« Je n’obéis ni ne commande à personne,
Je vais où je veux, je fais ce qui me plaît,
Je vis comme je peux et je meurs comme il le faut »
– Le Fantasque
Drôle, irrévérencieux, cynique, radical, libertaire, Napoléon Aubin est l’une des figures les plus flamboyantes de l’histoire de l’utopie et de la révolte au Québec et au Canada. Encore aujourd’hui, ses écrits semblent tout aussi irrécupérables qu’ils ne l’étaient à l’époque.
Le Fantasque (1837-1845) ne défend aucun dogme, aucun parti, sinon celui de la liberté et de la critique. Dès son premier numéro, il annonce ses couleurs « Soyez certains, amis lecteur que je ne serai rien… que fantasque; je resterai toujours fidèle à ma devise : indépendant comme un Huron, gai comme un artiste, fou comme un enfant, sage comme un fou, sensible comme une jeune fille : me voilà! »
Qui voudrait d’un tel personnage dans son arbre généalogique? Le Fantasque est gênant pour tout le monde. Même la très vénérée « tête à Papineau » n’échappe pas à ses flèches. La violente répression qui suit les Rébellions est d’ailleurs pour lui une incontournable source d’inspiration. Dans le « Plan de la république canadienne », il imagine un pays qui ne gouverne pas par la « crainte et la terreur », mais plutôt par l’« estime, le respect et la reconnaissance ». Un pays sans juge, sans avocats, ni docteurs où les problèmes de langue seraient enfin résolus par l’obligation de parler… hébreu. Un pays où « les voleurs auront les doigts coupés, les calomniateurs, la langue tranchée et les coupables de haute-trahison seront condamnés à épouser une femme laide, stupide et méchante, punition la plus terrible qui puisse être infligée dans ce bas monde ».
« Mon voyage à la lune »
Le Fantasque est le plus lu des journaux de l’époque. Si l’humour l’a certainement aidé à devenir populaire, ses séjours en prison – sous des accusations de « haute trahison » – ont fait de lui une personnalité connue. Au lendemain de sa première libération, fidèle à lui-même, il affirme : « … j’aime la prison à la folie et ce ne sera nullement pour moi une punition quand on m’y enverra l’an prochain ».
C’est d’ailleurs lors de sa première incarcération que le Fantasque décide de nous amener littéralement par delà le réel. S’inspirant de Cyrano de Bergerac (qu’il tourne par ailleurs lui aussi en dérision) le Fantasque voyage avec nous, à l’aide de gaz hilarant, « au milieu des airs » et jusqu’à la lune. Dans ce monde lunaire, on y pratique le troc, il n’y a ni voleur, ni bourreau, ni clerc; la mauvaise musique et la mauvaise littérature y ont été bannies; le lait coule dans les ruisseaux regorgeant de poissons cuits; les balles des fusils tuent, plument, rôtissent et assaisonnent le gibier et les amoureux se parlent sans avoir à prononcer de mots.
Le Fantasque va même y rencontrer l’amour, celui de Bavardine, son alter ego. Il tentera de la conquérir et de la ramener sur terre à l’aide des plus beaux passages des lettres de la Nouvelle Héloise de Rousseau. Mais il n’aura toutefois pas le temps de terminer ses aventures avec cette « spirituelle beauté »; les autorités, encore une fois, viendront interdire la publication de ce journal atypique.
Peu de gens se souviennent aujourd’hui de Napoléon Aubin. Peu de gens se souviennent de ce Fantasque. Il est un autre fou oublié et sans héritier. Un autre rebelle qui, précisément parce qu’il est irrécupérable, ne trouve pas sa place dans la mémoire des vainqueurs. Son héritage se trouve en marge, dans les tracts, les petits journaux et les pamphlets souvent sans nom qui circulent encore aujourd’hui. Son héritage se trouve dans la ruse, dans la plaisanterie et dans l’intelligence des vaincus. Dans tous ces gens qui, en attendant de repartir à l’assaut du ciel, se font patiemment les dents à l’aide de satire et d’humour.
* Ce texte est également publié dans Le Couac du mois d’octobre de cette année.
Sources
Cet article est librement inspiré d’une thèse de doctorat Lucie Villeneuve, “Le Fantasque de Napoléon Aubin: mutation du genre utopique et jeux de mascarades”, sous la dir. De Bernard Andrès et Nancy Desjardins, Utopies en Canada (1545-1845). disponible en ligne ici: http://www.archipel.uqam.ca/1283/1/D1663.pdf
Bonjour voisin,
J’veux pas vous écœurer, mais en écrivant «satyre» plutôt que «satire» vous changez le sens que vous souhaitiez sans doute donner à votre portrait…
Un satyre est un peu exhibitionniste… Une satire est une moquerie…
Le voisin.
Merci voisin!