Au moment où j’écris ces lignes, le Festival de Cannes bat son plein sous le soleil après plusieurs jours de pluie diluvienne. En cette septième journée à arpenter la Croisette entre le Grand Théâtre Lumière et la salle Debussy, avec quelques crochets vers la salle Bazin et celle du 60e, je constate que plusieurs des films de cette 66e édition ont pour thème la violence et la misère des riches. À ce compte-là, malgré ses faiblesses, The Great Gatsby de Baz Luhrmann s’avérait le parfait film d’ouverture.
De la violence, il y en a certes dans Heli d’Amat Escalante où une famille innocente se retrouve aux prises avec des trafiquants de drogue. De facture réaliste, le film dépeint une réalité troublante du Mexique. On oublie la scène de torture où le réalisateur souligne que la banalisation de la violence chez les jeunes est un héritage des jeux vidéo. Dans le même esprit, Jia Zhangke illustre de façon brutale la dure réalité économique de la Chine dans A Touch of Sin. Hélas! le tout s’embrouille alors qu’il tente d’unir quatre récits campés dans quatre régions du pays.
Dans Borgman, du Néerlandais Alex van Warmerdam, la violence s’exprime au fil d’une intrigue qui n’est pas sans rappeler Funny Games de Michael Haneke en mode fantaisiste. En incarnation du mal semant le chaos dans une famille bourgeoise, Jan Bijvoet est aussi suave que terrifiant. Partant d’une prémisse brillante, celle d’un homme promettant un milliard de yens à celui qui tuera l’assassin de sa petite-fille, Takashi Miike propose dans Shield of Straw une divertissante chasse à l’homme où point une réflexion troublante sur l’honneur et l’éthique.
Splendeur et décadence
Alors que la bourgeoisie est décrite de façon caricaturale dans le drame familial Tel père, tel fils de Kore-Eda Hirokazu, où il est question d’enfants échangés à la naissance, dans Jeune et jolie, où François Ozon trace le portrait d’une jeune fille (Marine Vacth, impénétrable) se prostituant pour le plaisir, celle-ci se fait plus humaine grâce à l’interprétation chaleureuse de Géraldine Pailhas et Frédéric Pierrot.
Sorte de Dolce vita en mode trash et clinquant, La grande bellezza de Paolo Sorrentino bénéficie d’une mise en scène inspirée, mais en s’intéressant aux frasques de la bourgeoisie oisive, le film tourne bientôt à vide – à l’instar de The Bling Ring, de Sofia Coppola, film d’ouverture d’Un certain regard. En romancier décadent, Toni Servillo y est irréprochable.
Seule femme en compétition, Valeria Bruni Tedeschi joue une quadragénaire névrosée dans son insupportable Un château en Italie, où elle raconte les tribulations d’une famille de bourgeois. Personnages antipathiques, mise en scène brouillonne, photo terne: bref, un film qui n’a pas sa place en compétition.
Téléfilm produit pour HBO, Behind the Candelabra, de Steven Soderbergh, raconte la liaison secrète entre Scott Thorson (Matt Damon) et le flamboyant pianiste Liberace (Michael Douglas). Au-delà du kitsch et des personnages hauts en couleur, Soderbergh signe une étonnante chronique de mœurs où brillent deux acteurs ayant su éviter de sombrer dans la vulgaire caricature.
Trio gagnant
S’il n’y a pas de navets à signaler pour l’instant, les coups de foudre se font rares cette année. Pour l’instant, trois films se démarquent du lot. Moins ludique qu’à l’accoutumée, Arnaud Desplechin propose une fascinante incursion en Amérique dans Jimmy P., où Benicio Del Toro, formidable en Amérindien tourmenté, donne la réplique à Mathieu Amalric, cabotinant allègrement dans la peau du pionnier de l’ethnopsychanalyse Georges Devereux.
Moins subtil qu’Une séparation, Le passé d’Asghar Farhadi, où Bérénice Bejo trouve le plus grand rôle de sa carrière, n’en demeure pas moins une passionnante réflexion sur le mensonge et ses dommages collatéraux. Et que dire de cette si belle fin ouverte rappelant la puissante scène finale d’Une séparation?
Si la tendance se maintient, Ethan et Joel Coen pourraient bien être les rois du 66e Festival de Cannes grâce à leur jouissif Inside Llewyn Davis, récit picaresque carburant à l’humour noir et aux répliques assassines où s’impose le prodigieux Oscar Isaac en chanteur folk paumé.
Le Québec sur la Croisette
Vendredi dernier, le public de la Semaine de la critique a été très ému par Le démantèlement de Sébastien Pilote, film sobre et bouleversant magnifiquement photographié par Michel La Veaux où un producteur d’agneaux (Gabriel Arcand, remarquable) se sacrifie pour le bonheur de ses filles (Lucie Laurier et Sophie Desmarais). Dans le rôle de l’ami comptable, le truculent Gilles Renaud a déridé la galerie, permettant aux spectateurs un peu de répit.
Mardi, Chloé Robichaud présentait Sarah préfère la course à Un certain regard. Mis en images par la douée Jessica Lee Gagné et mettant en vedette Sophie Desmarais, d’une belle retenue, ce portrait de femme délicat et nuancé a été chaleureusement accueilli. Si la jeune réalisatrice de Cap-Rouge ne remporte pas la Caméra d’or, elle pourra se targuer d’avoir signé un premier long métrage dépourvu des excès d’un premier film, prouvant hors de tout doute qu’elle est en pleine possession de ses moyens.