Vendredi après-midi, je me suis retrouvée seule quelques instants avec Thomas Bidegain, scénariste de Rouille et d’os, alors que Jacques Audiard était retenu je ne sais où ni pour quelle raison. Comme on nous propose rarement de rencontrer des scénaristes, j’étais plutôt contente de ce petit retard et j’en ai profité pour lui demander si le métier était aussi ingrat qu’on le raconte, c’est-à-dire, s’il se sentait dépossédé de son travail dès qu’il était pris en charge par le réalisateur. Voici ses propos.
« Jacques a été scénariste, alors il sait ce que c’est. C’est le troisième film – De battre mon cœur s’est arrêté, Un prophète et celui-ci – sur lequel on travaille ensemble. Je fais un peu plus que le travail de scénario. D’habitude, j’accompagne vraiment le film. Je fais tout le travail de préparation et ensuite, pendant le film je vois les rushs avec Jacques, qui n’aime pas beaucoup voir les rushs; ainsi, ça me permet de retravailler certaines scènes. Tous les jours, je fais un compte rendu. La différence avec les scénaristes qui n’écrivent que le film, c’est qu’avec Jacques, on accompagne vraiment l’idée qu’on écrit pas une histoire mais l’idée qu’on écrit un film. Jusqu’au mixage et à l’étalonnage, des éléments qui viennent aussi raconter l’histoire, le film est toujours en train de s’écrire. »
Avouant qu’il touchait aussi un peu au découpage technique après le lui avoir demandé, il a poursuivi du même souffle :« Un scénario n’est pas un document littéral, c’est quelque chose qui est censé donner un peu l’idée de ce que va être le film. Écrire un film, c’est continuer à suivre sa progression. Il y a beaucoup de choses qui ne sont pas sur la page, comme le jeu des acteurs, les costumes, etc. Avec Jacques, on a un dialogue qui se poursuit jusqu’à la fin du film. Et c’est pour ça que je l’accompagne ici, parce qu’on continue de travailler ensemble. »
Le scénario de De rouille et d’os puise sa principale source dans deux nouvelles du recueil de Craig Davidson, Rust and Bone et Rocket Ride (désolée, je suis en train de lire la version originale, alors je n’ai pas les titres en français). Thomas Bidegain a raconté ainsi la genèse du scénario : « C’est Jacques qui a lu ces nouvelles qu’on lui avait offertes pour son anniversaire. Il me les a fait lire et pendant qu’il faisait le montage d’Un prophète, j’ai choisi certaines de ces nouvelles et j’en ai fait une histoire d’amour. Dans la première nouvelle, celle du boxeur, celui-ci ressemble au personnage du film, mais ce n’est pas lui; dans une autre nouvelle, il s’agit un dresseur d’orques qui perd une jambe. L’idée que j’ai eue, c’est de transformer cet homme en femme et de faire une histoire d’amour entre elle et le boxeur. Jacques a dit que si on n’avait pas lu ces nouvelles, on n’aurait pas fait ce film. Ce qui nous intéressait chez Davidson, c’était ce monde de catastrophes, brut, sans pitié et ensuite, de l’adapter à notre monde. »