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FCIAT : De Cannes à Rouyn

Lancé le vendredi 17 mai à la Semaine de la critique, Le démantèlement, superbe deuxième long métrage de Sébastien Pilote (Le vendeur), clôturera le 32e FCIAT ce soir. En attendant de pouvoir vous divulguer le nom des gagnants, je vous propose en rappel les propos que le cinéaste m’a confiés peu avant de s’envoler pour la Côte-d’Azur.

Mettant en vedette Gabriel Arcand, Le démantèlement raconte le sacrifice d’un homme qui sera près à vendre ses troupeaux de moutons et sa terre afin de venir en aide à sa fille aînée (Lucie Laurier) en instance de divorce : « J’avais l’impression en faisant le film de pouvoir être généreux, de pouvoir y aller avec le pathos, le mélodrame, racontait Pilote au bout du fil alors qu’il faisait les boutiques à la recherche d’un smoking. Le démantèlement est très mélodramatique. Je suis allé à fond la caisse là-dedans. »

En voyant la bande annonce du Démantèlement, qui bénéficie de la direction photo de Michel Laveaux, on ne peut s’empêcher de penser à un western lyrique au souffle épique qu’aurait pu tourner Clint Eastwood : « J’ai beaucoup pensé à Clint Eastwood en faisant le film. En même temps, je n’aime pas nommer des références parce que ça aveugle les gens. Mes principales influences sont sans doute pratiquement invisibles dans mon cinéma. Rossellini et Bergman m’ont beaucoup influencé, j’aime aussi les films de Michael Cimino. Je ne passe pas des journées entières à penser à leurs films. Parmi les plus beaux films que j’ai vus dans les dernières années, il y a The Bridges of Madison County de Clint Eastwood et certains films des frères Coen. J’aime le classicisme, mais il y a une espèce de snobisme envers le cinéma classique. Pour moi, c’est un western à la manière de Robert Altman, de Cimino, de Malick, sans vouloir prétendre faire comme eux. »

Afin de créer ce personnage qu’il qualifie de père à l’excès, Pilote a puisé son inspiration dans le Roi Lear de Shakespeare, le Père Goriot de Balzac, de même que dans Oncle Vania de Tchekhov : « Balzac était un grand lecteur du Roi Lear, de Shakespeare; il s’en est inspiré pour Le père Goriot. Donc, quand tu t’inspires du Père Goriot, par la bande, le Roi Lear remonte à la surface. J’ai utilisé un peu la structure du Roi Lear, sauf qu’il y a deux filles plutôt que trois. Il y a quelques références dans les dialogues et dans l’humeur des personnages de l’Oncle Vania. L’un des voisins de Gaby (Normand Carrière), qui vient de vendre sa ferme, dira « on va devoir se reposer »; la dernière phrase d’Oncle Vania était « nous allons nous reposer ». On retrouve aussi le côté paresseux de Vania. Comme dans Le Roi Lear, il y aura un renversement entre Marie (Laurier) la fille adorée du début qui est chaleureuse, qui semble aimer son père, et Frédérique (Sophie Desmarais), la moins aimée, qui paraît plus aimable à la fin. Comme Le Père Goriot, Gabby est un homme prêt à vivre comme un chien pour faire vivre ses princesses; j’y ai remplacé les grands salons de Paris par Montréal. Il est incapable de leur refuser de l’argent car il est heureux de donner, comme le Père Goriot. »

À propos du personnage du père, qui paraît aussi bouleversant que celui qu’incarnait l’excellent Gilbert Sicotte dans Le vendeur, et de son entourage, le réalisateur poursuit : « Gaby est de toutes les scènes, autour de lui, il y a une constellation de personnages très forts qui se font sentir par leur absence. Plus ils sont absents, plus ils sont présents. On retrouve l’ami comptable (Gilles Renaud), sorte de faire-valoir ou de fou du roi, qui va dire ses quatre vérités à Gaby; c’est un personnage qui a une belle complexité, qui est très vivant. Il y a bien sûr ses deux filles, son ex-femme (Johanne-Marie Tremblay), sa voisine (Dominique Leduc); ce sont tous des personnages que l’on voit un à la fois. Son entourage est démantelé, fragmenté. Je m’étais imposé cette contrainte. »

« Le démantèlement est un film sur l’impossibilité de la transmission telle que Gaby l’aurait souhaitée, mais en les privant de ce patrimoine, il permet à ses fille de repartir à zéro. Le beau paradoxe, c’est qu’en faisant cela, tu as le sentiment de ta propre fin. Tu passes le témoin à l’autre afin qu’elle fasse sa course, mais ton temps est perdu. J’aime les paradoxes, les choses inexplicables », conclut Sébastien Pilote.

À suivre…