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Cannes 2012: Le choc de Suzanne, les larmes de Dolan

Suzanne Clément dans Laurence Anyways (crédit: Shayne Laverdière)

À la veille du dévoilement de la Palme d’or, plusieurs prix ont été attribués par différents jurys au cours de la journée. Le jury de la FIPRESCI a décerné un prix à Dans la brume de Sergei Loznitsa (en compétition), à Les bêtes du sud sauvage de Benh Zeitlin (Un certain regard) et à Rengaine de Rachid Djaïndani. L’an dernier, Le havre d’Aki Kaurismäki avait remporté cet honneur.

Parrainé par l’humoriste et comédien Thomas Ngijol, le Prix de la Jeunesse a été remis à Holy Motors de Léos Carax (en compétition), à qui plusieurs critiques prédisent la Palme d’or, tandis que le Prix Regard jeune (pour un premier ou deuxième film) a été remis à Les bêtes du sud sauvage de Benh Zeitlin (Un certain regard). L’an dernier, les récipiendaires de ces prix étaient La piel que habito de Pedro Almodovar et Martha, Marcy, May, Marlene de Sean Durkin.

Pour sa part, le jury œcuménique a décerné une mention spéciale à Les bêtes du sud sauvage de Benh Zeitlin (Un certain regard) – décidément, j’aurais donc dû aller le voir, celui-là! – et le prix oecuménique à La chasse de Thomas Vinterberg. L’an dernier, This Must Be the Place de Paolo Sorrentino, toujours pas sorti au Québec, raflait ce prix.

Présidé par Julie Gayet, le jury de la Queer  Palm a couronné le court métrage Ce n’est pas un film de cow-boy de Benjamin Parent (Semaine de la critique) et Laurence Anyways de Xavier Dolan (Un Certain Regard). Il s’agissait de la troisième remise de ce prix saluant les films « LGBT friendly »; les deux précédents récipiendaires sont Kaboom de Greg Araki et Beauty d’Oliver Hermanus. C’est la première fois qu’on remettait ce prix à un court métrage. Tous les films des sélections du festival sont éligibles à ce prix.

Peu avant la projection du film de clôture d’Un Certain Regard, Renoir de Gilles Bourdos, Thierry Frémaux, délégué général du festival, et Tim Roth, président du jury Un Certain Regard, ont remis les prix de cette sélection mettant de l’avant des films plus atypiques et des réalisateurs moins connus.

Une mention spéciale du jury a étéattribuée à Djeca de la réalisatrice bosniaque Aida Begic, tandis que le prix spécial du jury est revenu à Le grand soir de Gustave Kervern et Benoit Delépine (Louise Michel, Mammuth) et le prix Un Certain Regard à Despues de Lucia du Mexicain Michel Franco.

Coup de théâtre lorsqu’est venu le moment de remettre les prix d’interprétation : peu après qu’Émilie Dequenne reçoive le prix d’interprétation féminine pour sa prestation remarquable dans À perdre la raison de Joachim La Fosse, le jury a annoncé que les performances d’actrices ayant été si puissantes cette année qu’aucun prix d’interprétation masculine ne serait remis. C’est alors que Suzanne Clément, qui se donne corps et âme dans Laurence Anyways, a été appelée sur scène pour recevoir elle aussi le prix d’interprétation féminine.

Plus tôt cette semaine, j’ai eu le plaisir de m’entretenir avec Joachim La Fosse. Après lui avoir parlé de l’une des scènes mémorables du film, celle où Dequenne éclate en sanglot au volant de sa voiture en fredonnant Femmes je vous aime de Julien Clerc, voici ce qu’il m’a répondu : « J’ai mis ma caméra et ce qui s’est passé a été incroyable. Je n’avais pas mesuré à quel point le film était celui d’Émilie. Ce jour-là, je suis devenu spectateur de mon propre film. C’est la première fois que ça m’arrivait, ça allait au-delà de ce que j’imaginais. »

