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Le 4 septembre : on fait le ménage!

« La grande majorité des Québécois souhaitent autre chose. Ils rêvent de prospérité,
de stabilité et de paix sociale ».

–André Pratte, 31 août, La Presse

Comment trouver le mot juste pour parler des élections?

En 1888, Octave Mirbeau en parlait ainsi

« Je comprends qu’un escroc trouve toujours des actionnaires, la Censure des défenseurs, l’Opéra-Comique des dilettanti, le Constitutionnel des abonnés, M. Carnot des peintres qui célèbrent sa triomphale et rigide entrée dans une cité languedocienne; je comprends M. Chantavoine s ‘obstinant à chercher des rimes; je comprends tout. Mais qu’un député, ou un sénateur, ou un président de République, ou n’importe lequel parmi tous les étranges farceurs qui réclament une fonction élective, quelle qu’elle soit, trouve un électeur, c’est-à-dire 1’être irrêvé, le martyr improbable, qui vous nourrit de son pain, vous vêt de sa laine, vous engraisse de sa chair, vous enrichit de son argent, avec la seule perspective de recevoir, en échange de ces prodigalités, des coups de trique sur la nuque, des coups de pied au derrière, quand ce n’est pas des coups de fusil dans la poitrine, en vérité, cela dépasse les notions déjà pas mal pessimistes que je m’étais faites jusqu’ici de la sottise humaine, en général, et de la sottise française en particulier, notre chère et immortelle sottise, ô chauvin! » [Mirbeau, La grève des électeurs]

C’est très méchant, n’est-ce pas? Et quand on est méchant, ça fait pleurer le p’tit Jésus.

Laissons donc Mirbeau tranquille…

Et si on en parlait plutôt à la manière d’Albert Libertad?

« Tu es le volontaire valet, le domestique aimable, le laquais, le larbin, le chien léchant le fouet, rampant devant la poigne du maître. Tu es le sergot, le geôlier et le mouchard. Tu es le bon soldat, le portier modèle, le locataire bénévole. Tu es l’employé fidèle, le serviteur dévoué, le paysan sobre, l’ouvrier résigné de ton propre esclavage. Tu es toi-même ton bourreau. De quoi te plains-tu ?

Tu es un danger pour nous, hommes libres, pour nous, anarchistes. Tu es un danger à l’égal des tyrans, des maîtres que tu te donnes, que tu nommes, que tu soutiens, que tu nourris, que tu protèges de tes baïonnettes, que tu défends de ta force de brute, que tu exaltes de ton ignorance, que tu légalises par tes bulletins de vote, – et que tu nous imposes par ton imbécillité ».[Libertad, Le Culte de la charogne, 1906]

Ouf… Mais c’est qu’il est très méchant lui aussi! Méprisant même. Si on était plus poétique, comme dans les années soixante, où on chantait ceci

« Je vote je vote

Car je suis un veau »

Ishhh… Non! Décidément, les électeurs n’ont pas que des amis. On ne parle plus comme ça de nos jours, ce n’est pas très « démocratique » comme attitude.

Manque de talent

Nous manquons probablement de talent, mais ne désespérez pas : nous trouverons certainement un jour le mot juste pour parler de cette incroyable illusion qui mène encore l’électeur à croire, après 150 ans d’électoralisme, que la démocratie libérale sert bien ses intérêts.

Nous trouverons même les mots pour décrire cet étrange phénomène qui mène des millions d’individus à oublier systématiquement les promesses rompues et les trahisons répétées.

Nous saisirons enfin pourquoi des gens pensent que la stratégie du « moins pire » peut nous faire
avancer vers le « meilleur ».

Nous découvrirons quelle est la formule magique qui fera de Québec solidaire et d’Option nationale des partis différents une fois au pouvoir – comme cela risque de prendre encore quelques centaines d’années, nous soumettons l’hypothèse qu’il s’agit d’une formule qui nous arrivera du futur…

Nous comprendrons peut-être même pourquoi la démocratie libérale est devenue cette espèce de dieu spectaculaire tant vénéré; pourquoi plusieurs s’obstinent encore à croire que le parlement est à leur service malgré sa soumission légendaire au monde des affaires; pourquoi on peste, crie, rage et déteste avec tant de sincérité ceux à qui on donne volontairement le pouvoir une fois tous les cinq ans; pourquoi on considère que les « abus » des politiciens sont le résultat de leur seule vanité alors qu’ils se répètent systématiquement depuis toujours…

Cela nous aidera sans doute à saisir cette fascinante capacité qu’ont les humains à tisser la toile dans laquelle ils se plaignent pourtant d’être emprisonnés. Qui sait, cela nous permettra peut-être même de comprendre comment, après tant de sacrifices pour transformer réellement la société par la grève et la contestation, on a repris si spontanément le pas cadencé du statu quo. Cela nous aidera sans doute, finalement, à saisir pourquoi ceux et celles qui ont été poivrés gazés, épiés et matraqués par l’État se soumettent, et pratiquement dans la joie, au processus qui précisément justifie qu’ils aient été poivrés, gazés, épiés et matraqués.

En attendant, et on le dit respectueusement, que les électeurs fassent comme bon leur semble… Pour notre part, comme nous avons été si copieusement traités de « crottés » et de « pouilleux » dans les mois tumultueux qui viennent de s’écouler, nous profiterons de cette journée d’élections pour faire une belle grosse corvée de ménage… Les planchers, les murs, les vitres : rien ne résistera à notre volonté de transformer le monde!

De cette manière, nous sommes certains qu’au moins une partie de la province aura changé le 5 septembre au matin.