« Nous sommes possédés par nos images,
nous souffrons par nos images »
– Herbert Marcuse
Ayant désossé, charcuté et généreusement dissipé toutes les utopies du passé, notre société libérale prétend désormais être seule détentrice de raison et de démocratie. C’est pour cela qu’elle est absolument incapable de saisir la critique que lui adresse la désobéissance civile, et c’est pour cette raison que la seule réponse qu’elle lui offre est celle de la violence et de la brutalité.
Notre univers idéologique, intégralement libéral, voit de deux façons la désobéissance civile. La première, majoritaire, est celle du libéralisme de droite, conservateur. Elle considère que la désobéissance est synonyme de violence aveugle, de pathologie et d’irrationalité. Les tenants de cette position, après avoir dit et répété que les révoltés sont des « casseurs-anti-démocratiques-anarchistes-voyous » et qu’il « faut-leur-casser-la-gueule-et-les-empêcher-de-porter-des-cagoules » n’ont plus grand-chose d’intelligent à dire (il suffit d’ouvrir la radio ou la télé pour constater que c’est un fait scientifiquement établi). La deuxième, minoritaire, est celle du libéralisme de gauche. Plus empathique, cette dernière considère qu’une certaine désobéissance civile est porteuse de revendication et de rationalité. Même si elle croit généralement que l’illégalité doit être combattue, elle affirme qu’il faut y répondre en s’attaquant à ses causes (pauvreté, racisme, institutions défaillantes…) plutôt qu’à ses effets.
Cette analyse, moins grossière que la première, ne permet cependant pas, elle non plus, de bien saisir les tenants et aboutissants de la protestation populaire. Puisqu’elle aplanit la part d’utopie contenue dans la révolte afin de la rendre raisonnable aux yeux de l’État, elle arrache au révolté la subjectivité et la rationalité qui sont les siennes.
L’en-dehors
Pour saisir l’esprit de la révolte et de la contestation, il faut sortir de la logique du pouvoir. Par delà le flot infini d’images, par delà le droit, il faut tenter de comprendre la désobéissance civile à partir de la rationalité des acteurs qui la mettent en mouvement.
C’est seulement de cette façon qu’on peut saisir que l’objectif de la cagoule n’est pas seulement de « se cacher ». En se rendant non identifiable aux forces de l’ordre, celui qui la porte affirme que les gestes collectifs qu’il pose priment sur sa propre individualité. Plus encore, en voilant son identité extérieure, il fait apparaître les convictions qui l’animent de l’intérieur – des convictions qui sont contraires à celles qui dominent notre société. Autrement dit, il affirme « ce qu’il est » beaucoup plus qu’il ne le cache. C’est pour cette raison qu’il agace non seulement les autorités en place, mais une part importante de la population.
Les attaques contre les commerces peuvent aussi être entendues de cette manière. Pour celui ou celle qui fracasse la vitrine d’un magasin, il s’agit d’une attaque contre l’exploitation et la souffrance crées par le monde de la marchandise et de l’argent, contre le fétichisme de ses objets qui gouvernent nos vies comme la religion gouvernait celle de nos parents. Il en est de même pour celui ou celle qui brûle une voiture de police ou la couvre de graffitis. Ces actions ne sont pas gratuites ou purement délinquantes, mais constituent une critique en actes de la brutalité et de l’arrogance des forces de l’État. C’est également cette posture qui nous permet de comprendre ceux ou celles qui bloquent les ponts. De leur point de vue, il ne s’agit pas d’une entrave à la liberté individuelle, mais bien une façon de faire pression sur le gouvernement et de perturber le train-train quotidien d’une société qui, précisément, n’est pas libre.
Contretemps
Pour comprendre la révolte, il faut voir par delà les images crées par le pouvoir. La société projette un reflet inversé du réel, elle fait de toute critique, de toute contestation qui n’est pas soumise à sa loi, un ennemi, un étranger [2]. Ce n’est pas à l’intérieur des normes sociales qu’on peut saisir les pensées et les émotions qui animent la révolte. C’est en elle-même, dans la mémoire des luttes passées que la révolte trouve son sens
« Tous ceux qui jusqu’ici ont remporté la victoire participent à ce cortège triomphal où les maîtres d’aujourd’hui marchent sur les corps des vaincus d’aujourd’hui » [1].
