En attendant de pouvoir vous en dévoiler plus sur mes découvertes, voici une version allongée d’un texte qui paraîtra dans nos pages jeudi.
Entre les reprises cannoises et les primeurs torontoises, ce sont les invasions danoises qui retiennent notre attention au 37e Festival International du Film de Toronto.
Au moment d’écrire ces lignes, le TIFF entreprenait sa deuxième semaine. Certes, la ville paraissait moins fébrile, la plupart des stars étant retournées sur leur planète, mais il restait encore des titres alléchants à découvrir. Trêve de nostalgie, voici quelques uns des propos recueillis durant ces quelques jours dans la Ville-Reine.
Lauréat pour une seconde fois de la Palme d’Or, Michael Haneke présentait Amour, formidable duo d’amoureux au crépuscule de leur vie interprété par les vénérables Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva : « Le cinéma s’adresse souvent aux jeunes, mais mon film n’est pas en réaction à cela. C’est une réflexion qui concerne les producteurs se demandant si un tel film puisse se vendre. Je voulais raconter une histoire, comme le titre le dit, sur l’amour, sur la façon de gérer la souffrance de quelqu’un que vous aimez. Pour moi, la meilleure façon de le faire, c’était en respectant les unités classiques de lieu, de temps et d’action. »
Parmi les canons cannois, figurait dès les premiers jours De rouille et d’os de Jacques Audiard, où Marion Cotillard trouve en Matthias Schoenaerts un partenaire hors du commun. Film antidote à Un prophète, De rouille et d’os prend sa source dans l’univers sombre et sans pitié du recueil de Craig Davidson, De rouille et d’os, voici ce qu’il a eu pour réponse : « Ce dont nous avions besoin, c’est ce que fournissait le matériel des nouvelles de Davidson, confiait le réalisateur. On ne voulait pas d’un « tragédisme », d’un fatalisme. Il fallait, comme dans un conte, qu’il y ait une fin un peu heureuse, mais naturellement heureuse, sans insistance. »
Présenté en clôture à Cannes, Thérèse Desqueyroux, d’après Mauriac, aura permis à Claude Miller de partir en offrant un film lumineux et en permettant à Audrey Tautou d’explorer avec brio des zones sombres de sa personnalité :« C’est l’histoire d’une libération. Je savais que j’avais en moi cette gravité, cette mélancolie, ce sérieux. C’est un rôle très différent de ceux que j’ai faits, bien que j’aie touché à la fermeté et l’autorité avec le personnage de Chanel. Je n’avais jamais joué un personnage aussi complexe, aussi mystérieux, aussi douloureux et avec autant de contradictions. »
Nouveautés
S’il n’a pas la force d’Amour, le modeste A Late Quartet de Yaron Zilberman s’avère un film émouvant sur la vieillesse à travers le destin d’un quatuor (Philip Seymour Hoffman, Catherine Keener, Mark Ivanir et Christopher Walken) ébranlé par la maladie de leur doyen : « Je n’étais pas dans ma zone de confort non pas parce que Yaron m’a fait jouer un personnage vulnérable, très différent des autres, se souvient Walken, mais parce que je devais prétendre savoir jouer du violoncelle. Je détestais les cours de violoncelle! Après cinq minutes, je finissais par déposer l’instrument sur le sol et à bavarder avec le professeur à propos du prix du violoncelle.
S’inspirant librement d’une pièce espagnole, François Ozon livre une hilarante réflexion sur la création et l’éducation, Dans la maison, où le nouveau venu prodigieux Ernst Umhauer fait pénétrer un couple bourgeois (Fabrice Luchini et Kristin Scott Thomas) dans le quotidien d’un couple de la classe moyenne à travers ses compositions françaises.
