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Berlinale 2013 : Une histoire simple de Camille Claudel

« J’ai la nostalgie des films de Dreyer et de Tarkovski, je ne me remets pas de leur mort. En France, on a la chance d’avoir Bruno Dumont. J’avais envie d’avoir cette caméra posée sur l’âme, sur le rien, sur le vide, sur le tout », lançait Juliette Binoche à la conférence de presse de Camille Claudel 1915, de Bruno Dumont, où elle tient le rôle de l’artiste au triste destin.

Film austère, âpre, dépouillé, lent, ponctué de cris et de pleurs à fendre l’âme, Camille Claudel 1915 illustre avec force la détresse d’une femme enfermée contre son gré dans un asile psychiatrique, s’accrochant vainement à l’espoir que son frère, le poète Paul Claudel (Jean-Luc Vincent), vienne enfin la libérer. Afin de s’approcher de la vérité, Dumont s’est inspiré de la correspondance de Camille et de son journal médical.

« De la dureté naît l’éblouissement, expliquait le réalisateur à un journaliste se plaignant de la dureté du film. Le temps d’un spectateur, c’est une heure et demie. Pour aller à l’éblouissement, il faut passer par toutes les couleurs. Je pense qu’on devait ressentir la dureté des conditions de vie de Camille Claudel. Elle crie, elle pleure. Lentement, le film va vers la parole. Je ne veux pas vous brutaliser mais en même temps, il y a des passages obligés. Pour aller vers une forme de paroxysme, de grâce. Parce qu’à la fin, même si elle souffre, elle est en état de grâce. Je trouve une très grande beauté. C’est la beauté de cette femme; la folie, c’est drôle et c’est triste, c’est burlesque et c’est tragique, comme dans la scène où Camille rit et pleure. Le cinéma, c’est de pouvoir prendre un spectateur et le plonger dans la dureté puis l’élever vers la grâce. Le spectateur doit cheminer comme les acteurs; le cinéma, c’est un art du temps. »

Touché par l’appel de Binoche qui souhaitait travailler avec lui, Dumont s’est alors rappelé que l’actrice était aussi peintre, d’où le rapprochement avec l’ex-maîtresse et élève de Rodin : « Le pari de Bruno, c’était de ne pas avoir de scénario, de partir de moi et des correspondances de Camille. J’ai lu tous les livres ce que j’ai pu trouvés sur Camille; je me suis investie et fait visiter par cette femme. Finalement, le rien, l’abandon, l’enfermement, l’absence de sculptures, de la famille, l’absence affective, de dialogues faisaient en fait la force de sa présence. J’ai plus envie de parler de visitation de Camille plutôt que de la jouer; elle n’était pas en dehors de moi, je ressentais ce qu’elle ressentait, comme si j’avais déterré l’âme et les souffrances d’une femme appelée Camille. C’était lourd à porter, mais à la fin, il y avait une espèce de liesse que le cinéma permet lors de la transformation d’une histoire. »

Ayant lu un livre sur Camille Claudel lorsqu’elle avait 16 ans, Juliette Binoche n’a pas hésité à aller à la rencontre de ce personnage, bien que la folie de celui-ci lui faisait peur : « J’avais envie de parler de Camille enfermée trente ans, même si c’est trois jours de sa vie, dans cette injustice face à une société, à une famille, à un non-dit. C’est à la fois très simple et complexe comme situation : elle était enfermée et elle n’avait pas le droit de correspondre avec l’extérieur, donc c’était pire qu’une prison. De ce fait, on endosse sans compter, sans penser aux conséquences. Quand c’est assumé ce n’est pas lourd, cela devient une passion. »

Campée en trois jours, l’histoire que relate Camille Claudel 1915, bien que faite de grandes souffrances, est en réalité toute simple : « Quand j’ai découvert la vie recluse de Camille Claudel, se souvient le cinéaste, effectivement, la vie à l’asile était très, très simple, elle ne faisait pas grand-chose, sa seule joie, c’était la visite de son frère Paul. Au cinéma, il est important d’avoir un motif assez simple. Quand l’histoire est simple, la cinématographie a une grande capacité à se déployer. Je sais que j’avais Juliette et que je pouvais travailler avec elle une histoire simple. Le choix de Juliette était juste, car Camille Claudel était très connue à cette époque, avait une très grande renommée. Je pensais que la notoriété de Juliette servait celle de Camille. »

Par souci de réalisme, Bruno Dumont a engagé des handicapés intellectuels pour incarner les patients de l’hôpital psychiatrique« Ce qui m’a frappé dans la correspondance de Camille Claudel, c’est la façon dont elle parlait de l’environnement psychiatrique. Elle a toujours dit que c’était douloureux, que ces femmes criaient, que la promiscuité était insupportable et que tout ce temps passé dans cet univers mental déchiré était pour elle une souffrance. En tant que metteur en scène, je me suis dit comment moi qui essaie d’illustrer les conditions de vie de Camille Claudel je pouvais restituer une vérité des conditions de vie. J’ai donc tout de suite eu envie de travailler avec des personnes handicapées. »

Avec l’accord d’un psychiatre pratiquant l’art-thérapie, des patients eux-mêmes ou de leur famille dans certains cas, Bruno Dumont a dû tourner les scènes les mettant en présence assez rapidement et sous supervision médicale : « Toutes les idées reçues sur la folie qu’on avait sont tombées. Le film est assez documentaire sur la vérité de leur maladie. Je n’ai pas de commentaire à faire sur leur état. Elles jouent ce qu’elles sont et pour comprendre le sentiment de Camille, il fallait au moins ça. Ce que donne Alexandra, que l’on voit souvent avec Camille, c’est ce qu’elle est et on comprend le mystère, l’obscurité de la démence mentale. Il fallait cela pour bien comprendre la misère, la tragédie, la tristesse, la déchéance de la maladie et de la vie de Camille. »

Les frais du voyage à Berlin ont été payés par Téléfilm Canada.