La répression envers les mouvements sociaux n’est pas un phénomène nouveau, on pourrait même dire qu’il est de toutes les époques. La fin du 20e siècle est cependant porteuse de changements importants à ce sujet. Au moment où le mouvement étudiant québécois part massivement en grève, il convient de se pencher sur cette question.
Comme le souligne le philosophe Anselm Jappe, jamais dans l’histoire l’État n’avait prétendu avec autant d’assurance être le « seul maître du jeu ». Cet élargissement du monopole dela violence se manifeste par l’incroyable arsenal de surveillance et de répression qu’il a désormais entre les mains ; mais aussi, et c’est là que se trouve véritablement la nouveauté, par l’intériorisation de normes condamnant toute contestation qui sort du stricte cadre légal.
Un arsenal et ses idées
L’arsenal de surveillance et de répression de l’État est historiquement incomparable : les budgets militaires et les services secrets atteignent des sommets historiques, les policiers sont plus en plus nombreux (de même que les gardiens privés), la surveillance vidéo est omniprésente… Sans oublier les nouvelles technologies fort utiles en matière de contrôle : écoute électronique, tests d’ADN, biométrie, bracelets électroniques, etc.
Ces outils sont bien entendu efficaces afin de réprimer la contestation, mais ils n’arrivent pas seuls. Fidèles à cette idée un tantinet ridicule de « fin de l’histoire », ils sont également accompagnés d’une nouvelle conception de la violence et du rôle de l’État. Dans la sphère privée, les formes les plus élémentaires de réaction personnelle sont expropriées par la justice ; ce qui nous pousse vers une plus grande dépendance à l’égard des institutions. Dans la vie sociale, l’État, par un renversement caractéristique de notre époque, n’est plus considéré comme le dépositaire de la « violence légitime », mais, bien au contraire, de la « paix », voire de la « non-violence ».
Ce monopole de plus en plus vaste affecte bien entendu les mouvements sociaux : les actions qui vont au-delà de la pétition ou de la contestation formelle sont souvent considérées comme « anti-démocratiques », les grèves sont déclarées « illégales » sans que personne ne crie au scandale, on amalgame un peu partout « désobéissance civile » et « terrorisme » (en France et en Espagne, bloquer le départ d’un train ou faire un graffiti peut passer pour du « terrorisme »), les manifestations se déroulent sous haute surveillance (souvenez-vous du milliard et des 1100 arrestations lors du G20 de Toronto), etc.
Dans la Belle province
Le Québec n’échappe pas à ce phénomène. Il y a deux ans, le Service de police de la ville de Montréal -et le fait est significatif précisément puisqu’il est pratiquement passé inaperçu- a mis sur pied une escouade dont le nom ne laisse aucune doute quant à son caractère politique : le GAMMA (Guet des activités et des mouvements marginaux et anarchistes), qui relève de la division du crime organisé du SPVM.
On pourrait multiplier les exemples de ce durcissement : arrestations de masse (plus de 4000 en dix ans), injonctions pour interdire des lignes de piquetage (UQAM, 2007, 2009), arrestations de manifestants parce qu’ils crient pendant quelques secondes un slogan au Premier ministre à Sherbrooke (août 2011), condamnation par l’Assemblée nationale d’une ligne de piquetage symbolique (jamais l’entrée n’a été bloquée) devant la boutique Le Marcheur (2011), etc.
Mais le pire, à notre avis, est que cette posture légaliste fait son chemin à l’intérieur même des mouvements sociaux. En avril 2011, lors d’une manifestation contre le budget Bachand, des manifestants sont livrés à la police par le service d’ordre syndical parce qu’ils avaient posé quelques autocollants sur la devanture d’une banque. En juin 2011, le Parti vert du Québec accuse le député Amir Khadir d’incitation à la « violence » parce qu’il aurait « insulté » la famille royale et utilisé des mots trop durs à l’égard de Lucien Bouchard. Le communiqué compare cette « radicalisation » à celle du FLQ !
