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Le Grand Prix, les festivals et la paix des cimetières

Face à la menace des manifestations étudiantes, le Grand Prix de Montréal a décidé d’annuler sa journée porte ouverte. Pourtant, dès les premiers moments de la grève, l’ensemble de notre élite médiatique s’entendait pour dire que « seuls les étudiants » allaient subir les conséquences de leurs actions. En ce sens, plusieurs chroniqueurs ont utilisé l’expression « boycott » plutôt que celle, pourtant consacrée et nettement plus juste, de « grève ».

Les choses semblent avoir bien changé depuis…

À un point tel que l’ensemble des politiciens, des chroniqueurs et des gens d’affaires se liguent désormais pour supplier les étudiantes et les étudiants de cesser leurs manifestations. Jean Charest, Michelle Courchesne, Gérald Tremblay, éditorialistes, chroniqueurs, journalistes, animateurs et spécialistes en tout genre se portent unanimement à la défense de l’économie touristique de Montréal.

La paix, disent-ils, on veut la paix.

À genoux

La campagne de supplications, vous l’aurez sans doute remarquée, le Journal de Montréal l’annonçait hier en première page, est déjà commencée…

Gilbert « je-jure-que-je-ne-referai-plus » Rozon, fondateur du mal nommé et généreusement subventionné Festival « Juste pour rire », va rencontrer les leaders étudiants ce lundi. Il tentera de leur expliquer combien ils « font du mal », non pas à ses intérêts, bien entendu, mais à l’ensemble de l’économie montréalaise

« Les Francos débutent jeudi, imaginez un artiste sur une scène extérieure qui est victime de manifestants avec leurs casseroles. C’est tellement triste pour Montréal ce qui se passe. Les festivals, c’est l’image de Montréal à l’étranger. Lorsqu’on s’attaque à ces événements, on fait très mal à l’économie. Je ne crois pas que les étudiants gagnent quelque chose en paralysant les festivals ». [1]

Rozon n’aura cependant pas à se mettre à genoux afin de supplier les étudiantes et les étudiants de cesser leur tapage, Yves-Thomas Dorval, du Conseil du patronat, l’a déjà fait pour lui

« […] nous vous demandons d’encourager un arrêt rapide des protestations dans les espaces publics, même si elles sont festives, afin de permettre des discussions sereines à la table de négociation et, surtout, de permettre aux villes touchées, notamment Montréal, d’offrir un milieu propice au déroulement des activités estivales »[2].

Mais les appels à la trêve ne proviennent pas seulement des alliés objectifs du gouvernement. C’est apparemment sans gêne que Louis Roy de la CSN défend exactement la même position que son vis-à-vis patronal. Pour lui, il est temps de passer à autre chose

« Match nul. Ça veut dire match nul pour tout le monde, le gouvernement accepte d’oublier ce qu’il a fait dans le budget, et doit changer ça, et les étudiants doivent se dire, bien on se reprendra dans un débat public et dans les élections, et on refera le débat tout le monde ensemble, mais dans un autre contexte dans l’année qui vient »[3].

Paul St-Pierre Plamondon, du groupe Génération d’idées (une organisation de jeunes qui plante des balais un peu partout), semble lui aussi avoir la frousse. Il soutient que nous avons atteint un « point limite » et qu’il est inacceptable qu’on « menace des gens ou des institutions importantes pour notre économie et notre prospérité, comme le Grand Prix » [4].

Célébrer le profit

Pour une part majoritaire de notre élite, ce n’est pas la corruption, la brutalité policière, les arrestations de masse ou encore les critiques internationales de la loi 78 qui nuisent aux Montréalais, mais bien les manifestations qui, précisément, dénoncent cette violence et cet autoritarisme. Entre l’accès à l’éducation, le droit à la dissidence politique et les festivals commerciaux et touristiques, notre bienheureuse et bienveillante élite a choisi le camp de l’ordre et du profit.

Étonnant ? Pas du tout… Notre « Québec » veut de gros moteurs, des turbo gros seins en plastique et des grosses farces plates. Qui pourrait lui en vouloir?  Nous sommes en Amérique, non? On peut acheter tout ce qu’on a les moyens d’acheter. Si le droit de se rassembler et de manifester est consacré par la loi (enfin, la vieille…), il faut prendre garde aux abus. Jamais la manifestation ne doit nuire au bon déroulement de ce spectacle dont nous devons rester les observateurs passifs. Le droit au profit, peu importe qu’il se fonde sur la médiocrité, le sexisme, la destruction, le fascisme [5] et l’insignifiance, est un droit sacré.

C’est ce principe que notre élite va défendre cette semaine.

Un peu de reconnaissance

Le fait n’est pas banal : notre élite économique et politique, à l’appel de notre premier ministre, en est désormais réduite à quémander poliment et respectueusement la paix sociale. Si, au départ, on affirmait que les étudiantes et les étudiants n’arriveraient à rien avec cette grève, que leurs manifestations, leurs actions directes et leurs perturbations n’étaient pas justifiées, on affirme maintenant qu’ils représentent une menace importante pour l’économie de Montréal, voire pour l’ordre et la sécurité de la province dans son ensemble.

Malgré le spectacle médiatique, la répression et les injonctions, malgré les turpitudes du gouvernement et de sa loi spéciale, personne n’est capable de venir à bout de la volonté des grévistes. Les étudiantes et les étudiants ont combattu et vaincu, les unes après les autres, toutes les difficultés que l’État a tenté de mettre en travers de leur chemin. À un point tel que le mépris affirmé au début de cette grève s’est transformé petit à petit en peur et en pathétiques supplications.

Les étudiantes et les étudiants sont désormais des acteurs politiques incontournables de la société québécoise. Pour nos dirigeants, ils inspirent à présent le respect, voire la crainte.

C’est une bonne nouvelle, non?

 

Notes

[1] Michelle Coudé-Lord, « Rozon discutera avec les leaders étudiants », Journal de Montréal, samedi 2 juin,
2012.

[2] Yves-Thomas Dorval, « L’arrêt des manifestations demandé », président
du Conseil du patronat du Québec, Le Devoir, p. A08, 1er juin 2012.

[3] Entrevue avec Anne-Marie Dussault à 24 h en soixante minutes, émission du 31 mai 2012 http://www6.radio-canada.ca/audio-video/pop.shtml#urlMedia=http://www.radio-canada.ca/Medianet/2012/RDI/2012-05-31_19_00_00_24h60m_934_800.asx

[4] Isabelle Porter   Point chaud – « Le point limite est atteint », Le fondateur de Génération d’idées craint que le mouvement étudiant ne cède au « culte de la désobéissance civile », Le Devoir, 4 juin 2012  Québec

[5] Sur les liens entre le Grand Prix et l’extrême droite : http://www.lemonde.fr/sport/article/2009/07/04/hitler-etait-efficace-selon-bernie-ecclestone-patron-de-la-formule-1_1215398_3242.html