L’on ne se rend pas assez compte que pour donner à l’expression (justice sociale) un contenu intelligible, il faudrait effectuer un changement complet du caractère d’ensemble de l’ordre social, et sacrifier plusieurs des valeurs qui ont régi ce système
– Friedrich August von Hayek
Nous sommes en crise. Le fait est tellement évident que tous le reconnaissent comme une évidence. Pourtant, une question peut-être trop simple pour que quelqu’un n’ose se la poser demeure : pourquoi?
Contrairement à ce que l’on serait tenté de croire, le capitalisme n’est pas un système économique ayant pour objectif de créer de la richesse réelle. Si tel était le cas, il serait possible, une fois les besoins égoïstes et parfois indécents de la classe dominante comblés, d’atteindre une limite par delà laquelle il deviendrait absurde de poursuivre l’accumulation. Le capitalisme serait alors un système stable, avec des déséquilibres certes immoraux, mais sans grande fluctuation.
Tel n’est évidemment pas le cas. La crise dévoile la vérité du capitalisme. Et il ne saurait en être autrement : ce système en est un profondément irrationnel. Il ne carbure pas à la satisfaction des besoins des individus, même de la minorité des mieux nantis, mais bien à la création d’une valeur abstraite : l’argent. Les crises qu’il provoque se transforment en instants privilégiés pour relancer positivement la recherche de profit. En ce sens, les libertairiens – les croyants parmi les croyants – ne sont pas en contradiction avec eux-mêmes lorsqu’ils affirment que les crises ont des « effets positifs ». En permettant une restructuration du marché à des fins plus lucratives, elle est destructrice de travail et intensification de l’exploitation, mais également promesse de nouveaux profits pour certains privilégiés.
Caresse-moi l’argent
L’argent, en société marchande, est non seulement l’abstraction équivalente à toutes les richesses réelles, elle constitue également le but ultime de la production. Pour la première fois de l’histoire – et nous sommes quelques-uns à espérer que ce soit la dernière! –, l’objectif du mode de production et de distribution réside dans l’accumulation infinie de l’argent pour elle-même. Cette logique, contrairement à ce que pensent les plus croyants des libéraux, n’a rien de naturelle. Elle s’est développée à un moment précis de l’histoire.
Cette accumulation enclenche un processus aveugle, tautologique et sans fin. Tout ce que nous faisons (notre travail) et possédons (y compris la nature) n’a de valeur que dans la mesure où il produit de l’argent. C’est d’ailleurs pour cette raison que notre société accorde de moins en moins d’importance à la qualité des choses (ce qui les rend utiles ou authentiques) et de plus en plus à la quantité d’argent qu’il est possible d’en tirer.
Et c’est peut-être aussi pour cette raison qu’on se scandalise davantage d’une vitrine cassée que d’un crâne fracassé, mais ceci est une autre histoire….
Caresse-moi le capital
Autrement dit, le capitalisme est la démesure lorsqu’elle devient économie. Il lui est impossible de trouver en son mouvement un équilibre quelconque; c’est un mouvement contradictoire qui transforme tout en argent sans égard à son contenu. Il utilise la valeur réelle (limitée) pour en faire de la valeur abstraite (illimitée) et il lui est impossible d’arrêter ce processus infini sans miner sa propre logique. Cette accumulation agit comme un trou noir aspirant tout sur son passage : la nature, la culture, le travail, l’art, l’éducation…
Ce système peine désormais à défendre raisonnablement son existence. Tout indique que sa logique interne a atteint sa limite historique. Il est responsable de la crise environnementale (dont seuls quelques étourdis de droite nient encore l’existence) et de l’exclusion sociale (parlez-en aux jeunes des favelas du Brésil, aux banlieusards de France ou, plus près de chez nous, aux chômeurs d’Hochelaga-Maisonneuve). Il crée également de plus en plus de pauvreté tout en produisant un gaspillage gargantuesque (aux États-Unis, le quart de la nourriture produite chaque année serait gaspillée, soit 2 150 000 milliards de kilojoules par année) [1]. Sans oublier que depuis plusieurs décennies déjà, cette expansion perpétuelle crée un accroissement effréné de l’endettement privé et public.
Caresse-moi l’État
Puisque l’irrationalité de l’économie devient de plus en plus difficile à dissimuler, elle s’empare également des parlements. Il est de plus en plus évident pour tous que les gouvernements et leurs institutions sont corrompus par le pouvoir de l’argent. Le roi est nu et le spectacle qu’il nous offre est loin d’être excitant. Les notables doivent se montrer menaçants et intransigeants. C’est pourquoi elles frappent, jappent et crient plus fort.
