Et lui, le village, il semblait attendre
aussi – sans grand espoir – après tant d’autres nuits passées sous la boue, un
maître à suivre vers quelque improbable, quelque inimaginable asile
– Georges Bernanos, Journal d’un
curé de campagne, 1936
Dans sa jeunesse, Lucien Bouchard voulait devenir prêtre. Dans un petit village du pays, il se voyait sans doute déjà se bercer tout en égrenant pieusement son chapelet. Il aurait participé à la vie communautaire … conseillé ses ouailles sur la vie de famille… corrigé les p’tits gars qui parlent mal… Il aurait changé la vie en la rendant plus morale. « Sagesse. Sacrifice. Autorité », telle aurait été sa devise.
Et le temps aurait progressivement blanchi ses noirs cheveux…
Mais les jeunes filles et les jeunes garçons de son école se riaient de lui… Ils riaient et riaient encore de ce rire méchant dont seuls les jeunes connaissent le ton : « Lucien le malin, Lucien le malin! », chantonnaient-ils à tout moment. Lucien Bouchard était-il déjà trop sérieux pour les jeunes de son âge, trop sévère pour son époque? Cela le rendait mélancolique et songeur : « Peut-être ne méritent-ils pas mon amour? Peut-être sont-ils trop petits pour accueillir ma grandeur? » Ces questions le hantaient de plus en plus intensément. À un point tel qu’un bon jour (ou peut-être une nuit) Lucien eut une révélation. Comme en chaire, debout sur un banc de neige de la cour d’école (il adorait cette posture, ça lui donnait l’impression de voler), il s’exclama : « Je vais devenir politicien ! »
« Pouah ha ha! » Les éclats de rire furent plus violents que jamais. « Politicien! Lucien le cheuf, Lucien le cheuf! »
L’année scolaire se termina par une intense campagne de « wedgies » à son endroit.
Il s’en souvient comme si c’était hier.
Un nouveau genre de curé
Le curé qui sommeille en Lucien Bouchard n’est jamais entièrement disparu, il a simplement revêtu des habits plus modernes, moins poussiéreux. Il y a longtemps que les religieux ont troqué la vertueuse toge ecclésiastique pour le complet cravate de l’avocat ou du politicien.
Lucien Bouchard est littéralement connecté avec le Bon Dieu. C’est pour cette raison que son discours n’est pas partisan, subjectif ou égoïste comme celui des groupes de pression. Sa bonne parole est d’ailleurs généralement ponctuée de vérités divinatoires, absolument infalsifiables et étrangères au commun des mortels, du type : « le Québec veut », « ce n’est pas ce que pense le Québec », « c’est le gros bon sens », « il faut voir la vérité en face », etc.
« Il faut s’adapter aux impératifs de la mondialisation », disait-il en 1996. Tout le monde doit se serrer la ceinture : il faut couper des milliards en santé et en éducation, briser les grèves en nombre record, privatiser nombre de services publics et déréglementer au maximum afin de favoriser l’exploitation de nos ressources. « Notre avenir est menacé », disait-il de nouveau en 2006 avec ses amis lucides [1]. Il faut dégeler les frais de scolarité, augmenter les tarifs d’Hydro Québec et s’ouvrir davantage au secteur privé. Il faut cesser d’être « aveuglés » et de « rêver en couleurs » : la « lucidité exige que nous arrêtions de nous bercer d’illusions ».
Son discours – sans prétention, bien entendu – est bel et bien celui de la « Raison », du « réel ».
Et on ne combat pas la réalité.
Une foi inébranlable
L’an dernier, Lucien Bouchard, alors porte-parole de l’industrie gazière, avait démontré, lors d’un affrontement fortement médiatisé avec le député athée et communiste Amir Khadir, sa foi profonde en l’industrie
« Au-delà de la question des neuf entreprises, puis des 31 permis, il y a surtout la réputation du Québec. Quand j’étais aux affaires, je me serais interdit des choses comme celle-là […] Ça peut décourager les investisseurs. Pourquoi est-ce qu’on se fait mal comme ça?» [2]
C’est une bonne question! Lucien Bouchard, lui, avait pourtant fait sa part. Alors qu’il était premier ministre, il avait fait disparaître – entre autres choses – la Société québécoise d’initiatives pétrolières (SOQUIP). Fondée dans la foulée de la Révolution tranquille, l’objectif de la SOQUIP était de développer l’exploration des hydrocarbures du sous-sol québécois. Autrement dit, elle visait, comme Hydro Québec, à une étatisation partielle de ces ressources naturelles [3].
