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Karlovy Vary 2012 : une belle révélation

Martin Laroche et Marie-Évelyne Lessard se sont connus à Sherbrooke où ils évoluaient au sein de la ligue d’impro. S’étant perdus de vue, ils se retrouvent à Montréal. Laroche refile alors à la jeune comédienne un scénario traçant le portrait d’une Africaine ayant subi l’excision toute petite. À peine avait-il tourné les talons qu’elle s’est plongée dans la lecture du scénario. Durant sa lecture, elle passe du rire aux larmes, c’est donc sans hésiter qu’elle accepte d’incarner Sophie.

« Je me suis beaucoup renseignéesur le sujet, une aberration qui perdure, se souvient -elle, j’ai beaucoup lu, regardé des témoignages. J’ai eu les larmes aux yeux souvent. C’est audacieux d’amener quelque chose d’aussi tragique dans un contexte forain. C’est comme un lieu hétéroclite qui a quelque chose de très québécois comme signature. On se ramasse en région où on aurait pu aller dans le documentaire, dans le témoignage. »

En plus d’avoir à traiter d’un sujet grave, le rôle impliquait d’être très souvent derrière la caméra plutôt que devant : « Lors des répétitions, on l’a travaillé comme si j’allais être devant la caméra. On voulait être certain que si jamais on décidait que j’allais paraître dans certains plans que je sois prête. J’ai appris toutes mes scènes parce qu’il n’était pas question que je prive les autres acteurs d’un tremplin. Je voulais que la voix fasse sortir les bonnes émotions. Sur le plateau, c’est devenu un travail d’adaptation. Avec Félix Tétreault, merveilleux directeur photo, on a décidé que je me collerais à lui afin qu’il ressente mes impulsions etainsi donner l’impression que je  tenais réellement la caméra. C’était vraiment particulier comme travail, une drôle d’expérience pour un premier rôle dans un long métrage. »

Défendant avec brio ce rôle exigeant, Marie-Évelyne Lessard explique ainsi l’excision :« C’est un traumatisme psychique et physique extrême. Ces femmes vont souffrir toute leur vie, on les a violées. C’est une cicatrice qui guérit, mais qui va toujours se sentir dans la chair même s’il y a une libération qui s’opère. Par cette pratique que l’on retrouve principalement en Afrique subsaharienne, en Indonésie et au Sri Lanka, elles deviennent amputées, une partie d’elle leur est complètement arrachée, on leur enlève complètement leur sexualité, littéralement et émotionnellement. On leur enlève tout le plaisir potentiel; les relations sexuelles deviennent pénibles apparemment, donc toute leur vie, le plaisir de la chair est une torture.

Tel qu’évoqué à travers le personnage de Sophie, les plus fervents gardiens de la tradition sont très souvent les femmes : « C’est trop ancré dans la tradition et elles veulent être acceptées par la société, sinon ça jette l’opprobre sur la famille si la fille n’est pas excisée. Les jeunes filles ont hâte à leur excision, elles ne savent pas ce qui les attendent parce qu’on leur promet une fête, des cadeaux; on leur tait la souffrance qu’elles vont vivre, les douleurs potentiellement mortelles qu’elles vont subir. Il y a une éducation à faire. Une dizaine de pays se sont dotés de lois pour essayer d’éradiquer l’excision, mais c’est trop fort dans la tradition et tellement tabou qu’on en parle même pas entre mère et fille afin de ne pas jeter la honte sur la famille. Il n’y a pas d’évolution possible, mais les pays d’Afrique essaient de s’unir pour éduquer la
population sur les conséquences puisque beaucoup de femmes meurent en couches à cause de l’excision, des jeunes filles meurent d’infection, d’hémorragie », conclut Marie-Évelyne Lessard.