C’est ce qui explique cette radicalisation vers la droite et l’extrême droite à laquelle nous assistons depuis quelques années. Qu’elle prenne la forme du Front national en France, du British National Party en Angleterre, du Tea Party américain ou du Réseau liberté Québec ici, cette dérive est bel et bien réelle. L’heure n’est plus aux débats et à la discussion. Elle est aux jappements répétés de la propagande patronale et anti-immigration, aux lois antigrèves, aux injonctions et à la violence de la matraque.
Ce fétichisme nous permet – du moins en partie – de saisir les crises. C’est également lui qui nous aide à comprendre les actuels sophismes des politiciens, la démagogie des chroniqueurs et la brutalité grandissante des forces de l’ordre.
Les étudiantes et les étudiantes en grève représentent l’envers de la crise, la négation positive de ce fétichisme infini et destructeur. Tels des païens affrontant un monde se croyant libéré de l’irrationnel, ils font vivre les idées susceptibles de percer le chaos de cette société fanatiquement attachée à ses rites absurdes.
Notes
[1]
Le Devoir, vendredi 24 décembre 2010.
Tout à fait touchant cette loghorrée de clichés anticapitalistes parue sur le site internet d’un journal payé par de la publicité des méchantes entreprises, pondue sur un ordinateur fabriqué sans aucun doute par une grosse multinationale, et consacrant les étudiants en grève comme étant des « paiens affrontant un monde se croyant libéré de l’irrationnel », alors qu’ils sont les enfants gâtés d’un monde post-industrialisé qui s’est développé depuis des siècles grâce au capitalisme.
La vraie irrationalité, c’est l’anticapitalisme, cette schizophrénie typique de l’enfant gâté se révoltant contre ce à quoi il doit tout ce qu’il a.
Il n’y a pas plus belle éclat de liberté que l’esclave qui utilise ses propres chaîne pour étouffer le maître.
Penses-y.
Il n’y a pas plus belle éclat de liberté que l’esclave qui utilise ses propres chaînes pour étouffer son maître.
Pensez-y.
À moins que vous ne soyez déjà un conseiller de Charest, je vous conseillerais, si ce n’est le cas, de lui envoyer «au plus sacrant» votre candidature à ce poste. Ça doit être d’ailleurs très bien rémunéré.
Et les alternatives ? J’en propose une ici, l’économie distributive : http://fredofromstart.wordpress.com/2010/07/25/un-systeme-economique-de-bon-aloi-%E2%80%94-proposition-pour-une-economie-distributive
Merci M. Gagné pour votre commentaire: il exprime à merveille le problème dont je parle dans l’article. On se complète tous les deux!
Un autre cancer ronge notre société en ce moment outre celui du capitalisme: je parle de la prolifération des chantres du néo-libéralisme triomphant qui polluent les échanges dans les journaux et sur les ondes de leur message démagogique. Combien de preuves leur faut-il pour admettre que la toute-puissante loi du marché ne fonctionne pas? ou plutôt oui, elle fonctionne. Pour 1% de privilégiés. Combien vous faut-il encore gens qui crèvent de faim, font faillite, se font exploiter? Combien de gens dans les rues pour que vous commenciez à comprendre?
Le syndicalisme actuel au Quebec ne reconnait pas la notion de merite, la fierte ou l’envie de se depasser. L’argent n’est pas mal en soi, ca depend ce que l’on en fait. Par contre, le bien commun a outrance entraine la deshumanisation des individus. Les gens donnent moins, font moins de benevolat, deviennent avare lorsqu’ils sont sur-taxes. Ils sont tellement oprimes qu’ils en viennent a ne plus s’impliquer dans la societe puisqu’ils croient qu’ils ont deja trop donner pour cet intangible bien commun qu’ils peinent a percevoir.
Je reconnais que le gouvernement est mal gere, mais contrainement aux partis et aux syndicats, j’aimerais qu’il diminue. On coupe dans l’Etat, on diminue les impots et on redonne aux gens la liberte de choix – on elimine le probleme en n’en creant pas en premier lieu. C’est faire confiance aux individus plutot qu’a l’Etat-providence. On se prend en main. La societe continue d’exister parce que la societe ce n’est pas le gouvernement, c’est nous tous. On aide les plus demunis a se relever et devenir independant.