La Mémoire des vaincus, comme le dit majestueusement Walter Benjamin, projette en notre présent les éclats pulvérisés, les débris de ce que nous commencions à être et de ce que nous aurions pu devenir. C’est en ces éclats oubliés que les révoltés d’aujourd’hui peuvent fonder la légitimité de leurs actions.
En ce sens, la révolte ne se contente pas de critiquer les formes de notre vivre ensemble, elle interroge, plus radicalement et plus profondément, notre notion de l’histoire et du temps.
Le temps … Voilà un sujet idéal sur lequel les automobilistes pourront réfléchir la prochaine fois que les étudiantes et les étudiantes bloqueront un pont.
[1] Walter Benjamin, Œuvres III, Sur le concept d’histoire, Paris, Folio.
[2] « Le spectacle en général, comme inversion concrète de la vie, est le mouvement autonome du non-vivant », Guy Debord, La Société du Spectacle.
Depuis que le rideau de fer est tombé, le néolibéralisme en mène un peu trop large. Au point de penser être le nombril du monde. De plus, le sang de la démocratie ne coule pas bien dans les veines de notre système politique. Malgré le fait que de plus en plus de citoyens manifestent leur mécontentement dans les rues. Cela va nous conduire où en terme de répression sociale? Je me le demande vraiment. Ça n’augure rien de bon!
Je crois que… pour qu’un qualifie un mouvement de révolution populaire, celui-ci doit avoir un point de départ affranchi de mouvements corporatistes. Détrompez-vous, je ne dénigre en rien la grève étudiante ou des manifestations contre la brutalité policière, elles sont légitimes, souhaitables, mais par définition corporatiste. Ce n’est pas péjoratif comme étiquette, je tiens à le souligner.
Par contre, il est évidement qu’une révolution populaire trouvera en cet espace d’affirmation, de refus et de prise en main les ingrédients de sa propre démarche. Nonobstant toutes les images biaisées qui nous parviennent par millions, il est défini à mon esprit que si l’on manifeste contre la brutalité policière, on le fait dans le cadre idéologique dans lequel s’inscrit une manifestation. Celui du rapport de force, qui implique l’existence du droit (de droite) certes. C’est pourquoi je trouve inefficace cette approche de la casse désorganisée et mal ciblée. Ça me fait penser aux émeutes de « South Central » où les pauvres s’en sont pris à leur voisinage. À part permettre à l’État de justifier leur action sous le prétexte de la terreur, de l’insécurité régnant dans les rues, cette casse désorganisée semble plus un exutoire, une « fiesta » annuelle qu’un mouvement portant en lui les germes de la destruction de ce qui est nommée comme la rationalité de droite.
Dans une déclinaison modérée, tous les Occupons Wall Street de la planète, était à mes yeux, un mouvement sans affiliation corporatiste, multiforme et dirigée vers la racine du problème que dénonce le, ou la, cagoulée : c’est faux que l’individualité prime sur le collectif. Pour faire simple, le mouvement 99% dénonçait le régime capitaliste instauré en système de droit dans lequel, une majorité est exclue du privilège d’y avoir droit.
Ceci étant dit, il me semble qu’un mouvement de révolution populaire « non-tranquille », du type je-pête-les-vitrines-d’un-magasin-X-parce-que-ce-sont-de-dignes-représentants-du-système-qui-m’exclue (et quand je parle d’exclusion, c’est n’est pas dire que le souhait, c’est d’être inclus dans ce système) ou encore j’brûle-des-chars-de-flics-parce-que-police-partout-justice-nulle-part, devrait vivre de lui-même sans avoir besoin « d’événement éducatif ». Par événement éducatif, j’entends bien sûr les manifs. Car il faut le dire, il y a une infime partie de la population conscientisée. Il y a une majorité qui doit être éduquée. C’est long. Souvent décourageant. Mais une étape nécessaire. C’est car ses mouvements de contestations que se conscientise les tasses-toi-de-mon-autoroute-parce-que-on-me-charge-5$-la-minute-de-retard-à-la-garderie.