« Je crois que ce sont des anciens ambitieux, avançait l’actrice britannique; ils ont accepté qu’ils ne seront pas ce qu’ils avaient rêvé d’être. Ce que je trouve émouvant, c’est que ce couple, qui se considère comme l’élite, devient totalement fasciné par des gens ordinaires. Bien que François décortique de façon assez cruelle les statuts sociaux des protagonistes, il y a une émotion, une tendresse. »
À quelques jours de lancer son autobiographie, Salman Rushdie épaulait Deepa Metha, réalisatrice de l’adaptation de son roman Midnight’s Children. Hélas! Malgré la magie des jeunes personnages nés sous le coup de minuit alors que l’Inde obtenait son indépendance, le film se révèle pour le moins lourd et laborieux. Dommage, car il s’agit là d’une page d’histoire fascinante…
« Je suis né huit semaines avant l’Indépendance de l’Inde, racontait Rushdie, scénariste et narrateur du film. La génération sur laquelle j’écris est la mienne, la première génération d’enfants libres né en Inde en 200 ans. C’est une génération importante d’abord pour cette notion de liberté, mais aussi parce que c’est une génération transitionnelle. Nous en savons assez sur le colonialisme pour comprendre que celui-ci s’arrête le jour ou les colonialistes s’en vont. Nous avons vécu cette période intéressante entre le passé qui se fanait et le futur qui s’annonçait prometteur. »
Le royaume du Danemark
Si De rouille et d’os de Jacques Audiard est l’antidote à Un prophète, il ne faudrait surtout pas croire que Love Is All You Need, comédie romantique mettant en vedette Trine Dyrholm et Pierce Brosnan, est celui d’After the Wedding : « Je ne travaille pas du tout comme ça, assurait Susanne Bier, lorsque je fais un film, ce n’est pas une réponse au précédent. J’avais envie d’une comédie romantique légère mais qui soit aussi touchante. Je me suis amusée à y aller à fond, je ne me suis pas cachée du tout derrière l’ironie. On peut l’entendre dans la trame sonore où j’ai choisi des tubes italiens que tout le monde connaît et identifie d’emblée à l’Italie. » Une chose est sûre, bien que chaleureusement accueilli, pas d’Oscar en vue pour ce film dont le talent des interprètes ne fait pas oublier les maladresses de l’ensemble.
Drame poignant ayant mérité le prix d’interprétation masculine au bouleversant Mads Mikkelsen à Cannes, The Hunt de Thomas Vinterberg raconte la douloureuse descente aux enfers d’un homme faussement accusé de pédophilie :« Dans Festen, je traitais d’enfants abusés, or, dans celui-ci, je voulais montrer l’envers de la médaille, ce qui arrive lorsqu’un enfant prétend avoir été abusé. Cela dit, ce n’est pas un thème qui m’obsède et je n’ai jamais été abusé. J’ai grandi dans une commune des années 70 entourée d’organes génitaux; tout le monde se promenait nu et il n’y avait rien de choquant. Je voulais montrer comment le mensonge peut détruire une vie », a révélé le cinéaste.
Ayant raflé deux prix à la Berlinale, meilleur scénario pour Rasmus Heisterberg et le réalisateur Nikolaj Arcel, et prix d’interprétation pour l’excellent Mikkel Boe Folsgaard en roi fou, A Royal Affair a certainement plus de chance de séduire les critiques avec cette page d’histoire presque trop belle pour être vraie où le médecin du roi du Danemark (Mads Mikkelsen) devient l’amant de la reine (Alicia Vikander) afin de provoquer une révolution inspirée des Lumières.
« Nous avons travaillé avec trois historiens et chacun d’eux a sa propre interprétation des faits, tout en s’entendant sur plusieurs points. Le docteur Struensee aimait-il réellement la reine Caroline Mathilde ou s’est-il servi d’elle pour faire passer plus de 200 lois en une année et demie? Comme nous sommes tous deux romantiques, nous croyons que puisqu’ils partageaient les mêmes idées inspirées des Lumières, ils étaient réellement amoureux », a confessé Arcel.
Enfin, à propos de l’essor du cinéma danois des dernières années, Heisterberg a eu cette réponse :« C’est un cinéma commercial avec une touche européenne. Je ne sais pas pourquoi l’Amérique s’est entichée des films danois, mais je crois que s’il y a de plus en plus de jeunes qui veulent faire du cinéma au Danemark, qui est un petit pays où il difficile d’obtenir du financement, c’est grâce à Lars Von Trier et Dogme 95. »