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Karlovy Vary 2012: Dobry den Québec!

Mars et Avril, de Martin Villeneuve
Mars et Avril de Martin Villeneuve: une étonnante fantaisie cosmique punk et baroque. (photo: Alliance Vivafilm)

Du Montréal futuriste à la planète Mars, en passant par le Québec rural, Martin Laroche, Rafaël Ouellet et Martin Villeneuve ont démontré aux enthousiastes et jeunes spectateurs du Festival international de films de Karlovy Vary que le cinéma québécois rimait avec singularité, audace et débrouillardise.

Dans son troisième long métrage, Martin Laroche (La logique du remords, Modernaire) traite de mutilations génitales dans un contexte de fête foraine du point de vue de Sophie (Marie-Évelyne Lessard, belle révélation du film), aspirante réalisatrice d’origine africaine. Tourné en caméra subjective, Les manèges humains prend la forme d’un documentaire ludique ponctué d’amusantes conversations entre amis et confrères qui se transforme bientôt en thérapie bouleversante. Afin de s’émanciper sexuellement, Sophie fera une demande des plus troublantes à un collègue de travail.

« Je n’ai pas rencontré de femmes excisées, explique Laroche, mais quand j’ai vu des entrevues d’Ayaan Hirsi Ali, militante somalienne ayant subi l’excision enfant, j’aimais son côté femme forte, et c’est ce que je voulais retrouver dans le personnage de Sophie. Quand elle décide d’en parler, c’est Geneviève (Stéphanie Dawson) qui n’est pas capable de le recevoir. Je ne voulais pas que Sophie joue la victime; au contraire, qu’elle veuille s’en sortir et puisse dénoncer cette pratique. »

S’étant intéressé dans ses premiers longs métrages (Le cèdre penché, Derrière moi et New Denmark) à la psyché féminine, Rafaël Ouellet signe ici son film le plus accompli, tant dans sa forme que dans son fond, en traçant un prenant portrait d’hommes à la dérive superbement interprété par Julien Poulin, Patrice Dubois et Stéphane Breton. Voyant son père (Poulin) s’enfoncer dans la dépression après avoir été impliqué dans un accident mortel de la route, Samuel (Dubois) retrouve son frère Alain (Breton) et l’emmène chez leur père; les retrouvailles seront l’occasion pour tous trois de repenser leur avenir.

« Quand j’essaie d’écrire pour des hommes, confesse Ouellet, c’est tout le temps très proche de moi; quand j’écris pour des filles, je peux plus partir dans une fiction, pour ce que ça a de bon et de moins bon. Pour Camion, je me suis embarqué sur un terrain assez personnel : un village, un père, deux fils. Ce n’est pas un film autobiographique, mais ça fait partie de moi. J’ai quand même fait l’effort de brouiller les pistes afin que les deux frères ne soient pas mon frère et moi, mais mon frère ou moi, ou même complètement autre chose. »

François Papineau, membre du jury des films en compétition (l’autre Québécois à partager cet honneur ayant été Rock Demers en 2003), témoigne de la réception de Camion : « Ce n’est pas un film à grosses réactions, mais le public a eu une belle réaction et, évidemment, un gros choc au début lorsque l’événement se produit. J’ai seulement vu les films en compétition, mais je dirais qu’ici le réactions sont respectueuses et chaleureuses. Il y a quand même des gens qui sortent de la salle, discrètement, mais moins que dans d’autres festivals. En fait, le public de Karlovy Vary est plus chaleureux que celui de Toronto, mais moins que celui de Rouyn. »

Il se fait trop peu de films de genre au Québec et avec Mars et Avril, Martin Villeneuve prouve qu’on peut faire de la bonne science-fiction. Certes, rien n’est parfait dans cette étonnante fantaisie cosmique, où un musicien (Jacques Languirand) et un fabricant d’instruments de musique (Paul Amarhani) s’éprennent d’une photographe (Caroline Dhavernas), qui séduit par ses allures punk et baroque plus que par son récit quelque peu bancal. Dix ans avant de voir le jour au grand écran, Mars et Avril était un photo-roman en deux tomes où la jeune muse prenait alors les traits de Marie-Josée Croze.

Martin Villeneuve
Martin Villeneuve (photo: Alliance Vivafilm)

« Le livre a toujours été un objet de grand intérêt et de fascination pour moi, affirme Villeneuve. Quand j’ai commencé le tome 1, j’étudiais en design graphique et en cinéma; c’était une plate-forme de grande liberté de revisiter le photo-roman avec un parti pris moderne où je pouvais raconter une histoire qui n’était pas tributaire d’une machine complexe comme le cinéma et le théâtre. C’est Robert Lepage qui a eu l’idée d’en faire un film en venant faire les photos du tome 2. »

Les années qui ont précédé la première projection à Karlovy Vary ont été difficiles pour Martin Villeneuve, qui a dû investir temps et argent, contrer avec créativité chaque obstacle. Souhaitons que l’accueil du public québécois sera aussi favorable que celui des cinéphiles tchèques.