Les amalgames entre dissidence et « terrorisme » sont d’ailleurs de plus en plus fréquents. La « nouvelle » stratégie du gouvernement en matière de lutte au terrorisme présentée par Vic Toews à la mi-février est on ne peut plus claire : la menace est à la fois « terroriste », « anticapitaliste », d’« extrême droite », « islamiste radicale », et « environnementaliste ». Et ajoutons que le projet de loi conservateur permettant aux autorités d’épier les téléphones et les courriels de tous les citoyens sans mandat n’annonce rien de bon au chapitre des libertés individuelles et collectives.
La société en crise
Au moment où notre société rencontre de plus en plus de ses contradictions historiques (la crise est à la fois économique, politique et environnementale), l’État tente, en amalgamant « illégalité » et « violence », de rendre toute protestation sociale inefficace. C’est à ce défi auquel devront faire face les étudiants présentement en grève. Entre la loi et la légitimité de leur lutte, la marge de manoeuvre est de plus en plus mince, voire paralysante. En attendant que notre société se questionne sur ce rapport entre légalité et protestation, tout indique qu’ils ne pourront compter que sur leur propre mouvement afin de défendre défendre la légitimité de leurs actions.
* Ce texte a également été publié dans le journal Le Couac du mois de mars. Comme il tente de poursuivre une réflexion sur les mouvements sociaux débutée ici, nous nous sommes permis de le partager avec vous.
Le plus ironique est que nous favorisons aussi ce contrôle exercé sur nous par nos «mises en scène», photos à l’appui, de nos statuts-facebook et autres… et par notre morcellisation en réseaux composés d’«amis» que l’on ne fréquente pas trop et de causes que l’on appuie qu’en cliquant…
Indifférence ou mobilisation molle? Collaboration ou résistance passive?
Bon Dieu M. Chénier, je crois que vous êtes encore plus pessimiste que moi! Comme je le dis dans le texte, le contrôle n’est jamais absolu, justement parce qu’il repose sur notre propre servitude. Rien n’est perdu!
Vous avez entièrement raison M. Cyr et malheureusement avec un contrôle freak comme Harper a Ottawa et un PM qui dégage de drôles d’ odeurs depuis des années au Québec la répression est présente ….et très subtile !
Tellement subtile que même un grand nombres de citoyens embarquent dans cette manipulation politique et médiatique . Noam Chomsky n’ a jamais été aussi présent a mon esprit que maintenant .
Prenons exemple sur la manifestation des étudiants . Beaucoup de disciples du Réseau Libâââârté Québec se retrouvent sur les blogues , les twitters et les Facebook de ce monde . Le discours en est un libertarien et anti-syndical a l’extrême et ces gens font le jeu des dirigeants . Je li de plus en plus de propos effarants concernant les étudiants qui seraient pour la plupart des sans-coeur et des profiteurs . Et le plus grave se sont souvent quelques étudiants eux-mêmes et de jeunes adultes qui ont ce discours .
Je suis babyboomer et je suis heureux de lire un commentaire venant d’ un jeune comme vous et je me dis que l’ espoir n’est peut-être pas perdu mais j’avoue que parfois je suis pessimiste !
Les commentaires méprisants à l’endroit des étudiants sont on ne peut plus pathétiques. Vous avez lu Lesther, Bombardier et tous les autres traiter les étudiants de « petits bourgeois » et de bébés gâtés? Ils ne se rendrent même pas compte de l’indécence qu’il y a à dénoncer ceux qui font le 1/10 de leur salaire. C’est ça le pire des contrôles à mon avis: la haine de soi, de celui qui partage notre condition ou de celui qui en vit une encore pire, et l’amour des riches, des chefs en tout genre et des notables.
