Camion de Rafaël Ouellet possède des qualités narratives et visuelles indéniables, mais il ne faudrait certainement pas passer sous silence le superbe trio d’acteurs que forment Julien Poulin, Patrice Dubois et Stéphane Breton : « La direction de Rafaël est extrêmement importante, reconnaît Poulin. Tu as beau diriger, il faut que tu puisses guider avec des images, avec un ton. Rafaël a créé un climat très, très intime. L’autre élément important, c’est l’endroit. Pour le tournage, je me suis retrouvé à Dégelis, un endroit plein de camionneurs. J’allais dîner avec des camionneurs; tranquillement, je les observais pour m’en inspirer. »
« C’est tellement important de vivre avec ce qu’on fait et de faire avec ce qu’on vit, renchérit Dubois. Il y a une espèce de cohabitation avec nos projets, ça change notre façon de vivre, ce travail-là devient plus un temps que tu donnes à quelque chose. Je ne craignais pas d’avoir deux jours de congé à Dégelis, de restes dans mes affaires. »
Sombrant peu à peu dans la dépression après avoir subi un accident de la route, le père Racine (Poulin), veuf, appelle son fils Samuel (Dubois), qui vit à Montréal, pour lui exprimer son désarroi. Celui-ci va alors cherche son frère Alain (Breton), qui vivote à St-Jean au Nouveau-Brunswick. La rencontre ne sera pas des plus chaleureuses, les trois hommes expriment peu leurs émotions.
« Humblement, j’ai des affinités avec le personnage qui m’a été présenté, à cause du sujet, de la personnalité, avoue Julien Poulin. En lisant le scénario, j’ai senti dès le départ que c’était un jeu en retenue. Ce que j’aimais, c’est que ce n’est pas un film de mots : on voit les personnages, on les sent, on est avec eux. Au début, on a joué nos scènes seuls et ensuite, nos personnages se rencontrent. On voit alors l’unité de jeu. En regardant Patrice faire son travail de concierge, je me suis dit qu’à son âge, j’aurais probablement eu le même type d’énergie. »
Par souci de réalisme, Rafaël Ouellet a même exigé que Poulin conduise lui-même le camion. L’honneur d’enseigner les rudiments de la conduite de camion est revenu à nulle autre que le père du réalisateur, qui fut camionneur de l’âge de 15 ans jusqu’à sa retraite. Dans les plans éloignés, c’est l’ex-camionneur qui conduit. Quant à percutante et efficace scène de l’accident, il s’agit d’un cascadeur professionnel – Ouellet n’ayant pas voulu que son père risque un véritable accident. Poulin a trouvé le père du réalisateur si inspirant qu’il l’invitait à venir sur le plateau même lorsque sa présence n’était pas nécessaire.
Réunis chez leur père, les deux frères constateront que ni l’un ni l’autre semblent heureux. Samuel ne s’est toujours pas remis d’une peine d’amour vieille de 18 ans; Alain ne travaille plus depuis qu’il s’est blessé au bras. En fait, les deux trentenaires vivent une parenthèse pour le moins désenchantée. Bien qu’ils se ressemblent, la communication n’est pas si aisée que cela entre eux.
« Ce sont des hommes de peu de mots, des hommes de l’intérieur, explique Patrice Dubois. Il y a un héritage qui vient beaucoup du père. Le personnage de Stéphane est un homme de plein de mots, mais ça ne veut pas dire qu’il s’exprime davantage. Cette espèce de dualité est un bon point d’ancrage pour entrer en soi. À ce compte-là, ils sont représentatifs de l’homme québécois. »
Dubois poursuit : « Ce qui m’a frappé la première fois que j’ai lu le scénario, c’est la neige. Avec l’absence de mots chez les Québécois, la neige est un élément ancré en nous. C’est le cycle qui finit ou qui commence. Comme mon fils est né le jour de la première neige, c’est le symbole d’une nouvelle vie qui commence. »
Parmi les scènes mémorables du film, notons la scène de chasse où Samuel, le plus doux, le plus effacé des trois hommes, montrera un aspect insoupçonné de sa personnalité :« Je pense qu’à ce moment-là, il est à un tournant de sa vie; il saisit l’instant. Quand Sam décide d’aller chercher Alain et d’aller aider leur père, il ne sait pas ce qu’il fait, il ne fait que réagir. Au moment de la chasse, c’est son réflexe de survie qui s’incarne en lui. Comme je le disais à Rafaël, il fallait qu’il fasse un pas, qu’il ne reste pas derrière les deux autres. »
Et de conclure Julien Poulin :« Mon personnage tue quelqu’un accidentellement et ça l’amène au bord de l’abîme. Ses fils reviennent le soutenir et par le rituel de la chasse, ils se ressoudent autour de la mort. »