Pour nombre de grévistes, 2012 fut une année d’une grande intensité, une expérience collective et politique sans commune mesure avec tout ce qui la précédait. Après avoir vécu au rythme de centaines d’assemblées, de manifestations, de fêtes, de rassemblements, de réunions, de piquets de grève et d’actions directes; après ces courses folles pour éviter les charges policières; après s’être vus, comptés, sentis et admirés, chaque soir, en montant la côte Sherbrooke; après avoir appartenu un moment à autre chose qu’à une somme d’individus anonymes déliés les uns des autres, notre regard n’est forcément plus le même.
La révolte l’a transformé. C’est la société, par la négative, qui l’a éclairé.
Fermer la télé
Cette année, à de nombreux égards, fut celle des grandes désillusions. Dans le vacarme ou le silence, de toutes petites fins du monde eurent lieu. Cette grève permit à plusieurs de prendre conscience que les grands médias cadraient leurs images en faveur du pouvoir. Rien de nouveau, « tout le monde sait ça », diront les plus malins. Et ils ont tout à fait raison. Seulement, entre savoir que l’information est au service du statu quo et sentir jusque dans son propre corps la violence dont elle est capable, il existe une marge.
Et cette marge fut largement piétinée.
Car c’est aux corps que s’en prirent journalistes, chroniqueurs et éditorialistes lorsqu’ils traitèrent les grévistes de « casseurs » et de « terroristes ». C’est aux corps qu’ils s’en prirent lorsqu’ils affirmèrent à l’unisson que les policiers furent « obligés » d’intervenir afin de matraquer, de gazer et d’emprisonner. Et c’est encore aux corps qu’ils s’en prirent lorsqu’ils exigèrent que les grévistes dénoncent la « violence et l’intimidation », au moment même où la répression qu’ils subissaient atteignait des sommets de brutalité et d’arbitraire.
Monsieur le juge
Cette grève fut également le moment de la grande désillusion en ce qui concerne la bienheureuse société de droit. Comme ce fut rarement le cas auparavant, du moins de façon aussi grossière, la justice et la politique travaillèrent main dans la main afin de matraquer la contestation sociale. La ministre encouragea les étudiants à faire des injonctions, les injonctions furent accordées par des juges proches du Parti libéral et appliquée avec violence par les forces de l’ordre.
On vit dans une société de droit, dirent-ils, il faut respecter la loi. Peu importe qu’elle soit encadrée et soutenue par des juges amis de politiciens corrompus, peu importe qu’elle vous interdise de faire grève et peu importe qu’elle soit foncièrement contraire aux règles de la Charte des droits et libertés, comme dirait Séraphin Poudrier : « La loi, c’est la loi ». Cela est simple. Notre société désire la paix. Quiconque préconise la « violence et l’intimidation » mérite qu’on lui fracasse le crâne. (Ce n’est pas toujours très élégant à voir, mais en cadrant bien les images, il est possible de rendre le tout fort acceptable, voire divertissant).
Des élections, mais pour quoi faire?
D’aucune manière, le gouvernement libéral ne participa au « débat » sur la hausse des frais de scolarité. Ce qu’il mena, c’est un combat contre le mouvement de grève. Pendant plusieurs mois, les grévistes remportèrent toutefois nombre de manches de cette bataille : contre la répression policière, contre les injonctions, contre la loi 22…
C’est ce qui obligea – finalement – le gouvernement à aller aux urnes.
« Enfin ! » s’écrièrent plusieurs, voilà notre chance de changer la donne autrement qu’en bousillant notre session. Encore une fois, la désillusion ne se fit pas attendre. La campagne électorale fut tout aussi grise que les précédentes, on ne parla pratiquement pas d’éducation, et la crise étudiante fut instrumentalisée au profit des partis les plus réactionnaires. Les grévistes furent tout simplement absents de la joute électorale. Au mieux on tut leur présence, au pire on s’en servit pour dénigrer l’ennemi. L’opinion publique, cette somme abstraite et contradictoire d’opinions individuelles, semble-t-il, avait choisi l’ordre et la sécurité.
Le résultat fut la constitution d’un nouveau parlement fort semblable au précédent. Si plusieurs mirent – encore! – leurs espoirs dans le Parti québécois, ce dernier, à travers une espèce de striptease à reculons, s’est progressivement dévêtu, histoire de nous montrer la véritable orientation bourgeoise qui est la sienne.
Et alors?