Le parcours de Lucien Bouchard est d’une droiture qui inspire – et expire – le respect. Comme premier ministre, il s’est débarrassé d’institutions publiques qui nuisaient au développement de l’industrie; comme porte-parole de l’industrie, il exige du gouvernement qu’on respecte le droit inaliénable des entreprises à exploiter les ressources.
Un homme, un vrai. Droit comme un chêne. Un vrai Michel Chartrand – qui l’appelait d’ailleurs affectueusement « Lulu l’toupet ».
Le retour de monsieur le curé
Aujourd’hui encore, Lucien Bouchard poursuit dans la même veine. Avec la même droiture, la même intégrité, il continue de dévoiler pour nous les formes et les exigences de la réalité. Comme il le dit en entrevue à La Presse,
« Des manifestants décrivent une société où il faudrait ceci ou cela, mais ils ne disent jamais où ils prendraient l’argent. Pour certains, la politique, c’est poser des exigences sans se soucier des moyens pour les réaliser. Mais entrer en politique, c’est assumer un mandat d’élu. Ça force à vivre avec le réalisme, ça demande du courage ».
On ose à peine imaginer ce que répliquerait Lucien Bouchard si de lâches païens osaient lui dire que l’argent se trouve dans la lutte à l’évasion fiscale ou dans les redevances de l’industrie qu’il défend. Une telle hérésie viendrait sans doute heurter sa généreuse conception de la démocratie
« Le gouvernement doit savoir dire non à la rue. Je ne veux pas mépriser les gens qui marchent dans la rue, mais je ne trouve pas que c’est un instrument démocratique, je ne trouve pas que c’est une façon convenable de faire, de provoquer des décisions de l’État » [4]
Tout comme la prière, la démocratie revendique le calme et la tranquillité. C’est dans un lobby ou à l’intérieur des portes closes d’un cabinet que les droits de la nation se font entendre, et pas ailleurs.
Un livre précieux
La foi et la grandeur de Lucien Bouchard ne sont désormais plus à démontrer. Son dernier livre en témoigne. En un peu plus de 100 pages, qui ne contiennent aucune note de bas de page ni même de bibliographie, le grand prêtre reste toujours aussi convaincant. L’amoureux de la littérature qu’est M. Bouchard a même eu la sagesse de faire rédiger ses pensées par un journaliste. Comme la Bible, ce grand livre est donc un ouvrage collectif.
Bien entendu, certains diront que ce livre est décousu, alambiqué. Tout discours complexe peut sembler opaque aux néophytes ou aux ignares. D’autres ajouteront que les mots de Lucien Bouchard ne visent en fait qu’à défendre des intérêts mercantiles, des intérêts qui n’ont rien à voir avec ceux de la société ou du peuple.
Ceux-là n’ont rien compris.
La vérité est que ce livre est trop charitable. Vous connaissez beaucoup de politiciens qui possèdent assez de grandeur d’âme pour écrire et publier une « correspondance » à eux seuls, sans même que personne ne leur répondent ?
Toute la générosité de Lucien Bouchard est là.
Ceux qui ne comprennent pas n’ont rien compris. Ils sont comme ces enfants qui riaient du p’tit Bouchard dans la cour d’école.
Ils oublient que les voies de Dieu sont impénétrables.
Et qu’on ne lésine pas avec la vérité … même si on a parfois des envies de lui faire un « wedgie », à elle aussi.
***
Notes
[1] Disponible ici en ligne : http://www.pourunquebeclucide.org/documents/manifeste.pdf
[2] Michel David, « Tartuffe », Le Devoir, 2 juin 2012
http://www.ledevoir.com/politique/quebec/324597/tartuffe
[3] Pour en savoir plus sur cette liquidation, lire: Jacques B. Gélinas Le 7 février 2011, « Lucien Bouchard, fossoyeur de la société québécoise d’initiative pétrolière (SOQUIP), Presse toi à
gauche : http://www.pressegauche.org/spip.php?article6507
[4] C’est ce qu’il soutient en entrevue avec le fin et subtil (quoique peu connu) Richard Martineau, à l’émission les Francs tireurs.
Lucien Bouchard… ouais…
Mais, question certainement bébête, comment réagiraient les souverainistes si jamais Lucien Bouchard annonçait tout à coup qu’après mûre réflexion il se posait à nouveau en grand chantre de la souveraineté?
Les souverainistes le suivraient-ils alors dans cette reconversion?
Voilà qui serait vraiment passionnant à observer…
Votre lecture d’un Messie Lulu est cette caricature faite par les fédos lors de la dernière campagne référendaire, le clan refusant depuis toujours les pleines responsabilités de leur propre existence. Avez-vous peut-être cette croyance d’un dieu seul maître de votre existence ? Votre messie ne serait-il pas le Rocanada ?