Comme le disait la Boétie: « Chose vraiment surprenante (et pourtant si commune, qu’il faut plutôt en gémir que s’en étonner) ! c’est de voir des millions de millions d’hommes, misérablement asservis, et soumis tête baissée, à un joug déplorable, non qu’ils y soient contraints par une force majeure, mais parce qu’ils sont fascinés et, pour ainsi dire, ensorcelés par le seul nom d’un qu’ils ne devraient redouter, puisqu’il est seul, ni chérir puisqu’il est, envers eux tous, inhumain et cruel ».
un petit vidio qui illustre ton dernier commentaire, marc-andré:
http://www.youtube.com/watch?v=HH5fVD-1_I4
Il faudrait alors relire Étienne de la Boétie et son discours sur la servitude volontaire… Pour ma part, c’est la vision prophétique d’Alexis de Tocqueville et du despotisme doux qui s’immisce dans nos vies qui me fait le plus peur. Mais mes peurs sont aussi un carburant pour l’espoir… :
http://voir.ca/jean-felix-chenier/2012/02/27/preludes-au-%C2%ABprintemps-quebecois%C2%BB/
L’anarchie partagée? Sans blague! La vraie anarchie se mange dans la plus noire solitude, et froide. Et quoi encore? L’espoir du Grand matin? Qui succéderait au massacre du grand Soir? Soyez pas idiots! La jeunesse est un bien précieux qui croît avec l’âge. Bombardier, Duhaime, même vieillesse impérissable! Décrissez loin de là et méfiez-vous des visions importées des temps anciens. Cherchez pas la vérité. La vérité vous emmerde avant de vous péter en pleine face. Soyez courageux. Soyez jeunes, parlez pas pour rien dire comme les vieux et …baisez contre le pire , de grâce!!!
Admirable. C’est ce genre d’analyse qu’on devrait entendre sur toutes les chaines de télévision et radio au lieu des Duhaime, Martineau, Dumont, et autres Stéphane Gendron de ce monde.
@Marc-André Cyr
Votre texte est passionnant et marqué, à mon humble avis, au sceau de la totale justesse. Étant sociologue depuis plus de 40 ans, un bout de phrase m’a frappé, comme un uppercut bien assené. Le voici:
***«l’intériorisation de normes condamnant toute contestation qui sort du strict cadre légal».»***
Vous parlez aussi, avec une pertinence magistrale de l’amalgame entre DÉSOBÉISSANCE CIVILE et TERRORISME. MERDRE! aurait dit le «brave» père Ubu.
Vous faites aussi remarquer que l’État amalgame « illégalité » et « violence », ce qui est radicalement vrai.
J’ai aussi beaucoup dégusté les trois phrases que voici:
***«Bon Dieu M. Chénier, je crois que vous êtes encore plus pessimiste que moi! Comme je le dis dans le texte, le contrôle n’est jamais absolu, justement parce qu’il repose sur notre propre servitude. Rien n’est perdu!»***
Je me suis aussi beaucoup beaucoup réjoui en vous «entendant» écrire sur BOMBARDIER. Lorsque je suis arrivé à l’Université de Montréal en 1963 pour étudier la sociologie, le journal étudiant s’appelait LE QUARTIER LATIN. Et l’une des rédactrices principales et «révolutionnaires» s’appelait Denise Bombardier. Je l’ai bien connue parce qu’elle a marié l’un de mes amis. Elle a cinq ou six ans de plus que moi mais j’ai suivi sa trajectoire existentielle et «professionnelle» avec un sourire un tantinet narquois.
@Réjean Asselin
Vous avez bien raison de parler du grand Noam Chomsky!
@Jean-Félix Chénier
Vos propos m’ont ravi et comblé!
Je recommande à celles et ceux que cela intéresserait un petit livre intitulé DÉSOBÉIR À BIG BROTHER. Les exemples présentés sont très (trop) français mais j’aime bien cette maison d’édition (le passager clandestin) qui publie une série de livres proposant de DÉSOBÉIR. À la publicité, par exemple. Les livres coûtent moins de neuf dollars.
J’ai bien aimé lire ce que j’ai lu dans ce blogue.
Jean-Serge Baribeau, sociologue des médias