Tout ça pour dire, que d’affirmer que la cagoule dans les manifestations à un autre but que de protéger son identité est pour moi un argument incompréhensible. J’y ai lu un argumentaire pour le port de la « burka ». Je ne suis pas un facho d’Hérouxville mais je considère tout de même que ces théories du « général versus individu » sont à double tranchant et que ce sont ce genre d’argument qu’on sert pour justifier le voile intégral : la femme « affirme « ce qu’il est » beaucoup plus qu’il ne le cache » MAC. J’estime que le port de la cagoule est nécessaire pour « accélérer » un mouvement de changement de régime qui a un point de départ affranchi. Qu’elle est nécessaire pour faire des actes de désobéissance civile passible de poursuites et autres. Mais elle doit être désincarnée de ce mouvement de sensibilisation et d’éducation que sont les manifs. Et je crois que la conclusion est vrai, ça agace une partie de la population, qui contient en elle les germes de compréhension, il s’agit de le cultiver.
Je suis pour la contestation et pour les manifestations quand l’objectif vise l’ équité social , la justice , la démocratie et la révolte envers la corruption étatisée et le vol le détournement syatématique de l’ argent des contribuables pourse le partager entre petits amis bien nantis .
Le conformiste , le » law and order » que nos faiseux de lois ne respectent pas eux -même mais l’ exigent aux autres et la grosse morale me pue aux nez .
Ceci étant dit , la cagoule peut servir a l’occasion dans des causes justes mais quand elle ne sert qu’ aux individus qui carburent a l’ adrénaline face a l’ exposition au danger ( peut-importe la cause ) quand elle vient perturber le déroulement légitime d’ une manifestation importante et qu’ elle ne fait que nourrir le plaisir intense de celui qui la porte , je ne suis pas prêt personnellement a en faire l’éloge !
Je ne crois pas en faire l’éloge, je tente d’expliquer la rationalité de ceux qui passent à l’action directe. Évidemment, il faut avoir une réflexion tactique et stratégique à l’endroit de la désobéissance civile, chose que je n’ai pas encore abordé ici.
Pour ma part, j’ai pas senti un éloge. J’ai, comme la plupart de tes écrits, apprécié l’effort pédagogique. Par contre, d’où mon intervention, cette explication de la rationnalité me semble poétique. Mais où il n’y a pas de poésie, il n’y a pas de vie! Alors merci de lancer de tels sujets dans la marre des absorbés et de permettre aux gens de s’exprimer. Finalement, il me semble que la tactique fait partie de la rationnalité, même que c’est pour moi la fondation qui mène à l’action directe, mais bon… Perds pas trop d’énergie à répondre, j’ai trop hâte de lire ce texte qui abordera la question 😉
Quand la terre s’ouvre sous les pieds des dictatures, émergent de ses entrailles les âmes de millions de victimes, des éclats barbelés, des drapeaux brodés de mutisme et de colère, des cris aussi grand que des années de silence. Quand la terre s’ouvre au coeur de pays où opposants à l’inique, prêcheurs de justice, enfants du joug n’ont pire à troquer que leurs propres vies contre la liberté, je comprends facilement toute la violence qui l’accompagne. Les gens n’ont pas besoin de porter de cagoules, ils en ont portés toute leur vie …
Manifester en pays dit « démocratique » (la démocratie selon le Robert est une forme de gouvernement dans laquelle la souveraineté appartient au peuple … on devrait semer des dictionnaires sur la colline parlementaire…) afin de condamner ce que nous considérons être inacceptable, injuste, aliénant, abusif, donc anti-démocratique, c’est signe qu’un peuple n’est pas plieur d’échine et qu’il a foi en sa liberté d’expression.
Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de fracasser des vitrines ou de mettre le feu à des voitures pour se faire entendre. Ces gestes ne font que donner des munitions aux dirigeants afin d’enrichir un discours sur « les méchants anarchistes » et, du coup, donner une belle occasion d’éviter de parler des vrais enjeux.
Avec un « État délinquant », soyons « bons intervenants » !