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Cannes 2013 : On n’est pas sérieux quand on a 17 ans

Grande admiratrice que je suis de François Ozon, Jeune & Jolie était l’un des films que j’avais le plus hâte de voir en compétition. Hélas! Ce ne fut pas le coup de foudre… Racontant en quatre saisons et en quatre chansons de Françoise Hardy le destin d’une fille de 17 ans, Isabelle (Marine Vacht, sosie de Lætitia Casta), qui devient prostituée pour le plaisir, Jeune & Jolie offre une vision mélancolique de l’adolescence doublée d’une vision romantique, pour ne pas dire glamoureuse, de la prostitution.

« Cela faisait longtemps que je n’avais pas parlé de l’adolescence. Depuis Sous le sable que j’ai tourné avec Charlotte Rampling, j’ai mis en scène des personnages de mon âge et plus âgés que moi. C’est en tournant Dans la maison, où l’on retrouve deux adolescents, que j’ai eu envie de tracer à distance le portrait d’une jeune fille d’aujourd’hui. Gardant un souvenir douloureux et difficile de mon adolescence, je trouve que les films américains offrent une vision idéalisée de celle-ci. J’ai voulu ancrer de façon réaliste le personnage tout en préconisant une approche impressionniste. Je voulais partager les mystères de cette jeune fille avec le spectateur », expliquait Ozon en conférence de presse.

Semblant terrorisée par le parterre de journalistes, la jeune Marine Vacht a bredouillé cette réponse lorsqu’on lui a demandé ce qui lui plaisait chez Isabelle : « Ses silences, sa distance me touchent beaucoup. Elle ne s’explique pas, elle vit ce qu’elle a à vivre; elle ne s’excuse pas, elle vit. »

Tout au cours de ce récit, mis en scène avec une sobre élégance, Isabelle demeurera insaisissable, énigmatique, donnant par moments l’impression de vivre à côté de ses pompes plutôt que de croquer à belles dents dans la vie. Cet effet est renforcé dans cette scène aux accents oniriques lorsque l’héroïne se débarrasse de sa virginité avec le premier gentil garçon venu et qu’on assiste à un dédoublement de celle-ci. Plus tard, Ozon multipliera les plans où la jeune file se mire dans un miroir. Dès la première scène, où elle est regardée à travers des jumelles par son frère cadet (Fantin Ravat), Ozon semble vouloir imposer une distance entre elle et le spectateur.

« Je garde cette distance, car je considère que le spectateur est assez intelligent pour comprendre ce qui se passe. Par moments, elle est vue par son frère, par ses parents; je voulais ses basculements de points de vue afin d’avoir la possibilité de voir le personnage autrement. Dans la scène du dépucelage, on s’est demandé si ce ne devait pas être la mère (Géraldine Pailhas) qui regarde Isabelle. Je trouve qu’il y a quelque chose de très beau dans le regard de Marine quand elle se regarde faire l’amour. Quand on découvre sa sexualité, on est là et on n’est pas là. »

Si la représentation de la prostitution se révèle assez peu crédible, bien qu’on se laisse prendre par la relation tendre qui unit la jeune fille de bonne famille à l’un de ses riches clients âgés (Johan Leysen), en revanche, Ozon fait montre d’une belle sensibilité en évoquant la mélancolie propre à l’adolescence de même que cette nostalgie de l’enfance pas si lointaine.

« L’innocence, je ne sais pas ce que ça veut dire. On est tous coupables à la naissance. En fait, l’innocence ne m’intéresse pas. Pour moi, l’adolescence correspond à la naissance de la mélancolie, les choses commencent à se fissurer, c’est l’âge de la désillusion. J’aime beaucoup Françoise Hardy qui a le mieux exprimé l’adolescence et ses désillusions. Comme elle dénigre son travail, lorsque je lui ai dit quelles étaient les quatre chansons que j’avais choisies, elle s’est écriée : « Quelle horreur! » ».

Bien que le film traite d’un sujet grave et délicat, Ozon s’est permis une certaine légèreté. Ainsi, certaines scènes de camaraderie entre la jeune fille et son frère de même que les maladresses de la mère et du beau-père (Frédéric Pierrot) apportent une bouffée de fraîcheur dans cette suite de huis clos répétitifs campés dans de luxueuses chambres d’hôtel.

« Au fond, ce que raconte Jeune & Jolie, c’est ce que tous les parents vivent à l’adolescence quand leur enfant leur échappe et leur devient étranger », résumait Géraldine Pailhas, elle-même mère d’une fille de 16 ans.

« L’urgence, c’est d’accepter qu’il y a une rupture, ajoute Pierrot. On a tous un mal fou à le faire, mais il faut travailler à accepter cette nouvelle donne. »

« Isabelle est un ange exterminateur et tous les personnages sont déstabilisés par elle et chacun essaie de faire le mieux possible face à la situation », croit Ozon, qui se défend bien d’avoir voulu dénoncer une situation.