Vue dans Élève libre de Joachim Lafosse et Qu’un seul tienne les autres suivront de Léa Fehner, la talentueuse Pauline Étienne, à qui certains journalistes de la presse étrangère décerneraient l’Ours d’argent pour son interprétation fiévreuse d’une novice rebelle dans La religieuse de Guillaume Nicloux, a découvert, à l’instar d’Isabelle Huppert, le potentiel comique du film lors de sa présentation devant public.
« Sur le plateau, je n’aurais jamais cru que cela pouvait être ridicule, avouait-elle à propos des manifestations amoureuses de la mère supérieure incarnée par Huppert à l’égard de son personnage. J’étais tellement concentrée sur le rôle, sur ce que j’avais à faire que je n’arrivais pas à me rendre compte de l’absurdité des scènes. Du coup, je trouve ça pas mal; la première partie est si lourde et dure que le fait que les gens rigolent leur permet de respirer un bon coup. Je crois que ce qui a fait rire les gens, c’est l’humour de Guillaume; il y a quand même une certaine intelligence là-dedans. Je ne sais pas s’il savait qu’il y aurait des rires. De choisir cette chanson limite grivoise que Suzanne chante devant ce parterre de sœurs, c’est une très bonne idée. »
Contrairement à Isabelle Huppert qui n’a pas fait de recherches pour se préparer au rôle, la sage Pauline Étienne a fait consciencieusement ses devoirs. « J’ai fait des recherches sur le contexte historique, sur les ordres religieux à cette époque, j’ai été dans un couvent pendant deux jours. Comme Suzanne, je me suis échappée très vite. Je ne suis pas du tout croyante et je voulais voir un peu l’ambiance d’un monastère. Je n’ai pas eu de relations avec les religieuses parce qu’elles sont vraiment cloîtrées dans un endroit du couvent. Avec les autres personnes en retraite, on les voyait seulement au moment des prières, on n’avait pas l’occasion de beaucoup parler avec elles. Je me suis échappée car les personnes avec qui j’étais étaient moins tolérantes avec le fait que je ne sois pas croyante, alors que les sœurs étaient très ouvertes », confiait-elle dans l’un des salons du Berlinale Palast.
Le lendemain de la première du film à la Berlinale, on apprenait que le pape Benoît XVI annonçait sa démission, ce qui a bien fait rigoler l’équipe de La religieuse : « On s’est dit qu’il avait vu le film en projection privée et qu’il a décidé qu’il n’en pouvait plus, qu’il était fatigué. Cela montre que le film est très contemporain, que la religion est encore très présente. Ce matin, je regardais les informations; les fidèles du pape sont très touchés par cette démission et ils arrivent à le comprendre. Du coup, le pape nous fait un bon coup de pub! »
Si elle a refusé de voir La religieuse de Jacques Rivette, film qui a scandalisé l’Église catholique dans les années 60, afin de demeurer vierge face à cette expérience, la jeune actrice belge a certes lu le roman satirique de Diderot : « Je ne crois pas que ce soit un roman anticlérical, je crois que le film parle de la liberté d’expression, de la liberté de chaque personne vis-à-vis de la religion, de sa foi, de sa passion. Le personnage de Suzanne croit super fort en Dieu et on le voit pendant tout le film de Guillaume. Je ne crois pas qu’on peut qualifier ce film d’anticlérical alors que le personnage central éprouve un amour extraordinaire pour Dieu. »
Quant à la cruauté des mères supérieures que croise Suzanne et les élans amoureux du personnage d’Huppert, Pauline Étienne les comprend ainsi : « Du coup, on peut se demander si elles sont de vraies religieuses. Leur façon de voir Dieu, est-ce la bonne façon? Je crois que ce sont ces questions que le film pose. Qui est le plus amène à parler de Dieu? Je crois que l’être humain est très bizarre. Il suffit que l’on fasse tomber toutes les barrières de protection qu’on peut avoir et on peut se mettre dans des états pas possibles. Je comprends cette folie qui émane d’elle. Il suffit d’être dans une extrême douleur, une extrême tristesse pour perdre la tête. Énormément de gens meurent par amour; énormément de gens posent des gestes fous, désespérés par amour. »
Quand on lui fait part qu’Isabelle Huppert trouve que son personnage meurt trop vite, celle que l’on verra dans l’adaptation de Tokyo Fiancée d’Amélie Nothomb par Stefan Liberski éclate de rire : « Je ne suis même pas sûre qu’elle meurt. Peut-être que son cerveau meurt, que son âme meurt… Elle trouve qu’elle disparaît trop vite de l’écran et pourtant, elle marque les gens. Elle est tellement magistrale, limite burlesque, qu’on se souvient d’elle. »
Les frais du voyage à Berlin ont été payés par Téléfilm Canada.