Celui qui propose la trêve est le plus près de la défaite.
– Sun Tzu, L’art de la guerre
Depuis le tout début de cette grève, notre élite s’est permis de faire la leçon aux étudiantes et aux étudiants. Non sans paternalisme, elle a regardé de haut les idées et les actions de ce mouvement de la « jeunesse » (comme si les jeunes étaient des adultes sous-développés) et d’ « idéalistes » (comme si le libéralisme n’était pas en lui-même une sombre utopie). Heureusement, les étudiants et les étudiantes n’ont pas écouté ces conseils qui, dans leur vaste majorité, étaient stratégiquement nuls et moralement douteux.
Petite morale
On a d’abord demandé aux grévistes d’abandonner nombre de leurs idées et de leurs modes d’actions. On a exigé d’eux qu’ils renoncent au principe de démocratie directe de leurs assemblées; on leur a demandé de cesser de parler de gratuité scolaire, voire de renoncer au gel des frais de scolarité; on a exigé qu’ils cessent de perturber l’économie et qu’ils renoncent à la désobéissance civile; bref : on leur a demandé d’être sages, toujours plus sages.
Petite stratégie
Pour certains chroniqueurs, toute forme de désobéissance civile est à condamner. S’appuyant sur les sacro-saintes vérités révélées mathématiquement par les sondages, plusieurs d’entre eux ajoutent même que la désobéissance a nui au mouvement. Pour Jean-Luc Mongrain « les casseurs cassent la cause étudiante ». Les actions directes provoquent un « retournement de l’opinion publique » et « ce sont les étudiants qui se sont fait perdre eux-mêmes » [1]. Pour Éric Duhaime, dont l’esprit analytique est on ne peut plus subtil et profond, la « racaille cagoulée » et le « terrorisme étudiant » favorisent le gouvernement de Jean Charest [2].
Au moment où le mouvement fait face à une répression brutale – on compte près de 700 arrestations, des dizaines de blessés et de nombreuses entorses à la déontologie policière; sans oublier les injonctions utiles aux « briseurs de grève » et la présence de policiers dans nos universités – on a ainsi exigé des étudiantes et des étudiants qu’ils « condamnent la violence ».
Compte tenu de ce contexte, cette exigence, vous en conviendrez, ferait vomir une hyène… à répétition.
Mais les grévistes nous ont démontré, encore une fois, que leur sens politique était drôlement plus juste que celui des commentateurs. La proposition qu’ils ont adoptée cette fin de semaine est on ne peut plus nuancée. À un point tel que notre ministre de l’Éducation – qui la trouve « complexe et ambiguë » – semble avoir de la difficulté à la comprendre.
Et elle n’est pas seule ! André Pratte de La Presse affirme « […] plus on lit la résolution adoptée hier par le congrès de la Coalition, plus on constate qu’il s’agit d’une position claire EN FAVEUR de la violence ». Après quelques lectures, l’éditorialiste en chef semble enfin comprendre un peu mieux: « C’est vrai, la désobéissance civile comme telle n’est pas violente. Mais elle provoque souvent des situations de violence, par exemple lorsque des gens bloquent une rue ou un pont et refusent de quitter les lieux. Les forces de l’ordre doivent-elles laisser faire? » [3]. Autrement dit, selon Pratte, s’il est vrai que la « désobéissance civile » n’est pas toujours en soi violente, elle « provoque » toutefois la violence de l’État, qui est pour sa part légitime.
Grande réplique
Loin de ces grossièretés entendues depuis plusieurs semaines, la résolution de la CLASSE témoigne de la hauteur dont les étudiantes et des étudiants peuvent collectivement faire preuve. La résolution réaffirme la nécessité de combattre la violence présente dans notre société (l’exploitation, la répression, l’exclusion…) tout en donnant à cette résistance une frontière à ne pas dépasser (la violence physique). En d’autres mots, la CLASSE réaffirme qu’il faut combattre les institutions sans reproduire leur violence et leur brutalité.
Peut-être sans le savoir, les étudiantes et les étudiants affirment ainsi un principe cher à la « pensée du midi » d’Albert Camus. Pour ce penseur, la révolte dresse une frontière face à l’autorité, une frontière par-delà laquelle l’individu refuse d’obéir puisqu’il considère sa dignité en péril : « Mère des formes, source de vraie vie, elle nous tient toujours debout dans le mouvement informe et furieux de l’histoire » [4]. Cette révolte, toutefois, trouverait en elle-même sa propre limite. Comme son point de départ est le refus de la violence, elle se devrait de ne pas la reproduire.
En attendant la réaction
Comme la sensiblerie petite bourgeoise de notre élite semble n’avoir aucunes frontières, sinon peut-être celles du cosmos, la résolution de la CLASSE choquera encore plusieurs de nos chroniqueurs. Mais peu importe le résultat de ces négociations, les grévistes pourront dire qu’ils ont eu raison, encore une fois, de s’appuyer sur la légitimité de leur propre mouvement plutôt que sur celle des sondages et de la respectabilité de l’élite politique et médiatique. Le drapeau blanc agité par la ministre en ce début de semaine en constitue une irréfutable preuve.
