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Agente 728 : au service de la tradition

Ce n’est pas que l’on se plaigne

De se faire traiter de mangeux de beignes

De bœufs, de porcs, de gros chiens sales!

Au caractère un peu brutal

À la longue on s’y fa’

Parce qu’au fond c’est un peu vra’

– Rock et belles oreilles, « Bonjour la
police »

L’histoire de la police, c’est celle de la violence, de la haine et de la peur…

C’est en 1838 que le premier service de police moderne voit le jour en Amérique du Nord, ici même à Montréal. Elle a pour objectif de prévenir le crime et de surveiller les activités politiques des rebelles. La première police provinciale est pour sa part formée en 1869. Son objectif est d’intervenir lors d’émeutes – très nombreuses à l’époque – et de veiller au respect des nouvelles lois fédérales et provinciales. Quatre ans plus tard, c’est au tour de la North-West Mounted Police (la Gendarmerie montée du Nord-Ouest) de voir le jour. Sa mission est claire : l’ouest canadien doit devenir « blanc, anglais et protestant ». Il faut mater les métis et voir à ce que les Canadiens français n’étendent pas leur « revanche des berceaux » jusque dans l’ouest. Fidèle à sa noble mission, cette organisation participe à l’écrasement de nombreuses révoltes autochtones et ouvrières tout au long de la deuxième moitié du 19ème siècle.

La police montée devient la Gendarmerie Royale du Canada (GRC) en 1919, suite à la grève insurrectionnelle de Winnipeg. Si la peur du communisme n’en est encore qu’à ses tous débuts, elle n’en est pas moins intensifiée par la montée en influence du syndicalisme. Certains agents, comme John Leopold, alias Jack Esseilwein, qui espionne le Parti communiste pendant de nombreuses années, deviennent, avec le concours des gouvernements, de véritables héros nationaux.

En 1938, le gouvernement de Maurice Duplessis réorganise la police provinciale et adopte la « Loi du Cadenas ». Cette loi – qui ne définit aucunement ce qu’est le « communisme », car le communisme selon Duplessis, « ça se sent » – permet la fermeture de tout établissement soupçonné d’héberger des activités subversives ou communistes.

Jusqu’en 1980, la peur des rouges est constante. Ce sont des milliers d’individus qui sont épiés, voire intimidés, simplement parce qu’ils étaient de gauche. Un programme du gouvernement – le
PROFUNC (Prominent Functionaries of the Communist Party) – prévoit même l’internement de jusqu’à 3000 sympathisants communistes. Pour ce faire, huit camps d’internements sont mis sur pied.

La poussée de la « Nouvelle gauche » allonge la liste noire encore une fois. Aux communistes, on ajoute les noirs, les homosexuels, les féministes, les étudiants, etc. Le « séparatisme » devient une des figures menaçantes de l’ordre et la sécurité du Canada. Les forces de l’ordre mènent contre cet ennemi intérieur une lutte sans merci, à un point tel que les actes illégaux mis en lumière par les commissions Keable et Macdonald – vols de banque, dynamitages, incendies criminels, mensonges, chantages, menaces… – forcent des réformes majeures dans les années 1980.

Ces réformes mènent à l’apparition du Service Canadien de Renseignement et de Sécurité (SCRS), en 1984. Nombre des activités menées dans les années soixante dans la guerre au FLQ sont désormais encadrées par la loi, sans pour autant – faut-il le rappeler? – devenir illégales. Le SCRS, à partir de ce moment, devient officiellement la police politique du pays. Il guette la gauche et, surtout à partir de 2001, les groupes « islamistes ».

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Amérindiens, métis, communistes, féministes, artistes, homosexuels, indépendantistes, immigrants : autant de cibles privilégiées afin de « nous servir et de « nous protéger ».

En ce sens, la conversation qu’eut l’Agent 728 avec son supérieur est tout sauf étrange. Il y a des lustres qu’une part de la population est traitée comme des « rats », des « osties de trou de cul », des « caves », des « gratteux de guitare » et des « osties de carrés rouges » de « mangeux de marde » par les forces de l’ordre.

Cela, loin d’être « anormal », est en fait nécessaire. Aucun être humain sensé ne pourrait arrêter, frapper, poivrer, gazer, crever des yeux, provoquer des commotions cérébrales et emprisonner des individus sans défense sans d’abord les considérer comme des représentants du « Mal ».

Cette haine et cette violence sont une tradition nécessaire à l’ordre et à la sécurité. Elles sont la déclinaison la plus visible de la violence de l’État, sa pointe la plus grossière et détestable.

Elle ne constitue pas du tout une « exception » à la règle et à la norme : elle représente la règle et la norme.

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Références

Jean-François Leclerc, « La Sûreté du Québec des origines à nos jours: quelques repères
historiques», Criminologie, XXII, 2, 1989.

Richard Cléroux, Pleins feux sur les services secrets canadiens: Révélation sur l’espionnage au pays, Montréal, Les Éditions de l’homme, 1990.

Francis Dupuis-Déri, « Broyer du noir: manifestation et répression policière au Québec », Les Ateliers de l’éthique, vol.1, no 1, printemps 2006, p.58-80.

Alexandre Popovic, « Agents provocateurs dans les manifestations: quand le mythe devient réalité»,
http://www.latribuduverbe.com/archives/2007/08/agents_provocateurs_dans_les_m_1.html

Alexandre Popovic, « SCRS et médias (1de5) des informateurs qui se prennent pour des leaders musulmans»,

http://www.centpapiers.com/author/alexandre-popovic/