@claude
« Les souverainistes le suivraient-ils alors dans cette reconversion? »
non.
ça serait à lui de suivre.
mais de toute facon ta question est nulle puisque lulu a reconfirmé son opinion favorable quant à la souveraineté du québec, l’autre jour, en entrevue. difficile d’imaginer une « reconversion » alors qu’il n’y a pas eu de conversion, n’est-ce pas claude?
À mes yeux, Lucien Bouchard est un païen qui a un discours de curé. Dans la mesure où il ne croit qu’à l’économie comme le veau d’or, l’unique locomotive de la société.
La croissance économique a fait son temps et la planète nous demande de plus en plus de compte. L’économie n’est pas un tout. Elle fait partie d’un ensemble du fait que la population prend de plus en plus conscience que ce cheval a pris de l’âge.
Il faudrait dépasser ce discours de l’économie locomotive pour la replacer dans un contexte où elle devient un wagon au même titre que l’environnement, la santé et l’éducation.
Merci pour ce texte savoureux.Son second degré et le sujet traité n’est pas sans rappeler cet article d’un journaliste portugais excédé par le même genre de prêches que ceux professés par notre bon curé:
http://www.courrierinternational.com/article/2012/09/14/moi-premier-ministre-je-tuerais-un-tiers-des-portugais
Faites bien attention au discours de Lucien Bouchard. Il est originaire de la région du Saguenay; la même que moi. Je connais des personnes qui ont travaillé avec et pour Lucien Bouchard et il les a tous brûlés à la corde en moins de six mois. Si vous analysez soigneusement son parcours politique vous y trouverez une mer de contradictions, de volte-face politiques permanentes, de changement de cap, de coups de tête, de contradictions incessantes lancées à travers des discours à faire brailler n’importe laquelle des grand-mères du Québec mais qui n’ont abouti qu’à n’en faire qu’à sa tête et seulement à sa tête. Ça été une grave erreur de mettre cet individu au poste de Premier Ministre du Québec. Il a laissé aux québécois un héritage peu enviable de son passage à ce poste.
Lucien Bouchard est un workcoolique qui brûle tout le monde autours de lui; il est ultra ultra conservateur dans tout et partout; il déteste les syndicats à s’en confesser parce qu’il n’a jamais pu accepter que l’être humain ait autre chose à faire que de travailler comme un damné 18 heures par jour; pour lui, l’entreprise privée a toutes les qualités et aucun défaut; si vous ne pensez pas comme lui, vous êtes damnés et méritez pas de vivre.
Son discours et la majeure partie du temps complètement à l’opposé à ses actes. Et si vous vous laissez charmer pas son discours, méfiez-vous de la pensée qui germe dans sa tête parce qu’il dit rarement ce qu’il pense vraiment.
«Des manifestants décrivent une société où il faudrait ceci ou cela, mais ils ne disent jamais où ils prendraient l’argent. Pour certains, la politique, c’est poser des exigences sans se soucier des moyens pour les réaliser. Mais entrer en politique, c’est assumer un mandat d’élu. Ça force à vivre avec le réalisme, ça demande du courage.» Lucien Bouchard
Le réalisme de Lucien bouchard qui supposément demande du courage, c’est celui d’une personne qui a fait des hautes études et qui n’a jamais eu à se soucier des questions de sous pour manger le lendemain ou de devoir vivre avec moins que rien. Il n’a jamais connu ça malgré ses prétentions à l’effet que, pour lui, l’effort est la clef de l’effort et du succès, il a toujours eu la bavette accrochée au cou à cause de la bonne fortune de sa famille.
Lucien Bouchard ne connaît rien, mais alors absolument rien au vrai monde et leurs besoins. Tout est théorique en ce qui a trait à cet ultra conservateur qui veut rien de moins que des esclaves bien payés mais dociles et soumis dans des usines de riches qu’il n’a jamais condescendu à visiter et comprendre ce qui s’y passait en réalité. Lucine bouchard, ce n’est pas un être humain, c’est une machine qui croit que tous les autres humains devraient faire comme lui. Travailler, travailler et travailler encore et encore sans arrêt. Il pense que c’est légitime pour lui de faire la leçon aux plus démunis de la société. Et dire qu’il y en a qui boivent de ses discours à grandes lampées sans regarder le drame qui se cache derrière toute sa rhétorique de la productivité et du travail des êtres humains; j’ai mon voyage!
bravo marc-andré.
tu es lucide*.
*considérer l’ancienne définition.
Moi aussi j’ai mon voyage de Lucien Bouchard, j’ai l’impression que chaque fois qu’il prend la parole, on se sent comme des enfants qui se font chicaner par un adulte sévère. Comme s’il comprenait mieux que nous la réalité dans laquelle on vit.