BloguesMouvements sociaux

Hommage aux victimes du 12 septembre

Parlez-en à votre courtier d’assurances, il le confirmera : les morts n’ont pas tous la même valeur. Après tout, c’est un peu normal : un mort qui était « en-pleine-santé » n’a pas la même valeur qu’un mort qui était déjà « à-moitié-mort ».

C’est la vie, non?

Le 11 septembre 2001 a fait 3,000 morts. Des morts qui travaillaient, qui magasinaient et qui mangeaient. Des morts qui aimaient le hochey, les frites et la bière… Des gens qui vivaient comme nous, d’une qualité incomparable.

Incomparable avec les dizaines de milliers de Nicaraguayens victimes de la « sale guerre » américaine. Incomparable avec ces dizaines de milliers de Chiliens victimes de la CIA et de Pinochet. Incomparable avec les Palestiniens qui meurent chaque jour sous les balles de
l’armée israélienne.

Combien de « nos » hommes sont morts pour « pacifier » l’Afghanistan ? 158 soldats, CHEF!

Combien de morts, civils ou militaires, a fait, en retour, l’Armée canadienne en Afghanistan? Euh… Voyez-vous, l’Afghanistan n’est pas en très bon état. Tout est en ruine. Même le vocabulaire semble avoir été bombardé. Vous savez comment on dit « mort » en persan ? Ça donne ceci: « مرده ». On ne va quand même pas se mettre à compter les « مرده » ! Et à l’envers en plus !

C’est pour cette raison que nos journaux parlent plutôt des « bonnes » victimes – celles qui se battent pour la liberté et la démocratie – et non de celle des « méchants » – ceux qui portent la barbe et s’expriment dans une langue pleine de colis piégés.

La valeur d’une vie

La vie d’un pauvre n’a pas la même valeur que celle d’un notable. Si tel était le cas, on devrait commémorer des « 11 septembre » à longueur d’année, voire plusieurs fois dans la même journée. 18,000 enfants meurent de faim par jour et 10 millions d’entre eux crèvent chaque année faute d’avoir reçu une aide médicale adéquate [1]. Sans oublier les victimes du travail (on compte dans le monde 21 millions d’individus vivant du « travail forcé »); les femmes victimes du machisme (plus de 150 millions d’entre elles sont annuellement victimes de violence conjugale ); et les victimes des changements climatiques (l’ONU prévoit 150 millions de réfugiés du climat d’ici 2050)[3].

Une vie n’est pas égale à une autre vie… La vie d’un Haïtien vivant dans un « trou à marde » – comme le disait un brillant animateur de Radio X – n’est certainement pas égale à celle d’un Américain à la peau rose et aux dents blanches.

Le 11 septembre a été vengé 1,000 fois depuis 2001. Par la guerre, la prison, la torture, les déportations, les politiques sécuritaires, la stigmatisation, le racisme… L’invasion de l’Afghanistan a fait à elle seule plus de 4,000 morts.

À combien en sommes nous désormais? 10,000, 20,000, 100,000 victimes?

Si au moins les musulmans avaient le charme des juifs ou l’exotisme des Vietnamiens, on pourrait peut-être faire quelque chose pour eux… Mais qui peut sérieusement se porter à la défense de ces « bougnoules-terroristes-batteurs-de-femmes-toujours-en-quête-d’accomodements-déraisonnables-et-d’émeutes-en-banlieues » ?

La vie n’a pas « une » valeur, mais bien plusieurs. Elle se mesure à la couleur de la peau, au sexe, à l’origine ethnique, à la religion, au lieu de naissance et à la classe à laquelle on appartient. Plus vous êtes élevés dans la hiérarchie – ou plus votre mort est utile aux dirigeants – plus votre cadavre fera de bruit lorsqu’il atteindra le sol. Plus vous êtes en bas de l’échelle sociale, moins on entendra parler de votre disparition.

Votre corps risque même d’atterrir directement dans la fosse commune.

Il ne reste alors qu’à vous y enterrer en silence.

Et à la vider lorsqu’elle déborde.

***

Notes

[1] Noam Chomsky, « Responsabilité des intellectuels », Montréal, Comeau et Nadeau.

[3] Selon l’Organisation internationale du travail : http://www.ilo.org/global/about-the-ilo/press-and-media-centre/news/WCMS_182005/lang–fr/index.htm ; l’ONU : « Statistiques sur la violence à l’égard des femmes, ONU-femmes » : http://www.endvawnow.org/fr/articles/299-fast-facts-statistics-on-violence-against-women-and-girls-.htmlet Osire Glacier, « Les réfugiés environnementaux », Relations, http://cjf.qc.ca/fr/relations/article.php?ida=686

Pour des lectures supplémentaires concernant la guerre en Afghanistan : lire Francis Dupuis-Déri : L’armée canadienne n’est pas l’armée du salut, et L’éthique du vampire : sur la guerre en Afghanistan et autres horreurs de notre temps, publiés chez Lux, Montréal.