Cet après-midi, je me suis dirigée vers la salle Debussy afin de pouvoir assister à la projection du premier long métrage de Brandon Cronenberg, Antiviral. Peut-être aurais-je dû quitter l’appartement plus tôt que d’habitude, car arrivée sur place, c’était le chaos au bas des marches alors que les placiers tentaient de mater la horde de journalistes brandissant bien haut leur badge afin de pouvoir entrer. Hélas! Ne possédant pas le badge blanc ni celui d’acheteur, j’ai dû rebrousser chemin. J’espère qu’il y aura de la place à la séance de 22h… D’ici là, voici les propos de Karim Hussain, directeur photo d’Antiviral, que l’on connaît davantage au Québec comme réalisateur de La belle bête.
« J’ai plus ou moins mis ma carrière de réalisateur en veilleuse, me confiait-il au téléphone à quelques jours de son départ pour Cannes. Ça prend tellement d’années pour faire un film qu’à un certain point, j’en ai eu marre. Sincèrement, ma partie favorite de tout ce processus, c’est la direction photo. Quand je peux travailler sur des projets comme Antiviral de Brandon Cronenberg, Hobo with a Shotgun de Jason Eisener, Territoires et Week-end d’Olivier Abbou ou le sketch de Theatre bizarre de Douglas Buck, des gens dont j’admire le travail, c’est le meilleur truc pour moi. Récemment, quand j’ai sorti Theatre Bizarre, pour lequel j’ai réalisé un sketch, ça m’a rappelé un peu tout le processus de la sortie d’un film comme réalisateur. Je me suis souvenu que je n’aimais pas trop la promo; je préfère me retrouver derrière la caméra. Je peux très bien fouler le tapis rouge, mais je préfère le
plateau. »
C’est Niv Fichman, producteur de Hobo with a Shotgun, qui a proposé le nom de Karim Hussain à Brandon Cronenberg : « Niv, qui est un grand producteur, qui appuie et encourage ses artistes, a compris que j’étais très à l’aise avec des réalisateurs qui en étaient à leur premier film. Je comprends les choses qu’ils doivent vivre, dont ils doivent se soucier. La collaboration que j’ai avec un réalisateur va au-delà de la relation normale entre un réalisateur et un directeur photo. Je ne m’occupe pas que de la lumière, surtout avec des projets comme Antiviral où je suis très impliqué. Lorsque je travaille avec des réalisateurs et des sujets que j’aime bien, du coup, ça devient un peu plus intense. Dès que j’ai rencontré Brandon, on a découvert qu’on avait le même sens de l’humour, très tordu et très pervers. C’était comme si j’avais rencontré un frère. En fait, entre Rob Coterill, qui était aussi assistant réalisateur de Hobo with a Shotgun, le monteur Matthew Hannam, Brandon et moi, c’était une collaboration très, très étroite. »
Karim Hussain explique sa relation avec le réalisateur : « Chaque fois que j’embarque sur un film, je discute très longuement avec le réalisateur à propos de la mise en scène, des images, des mouvements de caméra, du sujet. Antiviral porte sur la célérité et l’obsession; les fans y achètent les maladies de leurs célébrités favorites pour ensuite se les injecter. On a décidé d’opter pour un style assez radical. Beaucoup de gens savent que j’utilise normalement beaucoup de couleurs. Dans ce film, les couleurs sont très dé-saturées. Il y a énormément de blanc. C’est un film sur le blanc, dans du blanc sur du blanc. Il y a un aspect très clinique qui rappelle l’univers que l’on connaît très bien du père de Brandon, David. Brandon a son propre style, mais c’est un Cronenberg. Il vient vraiment de la même racine. On voit très bien le lien de parenté.
Celui qui avoue avoir reçu les meilleures critiques de sa carrière grâce à Theatre Bizarre poursuit à propos de l’esthétique d’Antiviral : « C’est un film qui oscille entre des plans très symétriques, très sculptés, très statiques, et des plans tournés caméra à l’épaule, très élaborés, lesquels sont des longs plans séquences très viscéraux, kubrickiens. C’est un gros challenge que de travailler du blanc sur du blanc, de faire ressortir les détails sur du blanc. Heureusement, on travaillait avec une nouvelle caméra numérique allemande, Alexa d’Arri, qui existe depuis quelques annéeset qui change énormément les règles du travail d’éclairage. C’est
un film qui a beaucoup utilisé la nouvelle technologie; il est très froid mais avec un léger romantisme. Il y a aussi de la satire. Disons que c’est un sens de l’humour qui met très mal à l’aise. C’est un film de genre, je dirais de la « science-fiction horreur corporelle », qui rappelle les films de David Cronenberg des années 80, en moins gore, en moins monstrueux. Les spectateurs seront très surpris; ils découvriront un grand réalisateur archi talentueux et hyper drôle, d’un humour subtil et cynique. Ils découvriront aussi le jeune acteur Caleb Landry Jones, dont la performance m’a époustouflé comme celle de de Christian Bale dans The Machinist. »
Quant à un éventuel retour à la réalisation, Karim Hussain conclut : « Il n’y a qu’au Québec que l’on pense encore que je suis réalisateur. Dans le reste du monde, je suis directeur photo. Je change de style avec chaque film, donc, je n’ai pas eu à faire mon deuil des couleurs, elles seront de retour dans d’autres films. J’insiste pour que chaque film que je fais ne ressemble pas au précédent. Chaque film a son propre langage, je n’aime pas me répéter. Je retournerai à la réalisation
si je me retrouve avec un sujet que je dois à tout prix réaliser. »