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Berlinale 2013 : Vic + Flo ont été vues à Berlin

Surnommé à son corps défendant « le gars des festivals », Denis Côté aime apparaître là où personne ne l’attend. Ainsi, un an après Bestiaire, poème zoologique ayant été accueilli avec enthousiasme chez les uns et rejeté avec violence par les autres, le voilà de retour avec Vic + Flo ont vu un ours. Comme il l’expliquait à la conférence de presse cet après-midi à la 63e Berlinale, ce n’est ni un film pour enfants, ni un film d’animation, et les Vic et Flo en question ne sont pas des garçons.

De fait, Vic + Flo ont vu un ours, présenté en compétition officielle (l’an dernier, Bestiaire s’était retrouvé dans la section Forum), flirte avec le drame naturaliste, le film de vengeance, le film de genre, le surnaturel, le conte et le romantisme. « Des fois les gens me demandent quand est-ce que je vais faire un film d’horreur, expliquait le cinéaste rencontré tout juste à près la conférence de presse en compagnie de confrères de la presse québécoise. Je ne veux pas faire de films d’horreur, je veux faire Les yeux sans visage de Franju. C’est un peu un film d’horreur, mais ce n’en est pas tout à fait un et il reste de la poésie. Je veux faire des films hybrides comme Drive – pas que je capote sur Drive – mais tu vois bien que le cinéaste ne veut pas faire un film avec des chars de course mais qu’il veut faire plus. Ces hybrides-là m’intéressent. »

Si l’on y retrouve la présence rassurante de Pierrette Robitaille, dans le rôle de Vic, sexagénaire voulant refaire sa vie avec sa compagne rencontrée en prison, Flo, interprétée par Romane Bohringer, avec l’aide d’un bienveillant agent d’approbation incarné par Marc-André Grondin (que Côté avait dirigé dans le moyen métrage Les lignes ennemies), cet hybride campé en forêt risque d’ébranler plus d’un spectateur… Et ceux qui n’ont pas aimé la finale ouverte de Curling vont en prendre plein la gueule. On ne vous en dit pas plus.

Annoncée par la musique aux accents tribaux et guerriers, laquelle rien à voir avec l’atmosphère paisiblement sylvestre que promettent les premières scènes, la menace ne tarde pas à planer dans Vic + Flo ont vu un ours. « Je n’aime pas beaucoup utiliser la musique, mais je voulais juste des petits drums qui annonçaient des nouveaux chapitres. Au final, au mixage, on a monté un peu le drum qui installe une petite menace. Je ne voulais pas que le spectateur s’installe trop avec l’idée du film d’amour avec une belle conclusion chaleureuse. Tout à l’heure, Romane m’a dit qu’elle est une sentimentale et qu’elle n’a pas ce dont elle a besoin comme sentimentalité quand elle regarde ce film-là, mais elle ne me le reproche pas car elle sait que c’est mon genre et qu’elle reçoit un film de Denis Côté. Dans mon for intérieur, je perçois que ç’aurait pu être un film beaucoup plus chaleureux et sentimental. Ce n’est ni un reproche ni une qualité, mais une constatation que j’assume totalement. »

Tordre le réel

En tournant Vic + Flo ont vu un ours, celui qui n’en peux plus de se faire demander s’il va enfin rejoindre un nouveau public a voulu tordre le réel : « Je ne suis pas capable d’aller au cinéma pour me laisser divertir. En faisant ce film-là, je pensais tout le temps à deux films québécois auxquels je voulais réagir : Camion (de Rafaël Ouellet) et Le vendeur (de Sébastien Pilote). Ce sont deux films que je n’aime pas du tout, ils sont super bons, mais je n’accepte pas cette livraison du réel qu’on connaît. Tout est chaleureux, juste, c’est de l’hyperréalisme auquel on va tous pouvoir s’identifier. Je m’ennuie à mourir devant ces films-là, mais je ne peux pas en dire du mal. »

Alors qu’il est plutôt attiré par le cinéma d’Europe de l’Est, on ressent davantage l’influence du cinéma états-unien naturaliste des années 1970. Ainsi, lors de certaines scènes où l’atmosphère se fait de plus en plus tendue, angoissante, des images de Badlands de Malick, de Straw Dogs de Peckinpah ou de Deliverance de Boorman reviennent à l’esprit. Évidemment, reviennent aussi des souvenirs de Nos vies privées et d’Elle veut le chaos : « C’est peut-être en voulant rejeter le réel dont je parlais tantôt. Cinq minutes, on est dans le code, cinq minutes, on en sort. C’est sûr que ce n’est pas facile pour le spectateur de s’accrocher à quelque chose à coups de ces cinq minutes-là. Il faut juste arriver à ce que les ruptures de ton ne fassent pas fuir les gens dans la salle. »

Méchante Marie, douce Pierrette

À la conférence de presse, Côté se désolait que dans le cinéma québécois le malheur soit toujours le produit de la Providence, sans doute à cause de notre fond judéo-chrétien : « Quand je parlais de la notion de méchant dans le cinéma québécois récent à la conférence, j’avais un film en tête : Jaloux (de Patrick Demers). C’est un film qui n’est pas si bon, dont on n’a pas beaucoup parlé, mais c’est le dernier film avec un méchant avec un visage. Dans Jaloux, Benoît Gouin, c’est un vrai méchant! Au Québec, les méchants n’ont pas de tête, ils sont des chests, des bassins, ils ont violé quelqu’un il y a 20 ans et sont punis à la fin. Marie Brassard dans Vic + Flo, c’est une vraie petite malicieuse, une vraie badass. »

Tandis que l’impayable Marie Brassard mord à belles dents dans le rôle de la méchante, Pierrette Robitaille, qui nous a habitués à des personnages truculents, surprend par un jeu plus nuancé. Qui plus est, Denis Côté et le directeur photo Ian Lagarde ont su capter sa beauté et la profondeur de son regard comme personne ne l’avait fait jusqu’à maintenant. Et en 35mm, svp!

« Chaque jour, Pierrette se demandait ce qu’elle faisait dans cet univers-là. Elle doutait, mais c’est ce qui la motivait, c’était son moteur de toujours vouloir aller plus loin. Je n’étais pas tout le temps fin avec elle. Je lui disais que je ne voulais pas de son jeu physique. Son visage est élastique, son jeu est très comique, sa voix un peu nasale, j’aimais ça aller contre la logique de mon casting avec elle. Plus tu les diriges, plus tu es dur avec eux, plus les acteurs sont contents. Je ne veux pas parler trop raide, mais je veux continuer à être très directif. Je pense qu’on a 20 ans de Pierrette Robitaille avec son fameux jeu physique avec ses grimaces, là, elle est la femme qu’elle est. C’est une grande tragédienne, une actrice complète. »

À propos de Romane Bohringer, qui a en quelque sorte hérité du rôle que devait jouer Valérie Donzelli, Denis Côté lance : « J’aime bien l’idée qu’on l’a vue il y a 10 ou 15 puis qu’elle a disparu comme si elle avait été en prison. Elle n’est pas trash, elle n’est pas vulgaire, c’est une vraie sauvage, la vraie girl next door. »

Les frais du voyage à Berlin ont été payés par Téléfilm Canada.