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Regardez-le dans l’œil

L’image est intolérable. Une horreur.

Maxence est en sang. Il a reçu une balle de plastique en plein visage.  Semi conscient, des amis le portent dans les rues de Victoriaville. On entend les cris de peur et de rage des manifestants et des policiers qui marquent leur pas à coups de matraque sur leur bouclier.

Regardez-le dans l’œil. Vous êtes chanceux, il lui en reste un.

Racontez-lui que les policiers « ont bien fait leur travail », avec « professionnalisme », « rigueur » et « discipline ». [Finet, porte-parole de la SQ].

Dites-lui que « c’est terrible », mais que « c’est un risque qui arrive quand il y a de la violence comme on en a connu » [le ministre Dutil].

Répétez-lui qu’il devrait être « heureux », car la manifestation s’est terminée avec très « peu de dégâts matériels » [Rayes, maire de Victoriaville].

Regardez-le dans l’œil et parlez-lui de la « victimisation des casseurs de Victoriaville ». Dites-lui qu’elle vous fait « bien rigoler »! [Martineau]. Il la trouvera bien bonne.

Demandez-lui de condamner la « violence et l’intimidation » des grévistes [Beauchamp].

Dites-lui qu’il faut cesser de dire que l’État est « violent » [Pratte].

Expliquez-lui pourquoi les forces de l’ordre ont effectué plus de 1300 arrestations et causé des dizaines de blessures depuis le début du conflit. Redites-lui qu’il faut protéger la propriété, qu’il faut respecter la loi et que la violence est causée par les « casseurs » et non par la police.

Regardez-le dans l’œil et dites-lui que contrairement à son cas et à celui de ses amis, ce conflit a fait de VRAIES victimes.

Comme la secrétaire de Line Beauchamp dont les lunettes ont été cassées par Gabriel Nadeau-Dubois en personne!

Comme ces étudiants contre la grève intimidés par des courriels très, très méchants [Journal de Montréal].

Comme ce pauvre Martineau qui a été « terrassé » par une manifestation de « haine sociale » devant chez lui (les manifestants ont même fait exploser d’authentiques pétards à mèches!) [Bock-Côté].

Regardez-le dans l’œil et expliquez-lui pourquoi vous vous sentez « pris en otage » par les manifestations étudiantes [Tremblay].

Confiez-lui combien il a été difficile pour vous d’arriver deux heures en retard au travail à cause du « terrorisme étudiant » [La Presse].

Parlez-lui de votre « frayeur » et de votre « colère » d’usager du métro [Journal de Montréal].

Expliquez-lui pourquoi vous voulez que les policiers – voire l’armée – arrêtent les grévistes qui « sèment la terreur dans les rues de Montréal » [Duhaime].

Allez, un p’tit effort, regardez-le droit dans l’œil. Encore chanceux : non seulement il lui en reste un, mais ce n’est même pas à lui qu’on a arraché une oreille. Il pourra vous entendre parfaitement.

Ne soyez pas intimidé.

Prenez une grande respiration de cet air de ce libéralisme satisfait qui est le nôtre et dites-lui, il a certainement besoin de l’entendre par les temps qui courent : « Nous vivons en démocratie ».