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Pour lire la résolution en entier http://www.newswire.ca/fr/story/959455/correctif-la-classe-prend-position-sur-la-violence
Notes
[1] Journal de Montréal, le 22 avril 2012.
[2] Journal de Montréal, le 23 avril 2012.
[3] http://blogues.cyberpresse.ca/edito/2012/04/23/la-classe-endosse-la-violence/
[4] Albert Camus, L’homme révolté.
Enfin des propos qui fait bon de lire. J’aime ces étudiants. Ils ont du swing. Ils parient sur l’élasticité du temps.
ai écrit quelques mots qui ont disparu…je me répète: je ne vous connais pas, vous êtes de la gauche, de la gogauche ou d’ailleurs, je m’en fous:
bravo pour ce texte de grande qualité.
Lecture très juste de la situation. Je crains cependant que malgré la citation du Sun Tzu, depuis leur tour d’ivoire, et avec le manque de souffrance matérielle et humaine dans l’existence cossue des Charest, Beauchamps ou Pratt de ce monde; il ne leur soit pas permis de comprendre la nécessité de l’action citoyenne courageuse des étudiantEs les plus actifs contre la hausse. Quelqu’un qui a toujours été grassement nourrit n’a que faire de l’urgence de l’affamé, il a depuis longtemps oublié ce que c’est, que d’être un nouveau né. Ils n’auront pas l’intelligence d’attendre un véritable débat et continueront à saborder le système d’éducation en pensant vraiment qu’ils le font «pour le bien de la jeunesse». Ça fait très peur.
Parenthèse, loin de moi l’idée de protéger les policiers des abus qu’ils ont commis dans les derniers jours (il y a eu du débordement des deux côtés, pas avec les mêmes moyens), mais on oublie souvent de parler de ceux conscients de l’horreur de leur devoir, il y en a certainement. Conscients du manque de jugement de certains de leurs collègues et de leurs supérieurs. Il doit être terrible de se faire commander comme une marionnette d’aller «opérer» dans les salles de cours pour protéger les «fils à papa» qui n’ont pas de temps à perdre pour le bien commun, pour le reste de la société. Nous aurons besoins de leurs bras pour s’occuper des vrais bandits le jour venu et ils sont autant victimes de la récupération. On montrera le policier qui tire en pleine face de l’étudiant, pas celui qui dialogue pour calmer la tension. Bon les derniers jours ont probablement fait tellement grimpée la tension qu’il n’y a pu de temps pour la discussion, mais je plains celui qui dans son fort intérieur doit procéder à des arrestations contre son gré, au risque de sacrifier sa carrière pour un État de droit ou son propre jugement compte pour du beurre…
Tout ça grâce à l’aveuglement idéologique et l’opportunisme électoral du pouvoir.
En espérant que chacun continu de dire tout haut ce qu’il pense tout bas, ou mieux qu’il l’écrive… merci pour ce beau texte monsieur Cyr!
C t
o n
n a
s n
t r
e
Pffiou…! Pas ce que je voulais écrire… Me voilà exprimant une position presque aussi claire que celle de la CLASSE à présent…
De spécifique à systémique…
Oui, d’un « chroniqueux à un journaleux », que de pollutions mentales qui aliment le nuage de pollution néolibréale!! Dénoncer, s’indigner, se mobiliser, signer des pétitions… mais où est donc notre pouvoir démocratique?
Notre « belle » formule de démocratie de représentation est une imposture. Le pouvoir n’a rien de démocratique, il est oligarchique. Nous n’avons aucun pouvoir réel de sanctionner les dérives d’un gouvernement, aujourd’hui néolibéral, un Agent de commerce gestionnaire qui se prend pour le propriétaire privé de l’État: notre État!!
Que ce soit sur la cause étudiante, environnementale, etc., tant et aussi longtemps que nous n’aurons pas un processus de démocratie directe nous permettant d’exercer véritablement notre droit de gouvernance démocratique, nous sommes assez inoffensifs et ils le savent très bien! Nous sommes l’équivalent d’un employeur à qui on aurait enlever le droit de gérance et sans pouvoir alors de sanctionner ou de congédier un employé qui nuirait à l’entreprise… Et ici « l’Entreprise », c’est la démocratie et elle nettement la l’Entreprise Souveraine!
