Tièdement applaudi et discrètement hué ce matin à la projection de presse, The Great Gatsby de Baz Luhrmann n’était peut-être pas le film idéal pour ouvrir le Festival de Cannes malgré son opulence et son aspect festif. À la conférence de presse, aucun journaliste n’a réellement complimenté l’équipe du film. On aurait dit qu’un éléphant trônait au milieu de la pièce tant les journalistes, à l’exception d’une seule vers la fin de la conférence, ne semblait vouloir mentionner les plutôt désastreuses critiques américaines – le réalisateur se consolera en lisant les critiques françaises.
Esquivant la question, le cinéaste à qui l’on doit notamment l’extraordinaire Moulin rouge! a rappelé que Fitzgerald lui-même avait été traité de clown par les critiques, qui l’accusaient d’avoir créer des marionnettes sans substance plutôt que de réels personnages, lors de la parution de son livre. « Personnellement, je veux que les gens aillent voir le film, c’est tout ce qui compte pour moi. »
Faute de voir son film encensé par le parterre de journalistes, Luhrmann a donc lancé des fleurs au roman, lequel en mérite très certainement. « On tire de ce roman ce que l’on veut selon notre âge., expliquait-il La qualité d’écriture de Fitzgerald, c’est de mettre en mots les pensées des gens; en lisant le roman, on reconnaît certaines personnes. Le roman me rappelle la vie plus ou moins bohème que j’ai menée dans ma jeunesse et dont je n’ai jamais parlé à ma femme. En décrivant les années 20, époque extraordinaire, Fitzgerald a écrit quelque chose de beau, de neuf, le grand roman américain. Il en a d’ailleurs puisé l’inspiration à 20 km d’ici puisque sa femme Zelda y avait un amant. Il a fait passer sa souffrance dans son écriture. »
« Je me souviens avoir lu le roman à 15 ans, relatait le scénariste Craig Pearce. J’avais été frappé par sa décadence, son romantisme et son lyrisme. C’est un roman magnifique. Certains le lisent une fois par année et y découvrent chaque fois un élément nouveau. On peut établir des parallèles entre la crise de 1929, que Fitzgerald avait prédite, et celle de notre époque. Il y a différents niveaux de lecture dans le roman et notre défi était de le traduire en images. »
Moins loquace que Luhrmann, Leonardo DiCaprio a poursuivi néanmoins la conversation : « Les gens essaient encore de disséquer ce roman sans pourtant en saisir le symbolisme. On peut se livrer à d’innombrables interprétations. Je suis fasciné par le personnage de Gatsby, par l’histoire d’amour mais, surtout, par la tragédie de ce nouvel Américain qui au fil du parcours perd son identité. Travailler sur un tel texte facilite la tâche. »
Celui qui a joué dans Romeo + Juliet a ajouté : « Baz nous inspire à chaque instant à sortir le meilleur de nous-mêmes et à rêver. Il est d’un enthousiasme contagieux. D’une histoire classique, il en tire un film éclaté. Il est attentif à l’essence des œuvres littéraires. »
Durant la conférence, on aura appris qu’à l’instar d’une troupe de théâtre la distribution du film a travaillé chaque réplique, chaque scène de façon à en extirper le sens, la vérité. Ils ont même rencontré des érudits de Princeton afin de mieux connaître l’auteur et son univers. Ils ont dû lire plusieurs livres portant sur la vie du romancier, Carey Mulligan a même lu des lettres de la femme ayant inspiré le personnage de Daisy, tandis que Tobey Maguire, qui incarne l’aspirant romancier Nick Carraway, s’est littéralement pris pour un détective : « Pour ma part, je m’en tenait à ce qu’on me demandait de faire. Je suis trop paresseux pour lire autant de livres », a lancé Joel Edgerton, interprète de Tom Buchanan.
« Après une projection, une femme est sortie de l’ombre et m’a approché en me disant qu’elle était venue du Vermont pour venir voir inspiré du livre de son grand-père – elle parlait comme Katherine Hepburn. « Je crois que Scott serait fier de ce film », m’a-t-elle dit », a raconté le cinéaste.
Enfin, c’est sous les parapluies que les stars du film ont dû se présenter sur le tapis rouge. Alors que se faisait entendre le joyeux Let’s Misbehave de Cole Porter, que l’on retrouve sur la bande sonore, Leonardo DiCaprio, somnolent durant la conférence et ayant passé rapidement devant les journalistes bien caché derrière ses lunettes noires, n’avait sans doute pas le cœur à la fête. Souhaitons-lui que le champagne coulera à flot sous le dôme géant construit pour accueillir les 800 invités triés sur le volet qui vivront les années folles jusqu’aux petites heures du matin. Pauvre Nicole Kidman, il paraît que sa mise en plis n’a pas tenu le coup sous la pluie…