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La liberté moins la liberté

La liberté est la pierre angulaire du discours libertarien.

Friedrich Hayek – le « grand » théoricien de cette idéologie – la définissait comme la réduction au minimum des contraintes envers l’individu et sa propriété. Comme il le disait lui-même : les « bonnes clôtures font les bons voisins ». Seul le marché permet la liberté. Ce dernier, bien entendu, crée des inégalités sociales, des gagnants et des perdants. Seulement, il est absolument impossible de pallier à ces tares sans remettre en cause l’économie marchande elle-même.

Intrépide, variable, complexe, fragmentée, diffuse et décentralisée, l’économie ne pourrait être contrôlée sans que la société ne sombre dans le totalitarisme. Le choix est simple: la démocratie (libérale et capitaliste) ou le socialisme (nécessairement totalitaire).

Rien, en dehors de ces deux modèles, ne serait viable.

Vraiment?

Enfin, pas tout à fait…. En avril 1981, en entrevue au journal El Mercurio, Hayek explique pourquoi il soutient le régime sanguinaire de Pinochet

Je préfère sacrifier la démocratie temporairement – je le répète, temporairement – que la liberté […]. Une dictature qui s’impose elle-même des limites peut mener une politique plus libérale qu’une assemblée démocratique sans limites[1]

La « Constitution de la liberté » du Chili a d’ailleurs été ainsi nommée en hommage à ce penseur du capitalisme.

Hayek considère que le marché est un agencement historique « spontané », un système « naturel » qui trouve plus ou moins son équivalence dans la théorie de l’évolution des espèces de Darwin. En 1988, il affirme d’ailleurs que « toutes les existences humaines n’ont pas un droit moral à la préservation ». Pour lui, et il a le mérite de le dire en toute franchise, « être libre peut signifier libre de mourir de faim » [2].

C’est pour cette raison qu’il faudrait éliminer toute contrainte au mouvement du marché : syndicats, programmes sociaux, investissement étatique, etc. Il ne faut pas confondre : Hayek n’est pas contre l’État dans ce qui le caractérise essentiellement, soit la violence. Les vitrines des magasins sont très fragiles; cela, il l’a très bien compris. C’est pour cette raison qu’il développe le concept d’ « État minimal » – c’est-à-dire d’un État qui se soumet intégralement à la loi du marché.

Hayek est en quelque sorte un précurseur du libertarianisme. Son influence est immense. Elle se retrouve presque textuellement chez David Friedman, qui voulait privatiser l’éducation, l’argent, l’armée, la police, les postes, les routes, les pompiers, la radio, la télé, les aqueducs, la voirie, les tribunaux… On la retrouve également chez Robert Nozik, qui considère que l’État ne devrait pas interdire la pollution, le travail des enfants, la prostitution, la possession d’armes à feu ou de pornographie infantile, etc. On la retrouve encore chez Murray Rothbard, qui soutient que les parents sont libres de toute contrainte à l’égard même de leurs enfants – qu’ils n’ont pas l’obligation de nourrir et de protéger. Les enfants dont on ne veut pas devraient se retrouver sur le « marché libre des bébés », ce qui provoquerait une chute de leur prix et faciliterait leur achat.

Bien entendu, tous les libertariens ne sont pas tous aussi radicaux. Une idée commune, toutefois, les unit, et c’est celle qui veut que le capitalisme soit un système « naturel » et « libre ». Pour eux, le capitalisme, c’est non seulement la liberté, mais c’est également la seule forme qu’elle peut prendre.

À l’heure ou l’économie se dévoile de plus en plus comme une crise permanente et où le pacte keynésien est bien mort et enterré, il n’y a pas à se surprendre de la popularité de ces idées. Cette « nouvelle » droite comble un manque. Elle profite de l’absence quasi unanime de critique de l’État de la part de la gauche parlementaire pour se faire un nid.

Face à l’échec du néolibéralisme, qui n’a pas su régler les problèmes d’endettement et de déficit étatique, le libertarianisme se révèle ainsi être fort utile aux classes dirigeantes. Il suffit de soutenir la diffusion de ces idées avec un budget raisonnable et de les saupoudrer de haine de l’autre – comme le fait avec brio le Tea Party ou le Réseau Liberté Québec – pour les rendre populaires.

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Notes

 [1] El Mercurio, 12 avril 1981.

[2] Friedrich Hayek, 1988, La Présomption fatale: les erreurs du socialisme, Paris, PUF, 1993.

[3] Friedrich Hayek (1960), La Constitution de la liberté, Liberalia Litec, 1994, p.18.

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Sources

Jean-Claude Saint-Onge, L’importure néolibérale, Montréal, Écosociété, 2000.

Murray Rothbard, Économistes et charlatans, Paris, Les Belles Lettres, 1991.