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Cannes 2013 : Mon palmarès

À quelques heures de prendre l’avion pour Montréal, je me suis amusée à faire mon propre palmarès. J’ai bien hâte de connaître les films qui auront fait craquer Steven Spielberg et son jury…

Palme d’or : La vie d’Adèle chapitre 1 & 2 d’Abdellatif Kechiche

L’histoire est toute simple, celle d’une fille modeste rêvant d’être institutrice, Adèle (exquise Adèle Exarchopoulos, grande révélation du festival), qui tombe amoureuse d’une artiste fantasque aux cheveux bleus, Emma (Léa Seydoux, sublime). Au fil des années, leur relation fusionnelle connaîtra des hauts et des bas. À petites touches, Abdellatif Kechiche évoque l’homophobie, les rapports de classe, la notion d’engagement, sans jamais se faire donneur de leçons. Maîtrisant brillamment l’ellipse, il signe un récit où le temps s’écoule avec tant de fluidité que la durée du film, trois heures, ne se fait aucunement sentir. En plans rapprochés, le prodigieux réalisateur de La graine et le mulet scrute les visages et les corps de ses actrices jusqu’à en dévoiler leur âme, sans jamais se faire indécent. Rarement le désir et la passion auront été dévoilés avec autant d’authenticité et de beauté au grand écran.

Grand prix du jury : Inside Llewyn Davis d’Ethan et Joel Coen

Irrésistible incursion dans le Greenwich Village du début des années 60, Inside Llewyn Davis trace le portrait d’un chanteur folk (fictif) interprété par le talentueux et charismatique Oscar Isaac dont le principal talent est de saboter sa carrière et ses relations. Peuplé de personnages colorés, pour qui les frères Coen ont concocté de savoureuses répliques tantôt d’une cocasserie hilarante, tantôt d’une vacherie assassine, que Carey Mulligan manie avec brio, Inside Llewyn Davis s’avère une tendre réflexion sur le destin et l’ambition en forme de récit picaresque carburant à l’humour noir. En prime : une reconstitution d’époque crédible et des numéros musicaux en phase avec celle-ci.

Prix du jury : Only Lovers Left Alive de Jim Jarmusch

Encore ce matin, je me disais que ce film ne figurerait certainement pas au palmarès et pourtant, depuis que je l’ai vu hier soir, mon amour pour ce film de vampires, à des lieues de l’insipide et médiocre franchise Twilight, ne cesse d’augmenter. Fort d’une atmosphère de fin du monde rappelant Les ailes du désir de Wenders, d’une direction artistique où la somptuosité rencontre la décrépitude et d’une bande sonore planante, Only Lovers Left Alive met en scène deux vampires amoureux l’un de l’autre depuis des siècles, qu’incarnent le ténébreux Tom Hiddleston et l’énigmatique Tilda Swinton, qui constatent amèrement la bêtise de l’être humain. D’un romantisme gothique, truffé d’amusantes réflexions sur l’art et la science, le dernier-né de Jim Jarmusch est le plus cool opus de la sélection.

Prix de la mise en scène : La grande bellezza de Paolo Sorrentino

Certes, Nicolas Winding Refn en met plein la vue dans le superbe Only God Forgives, où erre l’apathique Ryan Gosling aux côtés de la tonique Kristin Scott Thomas, mais son scénario de vengeance est d’une telle bêtise abyssale que je préférerais ne pas le voir se classer dans le palmarès. En revanche, bien que le film ne m’a pas vraiment plu, je reconnais que Paolo Sorrentino était drôlement inspiré pour La grande bellezza où brille l’impeccable Toni Servillo. Mouvements de caméra vertigineux, utilisation judicieuse des lieux et montage en diapason avec la folie ambiante font de cette Dolce Vita trash et clinquante un objet de beauté pour le moins spectaculaire.

Prix du scénario : Le passé d’Ashgar Farhadi

Dès que le générique défile sur ce superbe plan final où le sort des personnages est laissé en suspens, comme c’était le cas dans Une séparation, on se dit immédiatement que l’on vient de voir un grand film… Et pourtant, bien vite on dit que celui-ci n’est pas à la hauteur du précédent. Malgré, force est de reconnaître le grand talent de scénariste d’Ashgar Farhadi. Une fois de plus, le cinéaste iranien propose un récit en apparence assez classique, celui d’une femme (Bérénice Bejo, dans le plus grand rôle de sa carrière) demandant le divorce à son mari (Ali Mosaffa) afin de refaire sa vie avec un autre (Tahar Rahim), qu’il complexifiera au fur et à mesure que les personnages dévoileront des pans de vérité. Moins subtil qu’Une séparation, Le passé s’avère une fine exploration du mensonge et ses dommages collatéraux.

Prix d’interprétation masculine : Michael Douglas et Matt Damon dans Behind the Candelabra de Steven Soderbergh

Plus tôt cette semaine, j’ai loué les performances de Benicio Del Toro dans Jimmy P. d’Arnaud Desplechin, de Jan Bijvoet dans Borgman d’Alex Van Warmerdam, d’Oscar Isaac dans Inside Llewyn Davis des frères Coen et de Bruce Dern dans Nebraska d’Alexander Payne… À la veille de la remise de prix, ce sont pourtant Michael Douglas et Matt Damon qui me reviennent à l’esprit. Au-delà des perruques, des prothèses, du strass et des paillettes, les deux acteurs n’ont pas succomber à la caricature et ont su insuffler à leurs flamboyants personnages une part d’humanité.

Prix d’interprétation féminine : Emmanuelle Seigner dans Vénus à la fourrure de Roman Polanski

Si le règlement permettait au film récipiendaire de la Palme d’or de voir ses acteurs honorés d’un prix d’interprétation, je le donnerais sans hésiter à Adèle Exarchopoulos et à Léa Seydoux pour leur performance à fleur de peau dans La vie d’Adèle chapitre 1 & 2. Jusqu’à ce matin, je voyais très bien Bérénice Bejo remporter ce prix ou bien même la délicieuse June Squibb, qui campe la femme de Bruce Dern dans Nebraska. Pourquoi ce changement? J’ai été renversée par le jeu d’Emmanuelle Seigner dans le coquin huis clos La Vénus à la fourrure de Roman Polanski où elle s’adonne à une jubilatoire joute verbale sur la guerre des sexes avec Mathieu Amalric. Tour à tour vulgaire, raffinée, indécente, prude, l’actrice prouve hors de tout doute qu’elle n’est pas qu’une belle gueule.