« Tout ça pour ça ? »
« Tout ça pour rien ? »
Ceux qui le pensent ont tout faux. La hausse a été annulée, ce qui permettra à des milliers d’étudiantes et d’étudiants de poursuivre leurs études, mais surtout – surtout – la grève a fait tomber des masques. Elle nous a donné à voir ce que nos dirigeants entendent par « démocratie » et par « société de droit ». Elle nous a donné à voir tout le mépris, la violence, la lâcheté et la démagogie dont les classes dirigeantes sont capables pour défendre leurs intérêts égoïstes et mercantiles. Et chaque jour elle rappelle que l’information tient un double discours qui victimise les parvenus et méprise les pauvres et les sans-voix.
En faisant grève, les étudiantes et les étudiants ont pris part à l’histoire. Non pas en héros, encore moins en victimes, mais en acteurs. Leur lutte est liée à celle des Espagnols, des Grecs, des Italiens, des Chiliens, des Américains qui se battent pour les mêmes raisons qu’eux, en d’autres lieux. Ce mouvement international est certainement l’un des plus importants que nous ayons connu depuis des décennies. Il s’inscrit dans un nouveau cycle de luttes, une lutte contre une économie en crise et un système politique à bout de souffle.
La ruse, l’intelligence, l’humour et le courage déployés pendant cette grève ne furent pas anéantis par les coups des matraques et l’imbécilité des chroniqueurs et des politiciens. Bien au contraire, jour après jour, le « retour à la normale » démontre que tout est en fait « anormal », et que nous eûmes raison d’opter pour la contestation.
Le pire mur, celui que cette grève n’a pas réussi à abattre, celui sur lequel viennent s’écraser tous les élans vers le progrès social, l’équité et la justice, c’est celui de l’indifférence, de l’aveuglement et — j’ose le dire — de l’insondable bêtise de ce qu’il est convenu d’appeler la « majorité silencieuse ». Tant que le plus grand nombre sera aussi facile à manipuler et à tromper, tant que les masses bêlantes se laisseront si aisément convaincre de lutter contre leurs propres intérêts, et se dresseront systématiquement contre tous ceux qui se battent pour le bien commun, je ne donne pas cher de notre avenir. Ce que ce printemps érable a révélé de plus triste, en fait, c’est qu’une majorité de Québécois sont prêts à rejeter de façon violente et méprisante la jeune génération, tournant résolument le dos à leur propre avenir — comme un peuple résigné à mourir.
« Ce que ce printemps érable a révélé de plus triste, en fait, c’est qu’une majorité de Québécois sont prêts à rejeter de façon violente et méprisante la jeune génération, tournant résolument le dos à leur propre avenir — comme un peuple résigné à mourir. »
Ce n’est pas parce que tu as une idée et que tu la défends bec et ongles qu’elle est forcément bonne. C’est ce que les étudiants et ceux qui ont endossé leur cause n’ont pas compris.
@denis
« Ce n’est pas parce que tu as une idée et que tu la défends bec et ongles qu’elle est forcément bonne. »
exact. mais cette idée n’est pas forcément mauvaise non plus.
alors? ton commentaire? ça mène où? nulle part.
« Nous sommes à vomir » Le titre du nouveau court métrage de Pierre-Luc Junet.
http://vimeo.com/55680273
Tout ça pour ça, mais pas tout ça pour rien. Relisez tous les textes et films aux allures hermétiques de Hors d’Oeuvre sur cette grève. Vous y trouverez essentiellement cette vérité criarde et implacable.
Non, ceux qui pensent le négatif n’ont pas tout faux. Nous ne sommes pas satisfait des quelques miettes que nous jettent le pouvoir. La hausse annulée, comme en 1996, pour mieux sabrer par la suite. C’est une vision tronquée qui vous permet d’être si positif. Nous aurions été capable de mieux si nous nous serions débarrasser de nos illusions. Enfin, je parle pour vous, moi, comme mes camarades, nous le savions, nous vous avions avertis, vous n’avez pas écouté, comme toujours. Et lorsque ça recommencera, parce que ça recommencera, nous vous le redirons encore et encore, même si vous ne voudrez pas nous entendre encore.
Cette vidéo m’a fait sourire.
En gros, l’extrême gauche anarchiste est déçue que le Printemps n’ait pas mis de l’avant SON agenda plutôt que l’agenda étudiant…
Et si nos anarchistes tentaient, pour une fois, de faire leur propre révolution au lieu de prendre en otage celle des autres?