Parlant d’entreprise, en connaissez-vous bien des employeurs qui se retrouverait sans droit de gérance et qui prendrait le risque d’embaucher un employé pour un mandat de 4 ans en n’ayant aucun pouvoir de sanction ou de congédiement dans le cas ou l’employé nuirait par la suite à la « bonne marche » de son entreprise ou lui manquerait de loyauté? On lui dirait comme à nous, « assurez-vous de faire le bon choix, car vous allez être coincé avec lui pendant quatre ans!! C’est votre liberté de choisir et de n’avoir aucun pouvoir!! Si tel était le cas, alors vous les verriez descendre dans la rue tous les « bons patrons »! Nous, nous sommes les patrons souverains de Charest et de son gouvernement, pensez-vous que Charest se sent notre employé? Charest, l’hypnotiseur de conscience, ce redondant de la sémantique soporifique hypnotique, un arrogant et un suffisant qui trône avec « M. Sagard »… La loyauté est ici assurée. Oui, entre tous ces bons « sociopathes philanthropiques » de la finance, des affaires et de la mafia qui nous décrivent le monde et prescrivent les « nous devons nous adapter », comme étant inéluctable et pour le vaste projet globalisée de prédation et de mise en esclavage des États, comme si c’était la quintessence des bienfaits de la civilisation. Oui, de la civilisation de la prédation par des néoconquistadors, des banquiers et des marchands réincarnés!
L’année dernière, lors de la pétition demandant la démission de Charest, même si l’action était très intéressante, importante et révélatrice et même qu’elle refait surface encore, elle n’a fait qu’égratigner la vanité démesurée de ce suffisant sophiste de la toge. Nous n’avions pas à lui demander de démissionner, nous aurions dû avoir le pouvoir de le sanctionner ou de le congédier pour outrage à la Nation.
Avec tous les scandales qui s’additionnent par leur redondance et les prises de conscience des citoyens et le profond sentiment d’impuissance (réel) qu’une majorité québécois vivent à travers tous les dossiers, je suis sûr que c’est un bon temps pour aborder la démocratie directe (Constitution et système parlementaire à réformer!) et lutter contre le vaste projet planétaire mondialisé, sophistiqué, alambiqué et modernisé de prédation de la nature et de nos semblables…
une magnifique vidéo qui cherche des solutions au problème de démocratie que vous mettez en lumière…. SVP PARTAGEZ
http://www.youtube.com/watch?v=oN5tdMSXWV8&list=PL59F8EE1EFF5C78DE&index=5&feature=plpp_video
Très bel article M-A Cyr !
Bravo! Excellent, j’en pense exactement la même chose!
Vive la CLASSÉ!
Excellente réflexion Marc-André.
Dans son ouvrage, Spirale de la violence (Paris, Desclée de Brouwer, 1970), Dom Helder Camara distingue trois sortes de violence :
la violence institutionnelle qui légitime et perpétue les dominations;
la violence révolutionnaire qui se pose en s’opposant à la violence institutionnelle;
et la violence répressive qui combat la violence révolutionnaire en se faisant complice de la violence institutionnelle.
Plusieurs pays d’Amérique du Sud, après avoir payé le prix du sang la spirale des trois violences identifiée par Dom Helder Camara, sont maintenant rendus à un 4° stade révolutionnaire. Celui-ci, non-violent, est l’implication démocratique du peuple en faveur d’une meilleure justice sociale par la prise du pouvoir et une révolution pacifique des mœurs politiques et des institutions. C’est à notre tour.
« Pour rester belle. Si vous avez les seins qui tombent, faîtes-vous refaire le nez, ça détourne l’attention. »
merci cher ami de permettre à notre attention collective de rester éveillée en ces temps de disette.Tu inscris la touche nécessaire à l’éclaircissement du conflit. Ma fille se questionne sur la violence du conflit et sur le rôle de la police et de la liberté. (8 ans ) Pourquoi aller courir devant des gentilles polices pour être libre… ??? je lui explique que des gens et quelque fois nous , se battent pour l’avenir de ses amis et le sien, son droit à l’éducation et peut être à la culture.
Alors nous continuerons de manifester, de courir avec toi, avec vous les etudiantes, etudiants, nous continuerons de vous lire et archiverons pour ces années ou le débat sera plus pauvre et nous vous relirons, ami. Nous relirons comme on respire, une belle bouffée de cet air de liberté que tu insuffles et puis la lutte continue alors nous serons là avec les étudiants pour défendre le futur de nos enfants. En outre nous n’ommetrons pas de leur apprendre la course à pieds et l’utilisation des masques à gaz…après les cours sur le bon usage de la carte de crédit bien sur. Je ne sais plus trop ou placer l’histoire de cette belle province, je suis confus.
S’il vous plait tenez, tenons ensemble, ne lachons rien.
Ha et puis oui je sais je vais changer mon discours sur la police.
Il est vrai que le mensonge n’est pas ce qu’Il y a de mieux dans l’éducation et depuis douze belle années de vie au Québec, je trouvais vos policiers moins belliqueux qu’en Bretagne, autre pays français.
Erreurs, il y a juste plus de jolies filles qu’en France dans la police, sinon les etudes et le discernement pour arriver à exercer correctement la fonction de »gardiens » de la paix doivent vraiment se ressembler. Alors je vais apprendre à mes enfants à faire comme en France, se méfier, le délit de sale gueule inversé. Le flic est dangereux et si tu es jeune et que tu t’amuses, fais bien attention l’état rode…