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Karlovy Vary 2012 : le système D

À écouter les propos de Martin Villeneuve, la réalisation de son premier long métrage, Mars et Avril, fut une odyssée pour le moins périlleuse, voire cauchemardesque. Ainsi, peu importe la question, il en revient toujours aux nombreuses difficultés rencontrées en chemin, lesquelles l’ont toutefois permis de se dépasser de son propre aveu. Il faut dire que ce projet, qui avait débuté modestement en photo-roman il y a une dizaine d’années, était plus qu’ambitieux, c’est-à-dire, très coûteux.

« Le livre a toujours été un objet de grand intérêt et de fascination pour moi, affirme Villeneuve. Quand j’ai commencé le tome 1, j’étudiais en design graphique et en cinéma; c’était une plate-forme de grande liberté de revisiter le photo-roman avec un parti pris moderne où je pouvais raconter une histoire qui n’était pas tributaire d’une machine complexe comme le cinéma et le théâtre. C’est Robert Lepage qui a eu l’idée d’en faire un film en venant faire les photos du tome 2; il avait lu le premier tome et avait assez aimé ça pour s’impliquer dans le second. Selon lui, de combiner les deux tomes ferait un bon film. »

Le premier tome ayant été bien accueilli, il allait de soi qu’un second paraîtrait. Bien qu’ayant connu une ascension fulgurante grâce à son prix d’interprétation à Cannes, pour Les Invasions barbares d’Arcand, et venant de tourner Munich sous la direction de Spielberg, Marie-Josée Croze, première incarnation de la muse photographe Avril, a pu participer aux deux tomes, mais il n’était pas possible qu’elle soit de l’aventure cinématographique.

« C’est une bonne amie et c’est pour ça qu’elle avait accepté de participer au livre. Elle trouvait ça drôle de faire un photo-roman. D’ailleurs tous les acteurs trouvaient ça drôle parce qu’ils ne sont jamais appelés pour ça et ce n’est pas très impliquant pour eux parce qu’il n’y a pas de texte à apprendre ni plusieurs semaines de tournage, mais quelques heures seulement. Ils avaient tous voulu y contribuer sans vraiment savoir ce qu’ils faisaient autrement que d’aider un étudiant en design graphique de l’UQAM. »

Pour remplacer Marie-Josée Croze, Villeneuve a donc pensé à Caroline Dhavernas, une autre bonne amie, choix approuvé par Croze. Vedette des tomes 1 et 2, Jacques Languirand a été rappelé, à sa grande surprise pour reprendre son rôle de musicien qui s’éprend d’Avril. Alors que la compagnie de Robert Lepage, Ex-Aequo, avait engagé Martin Villeneuve pour scénariser son film, Lepage abandonne le cinéma et ferme sa compagnie en 2006. Voulant faire son film à tout prix puisque aucun projet du genre avait été fait au Québec, Villeneuve obtient un budget de 1,5M$ – la SODEC et Téléfilm ne pouvant lui offrir le budget pour un projet évalué ente 15 et 20M$.

Après le tournage, Villeneuve se retrouve avec un film sans musique ni effets spéciaux, que des acteurs évoluant devant des écrans verts. Vision Globale s’engage à faire les effets spéciaux et la postproduction au quart du coût. Entre-temps, le bédéiste belge François Schuitten (Les cités obscures) devient concepteur visuel de Mars et Avril, d’où l’esthétique très bédé de ce délire punk et baroque, lequel évoque par moments les émissions pour enfants des années 60 et 70 (La Ribouldingue, Piccolo), de même que les univers d’Enki Bilal et de Moebius.

« C’est un drôle de melting pot; les livres font très Sol et Gobelet, mais il ne fallait pas qu’il en soit ainsi pour le film. Je ne voulais pas faire de photo-montage ni de dessins animés, je voulais faire un film fantaisiste. Pour les décors, mes inspirations étaient les bandes dessinées de François Schuitten, que j’ai approché; plutôt que de faire « à la manière de », je voulais travaillé avec lui. »

Martin Villeneuve a même obtenu la permission des éditions Casterman de pouvoir reproduire des décors conçus par Schuitten. De belles trouvailles ont émergé dans l’esprit de Villeneuve à chaque embûche. Ainsi, après que Robert Lepage eut annoncé qu’il ne pourrait pas être du tournage, le jeune réalisateur a décidé de filmer sa tête à l’aide de six caméras et de faire du personnage de Lepage un savant à tête holographique.

« J’aime tous les genres de cinéma, en autant que ce soit bon. Je ne dis pas que tous les films doivent être de la science-fiction ou fantaisistes, mais il faut en faire plus au Québec parce que c’est un autre façon de s’exprimer, ça nous sort de notre quotidien. Lorsque je suis arrivé avec ce projet-là, il n’y avait pas de référent ni de précédent. Si quelqu’un m’avait tout ce que j’allais traverser pour m’y rendre pendant ces sept années, j’aurais probablement mis mes énergies sur autre chose », conclut Villeneuve, dont le prochain long métrage a été écrit avec les héros de son enfance, François Schuitten et Benoît Socal (créateur du jeu vidéo L’Amerzone).