Vendredi soir, lors de la cérémonied’ouverture, l’actrice britannique Helen Mirren a reçu le Globe de cristal pour sa contribution exceptionnelle au cinéma. Au cours de son discours, où elle a rendu hommage à la regrettée Nora Ephron, Mirren déplorait qu’il y ait peu de femmes réalisatrices. Afin d’appuyer ses propos, elle s’est retournée vers le président du Festival de Karlovy Vary pour lui demander combien de films réalisés par des femmes y étaient programmés, ce à quoi il n’a pu répondre. Le lendemain, à la conférence de presse, Helen Mirren est revenue sur le sujet.
« Je ne parlais pas spécifiquement des actrices, mais bien des réalisatrices. Il y a beaucoup de femmes dans l’industrie mais peu d’entre elles se retrouvent sur les plateaux. J’ai toujours dit aux scénaristes qu’ils n’avaient pas à se soucier d’écrire des rôles pour les actrices en leur expliquant qu’ils n’avaient qu’à les écrire pour les acteurs et ensuite leur donner un nom féminin. Dans La tempête, de Julie Taymor, où j’ai joué Prospera, le rôle était écrit pour un homme et la conversion a bien fonctionné. Je ne me suis jamais plainte à propos des rôles de femmes en fiction, mais à propos du rôle de la femme dans la vie. À mesure que son rôle évoluera dans la société, les rôles féminins suivront. En 2012, la situation est bien différente de celle il y a 10 ans et il en sera ainsi dans 10 ans, je suppose. La femme sera plus présente sur les plateaux, en politique, dans la société en général. »
Dame Mirren est elle-même passée brièvement derrière la caméra : « J’ai réalisé un
court métrage d’une demi-heure (le segment Happy Birthday dans le collectif On the Edge) aux États-Unis et j’ai adoré l’expérience. Je suis chanceuse puisqu’étant mariée à un réalisateur, j’avais droit à des conseils sur l’oreiller. Je me suis rendu compte que c’était un métier extraordinaire tout en sachant que je ne le ferais plus car ce n’est pas dans ma nature. J’ai étudié pour devenir actrice et lorsqu’on m’a offert de réaliser un téléfilm de deux heures, j’ai refusé parce que j’aime être actrice. C’est mon destin. J’encourage toutefois les femmes à le faire afin qu’il y ait plus de réalisatrices. »
La veille de la conférence de presse avait eu lieu la projection de The Door, d’István
Szabó, d’après le roman de Magda Szabó, où elle incarne une femme revêche qui devient la domestique d’une romancière (Martina Gedeck) dans la Hongrie des années 60. Hélas! The Door fait figure d’erreur de parcours dans la prestigieuse carrière de Mirren puisque ce film ressemble à un lourd et daté téléfilm souffrant d’une trame sonore plaquée et assommante et peuplé de personnages aux contours flous. L’actrice a cependant parlé de ce film en termes polis.
« Honnêtement,dans The Door, j’ai joué l’un des rôles les plus difficiles de ma carrière. Ça
ne paraît pas à l’écran, mais je portais la responsabilité de raconter une histoire hongroise des années 60 qui traitait de la Seconde Guerre mondiale, du communisme. Tout le temps, je devais penser à tout cela. C’était vraiment difficile. Pour le maquillage, c’était génial car ça ne prenait que cinq minutes. Ce qui me plaisait dans The Door, c’est que le récit tournait autour de la rencontre entre deux femmes, alors qu’au cinéma, on se retrouve souvent entourée d’hommes. Nous avons eu énormément de plaisir à faire ce film, nous avons beaucoup ri durant le tournage. »
Comme le réalisateur américain Taylor Hackford (An Officer and a Gentleman, Dolores Claiborne, Ray) mari d’Helen Mirren, était également présent à la conférence de presse, il y a aussi été question du film White Nights tourné en 1985, film important aux yeux de Mirren dans sa carrière puisqu’elle avait encore tourné peu de films américains : « Nous avons tourné White Nights dans plusieurs pays, le plus intéressant, c’est que j’ai pu me rendre en Russie alors qu’à l’époque c’était plutôt difficile. Je suis allé à Leningrad avec ma caméra afin de prendre des photos. J’ai ensuite montré ces photos à mon équipe pour qu’on me trouve des endroits semblables. Plusieurs scènes ont été tournées à Helsinki; plusieurs Russes et personnes connaissant bien la Russie m’ont demandé comment j’avais tourné à Leningrad tellement ils y voyaient des détails propres à Leningrad. La chose la plus importante de ce tournage, c’est d’y avoir rencontré ma femme. »
Quant à savoir pourquoi ils ont peu tourné ensemble, Mirren a donné cette réponse : « Nous avons cherché à travailler plus souvent ensemble, mais il fallait trouver des projets qui nous convenaient. Et puis Taylor est arrivé avec Love Ranch (2010), projet que je trouvais charmant; j’aimais le récit, le milieu et l’idée de pouvoir enfin travailler avec lui après tant d’années. »