@jcp
Il existe effectivement une certaine volonté anarchiste de mettre en place une société fondée sur la liberté et l’égalité. Peut-on parler d’agenda? Peut-être, mais pas dans le même sens que lorsqu’on parle d’agenda politique de QS et du PQ, qui ont un horizon électoraliste. Ce que vous ne semblez pas reconnaître par vos propos c’est la présence de plusieurs agendas cachés derrière le fameux « agenda étudiant » comme si les étudiant-e-s pouvaient formés un bloc monolithique dont émanerait un agenda précis. La gratuité scolaire, par exemple, est un principe socialiste qui doit nécessairement être rangé dans la catégorie « agenda gauchiste ». Mais bon, vous semblez confus.
Confus aussi est votre idée de révolution. Faudrait m’expliquer parce que ce n’est justement pas à une révolution que nous avons eu à faire face.
Monsieur Cyr, je me désole que vous sembliez n’avoir absolument rien retenu de la polémique des derniers jours quant au bilan mitigé du printemps érable. Je m’attendais pourtant à mieux de votre part qu’un déni total et orthodoxe; parler de certains problèmes du mouvement lui-même, au lieu de le blanchir de toute responsabilité et donc de l’infantiliser, n’implique pas de nier ses qualités et ses succès, sempiternel sujet de vos chroniques. Si un historien des mouvement sociaux n’y est pas apte, sur qui devrions-nous donc compter ?
« parler de certains problèmes du mouvement lui-même,… »
ben vas-y mon homme, raconte-nous ça!
Je crois que tu es capable de tirer tes propres conclusions sans devoir demander de préciser ce que tu dois déjà savoir. Tu n’as certainement pas été aveugle et sourd durant tous les mois qu’a duré ce conflit…
@denis
je veux juste te faire remarquer que tu sembles te ranger du coté de quelqu’un qui pose comme une évidence quelque chose qui reste à être démontré. un amateur de la célèbre pétition de principe, quoi.
es-tu certain de vouloir continuer dans cette voie denis?
Alors, vous n’aurez qu’à « recommencer et à recommencer », avec le même mépris. Et nous vous écouterons de moins en moins, car cette « leçon », comme vous dites, devient lassante – vraiment lassante.
À vous lire M. Cyr, je me demande bien qui essaie de faire la leçon à qui!
Je ne suis pas sûr que le mépris soit la bonne expression. Je dirais plutôt dégoût, un terme plus proche de nausée et de vomit. Mais laissons faire le sentimentalisme, ce procédé rhétorique typique de celles et ceux qui veulent passer pour des victimes. La lassitude grandissante est malheureusement partagée, car comme je vous l’ai dit, c’est la même ridicule finale qu’on nous sert, même après des mois de résistance et de répression. Et cette lassitude grandissante, tantôt cynique, se meut inévitablement en colère généralisée. Libre à vous de la prendre en compte ou de la méprisée…
Il y a un certain nombre de problèmes difficiles à résoudre.
Plusieurs personnes de mon âge ont volontiers embarqué dans ce printemps, dans l’espoir qu’aboutisse enfin ce que nous avions échoué à faire. Mais le premier but des étudiants est de changer le prix ou la nature de l’éducation, pas la société dans son ensemble. Bref, nous avons eu un sentiment de solidarité dans la bagarre du printemps qui n’était pas pleinement sincère. Nous avons espéré que la volonté de changement des étudiants était aussi la nôtre, mais ce n’est peut-être pas le cas. Ce qui m’agace le plus de l’éducation, c’est que la corruption y est aussi présente qu’ailleurs, ce qui agace le plus les étudiants c’est le coût des études …
Voilà effectivement ce qui n’a pas changer sur le fond. Ce dernier combat contre le gouvernement Charest, malgré l’ampleur du mouvement et de la répression, reste fondamentalement le même que celui d’il y a 8 ans ou 15 ans. C’est le contexte particulier de 2012 qui lui a donné un caractère particulier, mais ce contexte n’a pas changé les motivations fondamentales de ce genre de mouvement. Oui, nous étions plusieurs à vouloir que les motivations changent, mais beaucoup d’autres ont manœuvrés pour que le mouvement reste confiné aux horizons traditionnels, celui du réformisme réaliste du cadre budgétaire néolibéral et de l’électoralisme. Plus que jamais peut-être cette grève a été dominé par le primat de l’image et cette dynamique a contribué à générer des erreurs stratégiques fatales. Ce ne sont certainement les tribuns de la nouvelle gauche médiatique qui feront leur mea culpa. Ce faisant, ils et elles reproduisent leur propre pouvoir virtuel.
Qui le premier a sorti l’expression « printemps érable »? On dirait le fruit d’un très mauvais publicitaire. Quand je pense érable, je pense drapeau canadien, Canada, fédéralisme, pas Québec, et encore moins étudiants. Étudiants de toute façon trop pauvres pour se payer du sirop d’érable.