J’enseigne dans un de ces cégeps où pullulent ces enfants gâtés du monde post-industrialisé comme vous dites, monsieur Gagné, ou ces païens affrontant un monde qui se croit libéré de l’irrationnel comme vous dites, monsieur Cyr. Vous avez tous les deux un peu raison: l’irrationnel est partout, et il peut être très aliénant! Mais ce n’est pas parce que nos sentiments sont irrationnels qu’ils ont nécessairement moins d’importance qu’une bonne raison: les deux se complètent, c’est tout! Je suis bien placée pour le savoir: j’enseigne les sciences, avec rigueur et éthique, avec raison et passion, avec mes deux cerveaux! Et j’assiste présentement à un déchirement dans notre société parce qu’on nie complètement un côté ou l’autre de notre humanité, parce qu’on se retranche à droite avec hargne, ou à gauche avec véhémence, et on s’éloigne du compromis salutaire! Je crois malheureusement qu’on n’a pas le choix d’y aller un peu fort, pour faire changer les choses… C’est ce que font les étudiants, et je les en remercie! Le monde tel qu’il est doit aller vers le mieux, et je ne crois pas que ce soit en niant les élans positifs de la jeunesse qu’on va y arriver! Ils sont peut-être idéalistes, certes, avec leurs espoir de gratuité scolaire, de monde juste, quelques-uns (mais si peu: bien moins nombreux que les policiers!) se montrent peut-être un peu trop délinquants, mais ils ont raison! On a peut-être le droit de penser qu’ils exigent trop, trop vite, trop fort, mais on n’a pas le droit de les réduire au silence ou de les humilier par la répression policière, politique et médiatique qui sévit actuellement. Pour ma part, j’ai choisi de les appuyer, d’abord avec raison, en utilisant mon jugement critique pour trier toutes ces informations qui circulent, mais aussi avec émotion: parce que quand on a bien réfléchi, on aime pour le mieux, dans le bons sens!
Une petite farandole pour fêter un peu?
Moi, j’aime bien la bonne entente!
Nous voyons ici que Jonathan Gagné est un fin analyste, l’un des plus articulés en ville. Je dirais même le meilleur qui soit de tout le Québec. Grâce à ses propos, je comprends désormais la totalité qu’articule le capitalisme dans l’ensemble des rapports sociaux. Les termes comme « contrainte », « aliénation » et « idéologie dominante » sont absents de son vocabulaire, ce qui exprime ici un intellectualisme trop fortement développé.
Après tout, les esclaves noirs n’auraient jamais dû se révolter contre leurs maîtres : ils les nourrissaient, leur donnaient un logis et les vêtaient avec leurs biens ! Pourquoi devrions-nous faire de même ?
L’aliénation est bien plus facile à accepter que l’indignation …
Vous parlez de la droite qui fait de la propagande patronale et anti-immigration. En tout cas, ce n’est pas le patronat qui tient un discours anti-immigration, car c’est lui qui tient mordicus à augmenter l’immigration. Pourquoi? Pour augmenter le bassin de main d’oeuvre et de consommateurs. Donc, il y a des gens de droite qui favorisent l’immigration. Pas pour les mêmes raisons que vous, sans doute, mais tout de même.
Regardez ça. Réjouissez-vous. Discutez
http://www.youtube.com/watch?v=jbkSRLYSojo
C’est pourquoi je n’écoute plus (et devrais arrêter de lire) ceux qui veulent jeter le bébé avec l’eau du bain.
À mon avis, ce sont les valeurs libérales issues des Lumières plus que le Capitalisme qui ont permit cette fulgurante progression.
À titre d’exemple, si de nombreux africains meurent de faim, c’est en grande partie causée par le néo-colonialisme imposé par de grands États comme les USA. Si ce n’était pas de la logique folle que nous impose le capitalisme, particulièrement dans sa variante néo-libérale, jamais on ne permettrait une telle situation.
Le pire c’est que dans un sens l’idée de base du capitalisme est pas si mal mais des que t’arrive a comme tu dis « des trou noirs » en haut de l’echelle … tout cette argent virtuelle se multiplies tandis que cette argent devrait etre réinvesti dans des systeme de santé, aide humanitaire, travail social, education etc..
Tu n’as qu’a trancher le top et faire couler en bas de la pyramide et le systeme en soi reste bon. C’est si un peuple donne un pouvoir illusoire surdimensionné a quelqu’un ou un entreprise alors il cette machine commence a siphonné tout l’énergie produit par le reste de la population.. qui devrait en fait leur revenir par le bas est perdu dans le top .. ces trou noirs monétaires..
En fait, si on dit que la raison d’etre d’un systeme gouvernemental est de prendre soin du plus de gens possible qui font parti du systeme alors le présent systeme reponds pus a sa raison d’etre.
En fait, présentement avec la rareté de la richesse qui s’accelere. Ca devient de plus en plus un systeme qui prends soin d’un elite précise que de sa population. Quoique la transitition a un nouveau systeme doit toujours etre penser par des grands penseurs et avec beaucoup de dialogue et d’ouverture d’esprit entre ces grands penseurs.
Et surtout du coeur 🙂 et pourquoi pas un peu de funkyness