Et Taylor Hackford d’ajouter : « À l’écran, vous pouvez vous rendre compte du travail d’Helen, mais ne pouvez comprendre la joie que c’est de travailler avec elle. Il y a peu d’acteurs avec qui j’ai travaillé à qui je peux demander à peu près tout et qui sont capables de comprendre puis d’interpréter ce que j’ai en tête. Sur le plateau, c’est le réalisateur qui dirige, mais lorsqu’on y retrouve de tels acteurs, les autres voient leur jeu bonifié. »
Sans doute pour faire contrepoids au navrant The Door, Mirren est revenue plus longuement sur le rôle qui lui a mérité l’Oscar de la meilleure interprétation féminine en 2007, The Queen, de Stephen Frears : « C’était un grand défi, car en Angleterre, tout le monde connaît le visage, la voix, l’allure, la démarche de la reine. Il fallait faire attention à une multitude de détails. Dans mon pays, dès qu’il est question de la famille royale, vous pouvez être sûr que tout le monde y portera une grande attention et j’étais très consciente de cela. J’ai regardé beaucoup de films sur la reine, beaucoup de ses portraits. Contrairement à Élisabeth 1re, qui contrôlait son image, Élisabeth II est assez libérale. Pour les milliers de portraits qu’on a fait d’elle, elle a toujours respecté la liberté de l’artiste. Récemment, elle a laissé un artiste faire un portrait d’elle les yeux clos. Je me suis alors dit que j’étai sune artiste et que ce rôle était mon portrait d’elle. »
Admiratif, Hackford a expliqué la démarche artistique de sa femme : « Ce que je trouve fascinant, du point de vue du mari et non du metteur en scène, c’est que j’étais avec ma femme lorsqu’elle préparait le rôle. Elle faisait des recherches et avait plusieurs bandes d’archives. J’ai alors remarqué que les seuls films qu’elle regardait étaient ceux où l’on voyait la reine avant qu’elle soit reine, lorsqu’elle était enfant. Je me demandais quand est-ce qu’elle allait regarder les autres films où l’on voyait la reine à l’âge mûr. Et finalement, je ne les ai jamais vus. Je ne comprenais pas, alors je lui ai demandé pourquoi elle s’intéressait à la reine enfant et non pas à la reine adulte. Je lui disais que le temps filait et qu’elle n’aurait pas le temps de voir les films plus récents. Helen m’a répondu qu’elle ne voulait pas la voir reine car une fois couronnée,
Élisabeth n’est plus elle-même, elle est la reine et que si elle voulait vraiment connaître qui elle était, c’était en retournant à l’enfance de celle-ci. J’ai trouvé ça fascinant, d’autant plus qu’Élisabeth n’était pas destinée à devenir reine puisque c’est
son oncle et non son père qui devait être roi. »
Parmi les autres beaux rôles de sa carrière, il y a bien sûr celui de Sofya Tolstoï, épouse du grand écrivain russe, interprété par Christopher Plummer, dans The Last Station de Michael Hoffman : « Le scénario était merveilleux et je voulais vraiment le jouer. Comme mon mari le sait, je ne peux résister à un rôle aussi payant et c’était un plaisir absolu que de jouer Sofya Tolstoï. À la manière de la reine, Emerenc, dans The Door, est très difficile à interpréter, tandis que Sofya était plus épuisante. À l’instar du roman, on ne sait jamais si Emerenc a collaboré avec les Nazis, si elle est odieuse ou noble, car elle a créé un mystère autour d’elle. Avec Sofya, c’était comme plonger à l’eau sans y penser. »
En 2013, on pourra voir Helen Mirren incarner de nouveau l’épouse d’un grand créateur puisqu’elle prête ses traits à Alma Reville, madame Alfred Hitchcock à la ville, au côté d’Anthony Hopkins dans Hitchcock de SachaGervasi, lequel relate le tournage de Psycho – Scarlett Johansonn y incarne Janet Leigh : « C’est un excellent scénario et aussi l’opportunité de travailler avec le grand Anthony Hopkins. Tous deux venons d’un milieu similaire, nous sommes issus du théâtre britannique, nous sommes venus en Amérique afin de poursuivre une carrière cinématographique. Nous avons eu la chance de tourner en Californie. Alma Reville est un grand rôle pour moi; elle a beaucoup contribué à l’œuvre de son mari Alfred Hitchcock. »
Enfin, alors que plusieurs artistes préfèrent ne pas répondre à la question concernant leur préférence entre le cinéma et le théâtre, Helen Mirren a avoué sans détour : « Lorsque je tourne, je me dis que je serais plus heureuse de jouer au théâtre parce que je n’aurais pas à me lever si tôt pour être sur le plateau. Quand je joue authéâtre, je me dis que j’aimerais mieux tourner puisque je me sens privée de liberté à cause des représentations en matinée. J’aime les deux formes d’expression, leurs différents modes d’approche. Si je devais choisir entre le cinéma et le théâtre, je choisirais probablement choisir le cinéma, mais ce serait un choix difficile. »