Le mois dernier, au Festival International de film de Toronto, j’ai pu voir Pina, magnifique hommage en 3D de Wim Wenders à la regrettée chorégraphe. Ne possédant pas la culture de ma consoeur Fabienne Cabado, je dois reconnaître que je connaissais bien peu de choses sur Pina Bausch. Ce qui ne m’a toutefois pas empêchée de me laisser envoûter par son univers. Composé de témoignages des danseurs du Tanztheater Wuppertal et d’extraits de Café Müller, du Sacre du printemps, de Wollmond et de Kontakthof, ce documentaire m’a séduite par sa façon de mettre en lumière la singularité des mouvements chez Bausch, sa façon de déconstruire un geste en apparence anodin, lequel multiplié et répété à une vitesse de plus en plus folle prend une ampleur extraordinaire.
Je pense notamment à ce couple impassible dans Café Müller dont l’étreinte est sans cesse interrompue par un troisième danseur. Ou, encore, dans Kontakthof, où deux rangées de danseurs de chaque côté de la scène exécutent des mouvements qui semblent brouillons, mais qui prennent tous leurs sens lorsque les couples se forment au milieu de la scène. Ce qui m’a aussi étonnée, c’est l’emprunt au burlesque. Ainsi, tandis que les danseurs forment une ronde, figure devenue la signature de Bausch, se dessinent sur leur visage des sourires grimaçants presque lugubres. À mesure que les images défilaient, je me plaisais à repérer les gestes récurrents d’une chorégraphie à l’autre, tentant d’y chercher une signification, jusqu’à ce que l’émotion l’emporte sur tout et que je m’abandonne complètement à la beauté de la danse.
Ce n’est qu’en 1985 que Wim Wenders a découvert Pina Bausch, alors que sa compagne l’a forcé à aller voir l’un de ses spectacles. Secoué par l’univers et le langage qu’il y avait découvert, Wenders a spontanément proposé à Bausch de faire un film ensemble. Un an plus tard, lors d’une seconde rencontre, elle l’a relancé sur le sujet. Pendant plus de 20 ans, Wenders a cherché de quelle façon il pourrait transposer à l’écran l’œuvre de Bausch. Le déclic s’est fait en 2008 en voyant U23D. Hélas, Pina est décédée en 2009 quelques mois avant le tournage. Voici ce que confiait Wenders au TIFF.
«Après la mort de Pina, j’ai complètement abandonné le projet. Selon moi, il n’y avait rien d’autre à faire. Le concept du film était de tourner avec Pina, de traiter de son allure, de sa façon de voir le monde, de ses yeux. Deux semaines après sa mort, les danseurs de sa compagnie ont élu un directeur artistique et ont décidé de continuer, désespérément en un sens. Les danseurs ont commencé à répéter les quatre pièces sélectionnées par Pina et qu’elle avait mis à l’horaire de la troupe. Les représentations publiques ont débuté en octobre 2009, au moment où nous avions prévu de tourner. Encore une fois, j’ai voulu tout arrêter puis j’ai réalisé que ce film était important après en avoir caressé le rêve depuis si longtemps. Et Pina aurait voulu qu’on le fasse.»
«Le regard de Pina demeurait sur tous les danseurs, les jeunes danseurs avaient été entraînés par elle pour danser dans ces lieux. On les a alors filmés ; cela a pris quelques semaines. Puis on a pris une longue pause et j’ai commencé à monter les extraits. Je suis resté en contact avec les danseurs et, lentement, nous avons trouvé une façon de continuer le film, d’assimiler la méthode de Pina. Sa méthode était de poser toutes sortes de questions aux danseurs, des milliers de questions, personnelles, générales, auxquelles ils n’avaient pas le droit de répondre, seulement par la danse, les gestes, leur corps. Pina demandait alors de répéter ces gestes de façon plus précise. Elle ne voulait pas que les danseurs jouent des rôles, elle voulait voir ce que les danseurs avaient à exprimer. Pour chaque pièce, elle a développé des centaines d’heures de matériel duquel elle a extrait de minuscules fragments pour former ses pièces. Puisque les danseurs étaient habitués à être questionnés et à répondre avec leur propre langage, cette méthode est alors devenue la façon de faire le film.»
Pina sera projeté ce soir, à 21 h, au Quartier Latin. En reprise demain, à 14 h 15, au Quartier Latin. Pina est précédé d’Ora de Philippe Baylaucq, d’après une chorégraphie de José Navas. Les deux films prendront l’affiche le 16 décembre.
N’ayant pu être présent à ces représentations, une journée à cause du travail et le lendemain parce que j’assistais au spectacle Hello Are how you de Clara Furey et Céline Bonnier, j’avoue que j’avais un pincement au coeur.
Ne voir ni les extraits d’oeuvres de Pina Bausch ni l’oeuvre qui en émerge chez Wim Wenders m’attristait d’autant plus à la lecture de votre commentaire. Mais voilà! La désespérance est vaincue par un probable 16 décembre…