Que de surprises, bonnes et mauvaises, nous auront réservé Robert De Niro et ses champignons, pardon, compagnons, lors de la remise des prix du 64e Festival de Cannes qu'animait la gracieuse Mélanie Laurent. Déjà de ne pas apercevoir sur le tapis rouge Nanni Moretti et Michel Piccoli laissait présager qu'Habemus Papam, pourtant parmi les favoris, repartirait bredouille. Ce film plein de tendresse et de finesse sur les malheurs d'un pape en dépression n'allait malheureusement pas être le seul grand oublié de la soirée. Au dire de Robert De Niro, il y aurait eu des débats intenses autour de certains films, parmi lesquels Le havre d'Aki Kaurismäki, lequel a remporté le Prix de la FIPRESCI et dont l'acteur André Wilms était sur bien des lèvres, Pater d'Alain Cavalier, avec Vincent Lindon, et La piel que habito de Pedro Almodovar, qui devra se contenter du Prix de la jeunesse.
Une chose est sûre, la soirée était forte en émotion. Alors que je souhaitais entendre Ce n'est rien de Nicolas Roy de la bouche de Ludivine Sagnier (Les bien-aimés de Christophe Honoré) la Palme d'or du court métrage a été remise à l'intrigant Cross de l'Ukrainienne Maryna Vroda, où un garçon court dans une bulle de plastique sur l'eau. L'émouvant Maillot de bain 46 du Belge Wannes Destoop, qui s'intéresse aux malheurs d'une jeune nageuse bien en chair, a pour sa part reçu le Prix du jury – le président du jury de cette section Michel Gondry lui a d'ailleurs confectionné une Palme d'or.
Ayant déjà en poche deux prix de la Semaine de la critique, l'Argentin Pablo Giorgelli s'est vu remettre la Caméra d'or pour son premier long métrage Las Acacias, qui relate l'amitié entre un routier solitaire et une jeune mère, des mains du président du jury Caméra d'or Bong Joon-ho et de l'actrice Marisa Peredes (La piel que habito de Pedro Almodovar).
S'est ensuite avancé sur scène Robert De Niro, qui a livré un petit laïus dans la langue de Molière : « Nous avons essayé the best as we could... tous les films sont très intéressants et j'espère que that's ok. ». Chiara Mastroianni (Les bien-aimés de Christophe Honoré), qui a dû ramener à l'ordre la maîtresse de cérémonie distraite, est venue présenter le Prix du jury : Polisse de Maïwenn. Visiblement émue, la jeune réalisatrice a couru vers les membres du jury pour leur serrer la main avant d'arriver au micro essoufflée : « Ma fille m'a dit « t'es pas cap d'aller chercher ton prix sans pleurer ». » Défi relevé non sans difficulté par Maïwenn, qui a tenu à ce que ses acteurs montent sur scène pour la photo. Pour ma part, je lui aurais bien donné la Palme d'or puisque la sincérité et l'authenticité qui se dégageaient de son film me rappelaient Entre les murs de Laurent Cantet, grand gagnant de 2008.
La première grande surprise de la soirée est arrivée lorsque la sculpturale Rosario Dawson a remis le prix du scénario à Footnote de Joseph Cedar, ce film racontant la rivalité entre deux universitaires, un père et son fils, que j'avais qualifié de sitcom mâtiné de burlesque. Il y a toutefois de bons moments et des répliques bien piquantes, mais je persiste à croire que les scénarios d'Habemus Papam de Nanni Moretti et d'Il était une fois en Anatolie de Nuri Bilge Ceylan méritaient davantage cet honneur.
En profitant pour draguer la maîtresse de cérémonie, le ténébreux Edgar Ramirez, inoubliable interprète de Carlos d'Olivier Assayas, a remis le prix de la meilleure interprétation à Kirsten Dunst : « Quelle semaine ! » s'est-elle écriée, faisant référence aux mauvaises blagues de Lars Von Trier banni de cette 64e édition. Alors que plusieurs, dont moi-même, voyaient Tilda Swinton (We Need to Talk About Kevin de Lynne Ramsay), Marina Foïs et Karin Viard (Polisse), de même que les distributions féminines de L'Apollonide : souvenirs de la maison close de Bertrand Bonello ou de La source des femmes de Radu Mihaileanu, c'est l'interprétation sensible de l'actrice en jeune mariée dépressive dans Melancholia, dont la sublime beauté aurait pu mériter de grands honneurs à l'enfant terrible du cinéma danois, qui a touché le cœur du jury. Une charmante surprise.
Moins charmante fut celle présentée par Nicole Garcia qui a remis à Nicolas Winding Refn le prix de la mise en scène pour Drive, film de poursuites automobiles spectaculaires aux effets gore et à l'insupportable trame sonore rappelant trop les années 80. Grâce à son iPhone, le réalisateur danois a pu remercier des gens importants de son entourage, dont Ryan Gosling, « son alter ego favori », sans qui il n'aurait pu faire ce film. Perso, je m'en serais bien passée…
La grande Catherine Deneuve a ensuite couronné du prix de la meilleure interprétation masculine non Michel Piccoli, si émouvant dans Habemus Papam, ni Joeystarr, si ardent dans Polisse, ni Sean Penn si surprenant dans This Must Be the Place de Paolo Sorrentino (prix oecuménique), mais bien Jean Dujardin pour son rôle d'acteur muet sur le déclin dans The Artist de Michel Hazavanicius. Après s'être agenouillé devant De Niro et ses complices, le bel acteur au sourire éblouissant et aux sourcils plus qu'expressifs a voulu partager son prix avec sa partenaire à l'écran Bérénice Bejo – Uggy, son partenaire canin ayant déjà remporté la Palm Dog. J'ignore qui de Dujardin ou du public était le plus surpris.
Avant d'inviter Emir Kusturica à remettre le Grand prix, Mélanie Laurent a tenu à saluer Jafar Panahi (In Film Nist) et Mohammad Rasoulof (Au revoir, prix de la mise en scène à Un Certain Regard), tous deux retenus en Iran par les autorités gouvernementales. S'est ensuivi un double coup de théâtre : Nuri Bilge Ceylan et Luc et Jean-Pierre Dardenne ont dû se partager le deuxième prix le plus convoité, soit le Grand Prix du jury. Le cinéaste turc a remercié le jury de l'avoir récompensé pour ce film qu'il qualifie lui-même de difficile – Il était une fois en Anatolie raconte en temps réel et en plans très larges une enquête policière. Les frangins belges ont pour leur part saluer Cécile de France et Thomas Doret, vedettes de leur lumineux conte urbain étonnamment optimiste, Le gamin au vélo.
Enfin, dans un français délicieux, la ravissante Jane Fonda n'a pu remettre la Palme d'or à Terrence Malick en mains propres, ce dernier étant un « incorrigible timide » de l'avis de son producteur. Cinquième long métrage en 37 ans de carrière, The Tree of Life, ambitieuse chronique familiale impressionniste surnommée par certains le 2001 de 2011, méritait certes de se retrouver au sommet du palmarès grâce à la magnificence de ses images lyriques. Et pourtant, ce n'est pas celui qui nous aura fait vivre les plus grandes émotions.