je pouvais bien me passer de ses niaiseries cette année, d'autant plus que je n'ai pas eu le coup de foudre pour Melancholia.

A l'instar d'Antichrist, Melancholia s'ouvre sur une série de plans d'une beauté presque insoutenable au ralenti plus qu'esthétisant. En une suite de tableaux symboliques, où le vert domine, dont l'un illustrant Kirsten Dunst en robe de mariée les jambes prises dans des fils de laine grise empêchant sa course, Lars Von Trier résume le récit à venir.

Ainsi au premier acte, nous assistons au mariage de Justine (Dunst), organisé par sa sœur Claire (Charlotte Gainsbourg) dans la sublime demeure qu'elle partage avec son mari (Kieffer Sutherland), avec l'aide d'Udo Kier.Tandis que Charlotte Rampling se délecte des vacheries que son personnage de mère non-conventionnelle lance à tout moment sur le mariage, John Hurt s'en donne à cœur joie en papa décadent.

Pour sa part, Kirsten Dunst, dont le personnage souffre de dépression, nous fait partager son désespoir et son envie de fuir cet endroit faussement paradisiaque. Pendant ce temps, la planète Melancholia approche lentement mais sûrement vers la Terre. Au deuxième acte, centré autour de Claire, Charlotte Gainsbourg prend le relais pour nous faire ressentir son angoisse devant l'apocalypse.

Non, je ne viens pas de vendre le punch puisque celui-ci est dévoilé dans les 10 premières minutes du prologue, lequel ferait un excellent court métrage onirique. Tout comme Terrence Malick dans The Tree of Life, Lars Von Trier a voulu illustrer notre petitesse face à l'immensité de l'univers. Contrairement à Malick, qui porte un regard bienveillant sur ses personnages, Von Trier se plaît à souligner avec complaisance et mépris leurs travers, leurs ridicules. Au final, on se retrouve devant une œuvre où le réalisateur danois fait montre de maestria à l'image mais de vacuité dans le propos.

Est-ce que je le regrette ce matin alors que le Festival de Cannes vient d'annoncer que LVT est désormais persona non grata de ne pas être allé l'entendre en conférence de presse ? Rappelons les faits : hier, le grand cinéaste a tenu des propos qui ont choqué la galerie et mis dans l'embarras Kirsten Dunst et Charlotte Gainsbourg. Il a notamment dit : « Pendant longtemps, j'ai pensé que j'étais juif et j'étais heureux. Puis j'ai découvert que j'étais nazi. Ça m'a donné un certain plaisir. Je comprends Hitler même s'il a fait de mauvaises choses. Je dis seulement que je comprends l'homme. Je sympathise un peu avec lui. »

Après avoir avoué ne pas être antisémite, Von Trier a lancé qu'Israël le « fait vraiment chier ». Par la suite, le cinéaste danois, qui avait inscrit le mot « Fuck » sur ses phalanges, s'est excusé dans un communiqué de presse, mais il semble que cela n'ait pas suffi. Son film demeure toutefois en compétition. Permettez-moi de douter qu'il figurera au palmarès…

Je ne pourrai jamais me vanter d'avoir assisté au suicide artistique de Lars Von Trier, moment historique cannois s'il en est un, mais je vivrai très bien avec cela – d'autant plus que je n'ai jamais pensé à publier mes mémoires. En revanche, j'ai passé un chouette moment en voyant en primeur La conquête. Cependant, en sortant de la salle, j'ai éprouvé un malaise, pas aussi fort que celui que j'aurais sans doute éprouvé en entendant les propos antisémites de LVT, mais assez grand pour me demander si je ne venais pas d'assister à un film de propagande.

De fait, Nicolas Sarkozy, interprété de façon très crédible par Denis Podalydès, c'est-à-dire aussi coloré et bling-bling que le vrai, m'est apparu, comment dire, sympathique… Annoncé comme une fiction, le film Xavier Durringer colle pourtant à la réalité puisque tous les propos tenus par les personnages seraient vrais. Et si c'est le cas, loin des micros, les politiciens n'ont certainement pas la langue de bois. C'est fou ce qu'ils peuvent avoir la langue bien pendue lorsque vient le temps de se critiquer entre eux. Plusieurs répliques du film sont d'un humour irrésistiblement jouissif.

Ce que je n'ai pas aimé dans La conquête, film dont la facture visuelle laisse à désirer, hésitant entre le faux documentaire et la télé-série peu ambitieuse, c'est la façon dont sont dépeints personnages. Ainsi, Bernard Le Coq campe un Jacques Chirac ressemblant mais réduit à jouer les pantins ringards face au politicien moderne qu'est censé être Sarko, auprès de Samuel Labarthe dont le Dominique de Villepin n'est qu'un bellâtre soucieux de son look et voyant Sarko dans sa soupe.

Ce qui m'a plu en revanche, c'est la figure tragique de Cecilia Sarkozy, incarnée par la touchante Florence Pernel, que l'on présente ici comme le génie derrière son mari qui sacrifiera beaucoup pour le voir réussir là où personne ne l'attendait. Grâce à ce personnage, La conquête a droit à quelques moments d'émotion. En résulte une comédie dramatique captivante bien qu'elle nous apprenne peu de l'homme derrière le politicien, la psychologie ayant été mise de côté au profit du spectacle. Enfin, mon petit doigt me dit que La conquête ne nuira certainement pas à Sarko aux prochaines élections – et ce, sans même tenir compte des déboires de DSK devant la justice…