Ces propos de La Fosse ont d’ailleurs bien fait rire l’actrice, qui a lancé à la blague : « Ah ça, c’est pas vrai! Il m’a maltraitée pendant le tournage et là, il se rattrape. Ah la la! La langue de bois! Pour cette scène, c’était un peu l’angoisse du film, en plus de ça, la chanson n’a fait que changer et j’avais besoin de cette chanson très tôt. On n’est pas des machines, mais s’il y a un truc que j’ai appris grâce au théâtre, c’est que l’on peut quand même techniquement se préparer à certaines choses, à trouver des petits moyens, des petits déclencheurs. J’ai beaucoup écouté la chanson et j’ai essayé de me programmer sur certains mots. Évidemment au moment de tourner, tout nous échappe, mais au moins, ça m’a rassurée de me préparer comme ça. On est absolument pas maître de son cerveau et on pense à toute l’équipe qui attend, en plus, je sais pas conduire; comme mon personnage est sous antidépresseurs et que je suis très myope et astigmate, j’enlève les lentilles pour ne pas pouvoir très bien fixer un point comme les personnes qui prennent ce genre de médicaments. Et ensuite, allez, on y va! Joachim dit qu’on a fait six prises, moi, je dis qu’on en a fait huit. Jamais il ne m’a demandé de changer quelque chose. »

Après la cérémonie, l’émotion était à son comble lorsque mes confrères québécois et  moi avons très brièvement rencontré Suzanne Clément, encore sous le choc, et Xavier Dolan, qui avait de la difficulté à s’exprimer tant l’émotion l’étranglait : « On savait qu’on allait repartir avec un prix, mais on ne savait pas lequel, a dit  l’actrice.Lorsqu’Émilie a reçu son prix, pour l’un des seuls films que j’ai vus à Un Certain Regard, je salue d’ailleurs sa performance qui était tellement éblouissante, je ne m’y attendais pas. Je suis hyper heureuse. En plus, je l’ai reçu des mains de Tim Roth, un acteur que j’adore. L’un de mes souhaits, ce serait de jouer avec lui un jour; je vais certainement lui dire ce soir. Je ne sais plus quoi dire… »

« Moi, je sais quoi dire, a poursuivi le réalisateur, on a tourné pendant un an le film et on a fait beaucoup de visionnages et les commentaires ont souvent tangué vers la performance de Suzanne. Il y avait des doutes. C’est un personnage pour lequel je me suis battu et je sais au fond de moi qu’elle s’est donnée. J’y ai toujours cru. C’est une grande actrice! Quand on monte un film pendant un an, on apprend à se battre pour ce en quoi l’on croit. On s’est lancé, on a plongé et on n’a pas eu peur; c’est rare de pouvoir faire ça avec des actrices. Je suis vraiment très heureux que son travail soit reconnu ici, au festival. C’est une très grande victoire pour moi. »

Avant de quitter le hall de la salle Debussy, l’actrice a conclu : « C’est une espèce de bonheur et de déception. Ça fait bizarre de dire ça, pourtant j’étais super contente, mais quand j’ai vu que Xavier n’avait rien, ça m’a attristée. Je sais tout ce qu’il a mis dans ce film-là; ila une immense richesse de création et j’aurais aimé ça que ça soit récompensé. »

N’en déplaise au jury, les performances de Caleb LandryJones dans Antiviral de  Brandon Cronenberg et de Melvil Poupaud dans Laurence Anyways n’étaient pas mal du tout… Cela dit, je n’ai vu que six des vingt films de cette catégorie – eh oui, il est difficile de tout voir en dix jours.

Enfin, sur une note légère, mentionnons que ce sont deux terriers, Banjo et Poppy de Sightseers de Ben Wheatly (Quinzaine des réalisateurs), qui, succédant au Jack Russel Uggie, mémorable partenaire canin de Jean Dujardin dans The Artist de Michel Hazanavicius, sont devenus les lauréats de la Palm Dog. Benoît Poelvoorde a vu son partenaire à l’écran et à la ville, le Jack Russell Billy Bob, recevoir le Prix spécial du jury pour sa prestation dans  Le grand soir de Gustave Kervern et Benoit Delépine (Un Certain Regard). Dans mon cœur, la star canine de l’année, c’est Jackie, découverte dans Chef de meute de Chloé Robichaud.